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Entretien avec Meziane Meriane, Coordinateur du SNAPEST: « Il faut en finir avec toutes les pesanteurs qui bloquent le secteur de l’Éducation »

Meziane Meriane , le coordinateur du SNAPEST a été reçu dernièrement par Mohamed Ouadjaout, ministre de l’éducation, dans le cadre  des rencontres bilatérales programmées par le département de l’éducation avec les partenaires sociaux. Il revient dans cet entretien sur cette rencontre et nous fait part également de sa vision et de ses propositions pour bâtir une école moderne qui doit et un véritable sanctuaire de la science et de la citoyenneté.

L’Express : Dans le cadre rencontres bilatérales programmées par le ministère  de l’éducation avec les partenaires sociaux, vous avez été reçu dernièrement par Mohamed Ouadjaout, ministre de l’éducation. Quelle est votre appréciation sur cette rencontre ? 

Meziane Meriane : Pour pouvoir l’ apprécier et l’ évaluer on  aurait aimé connaître les objectifs assignés à cette rencontre. Malheureusement ça n’a pas été le cas .On aurait aimé que la rencontre soit une rencontre de négociation  pour pouvoir en faire un bilan. Mais non, ce n’était qu’une rencontre d’échange de point de vue sur tout ce qui touche à tout  notre système éducatif. On a parlé de la nécessité de réformer le baccalauréat qui doit se faire dans  le cadre d’une refonte globale. On a parlé de la nécessité d’encourager les élèves à choisir les filières des mathématiques. On a parlé aussi d’ un point très important qui est la formation de l’enseignant .On ne peut prétendre et vouloir accéder à  un enseignement de qualité et négliger  le vecteur principal qui est l’enseignant. Il a été question également lors cette rencontre  du rôle que doit jouer l’école normale dans la formation de l’enseignant. On peut dire sans se tromper qu’un grand pourcentage de  l’échec scolaire est dû à la mauvaise formation de l’enseignant. A la première année scolaire de l’Algérie indépendante 1962-1963, il y avait  829 000 élèves  tous  cycles confondus, il y avait 6 000 enseignants  ce qui nous donne en moyenne un enseignant pour 130 élèves. Aujourd’hui, plus de 9.5 millions d’élèves sont scolarisés, dans les trois paliers primaire, moyen et secondaire. C’est un fait, beaucoup d’efforts réalisés  du côté quantitatif .Mais on doit maintenant mettre l’accent davantage sur   l’aspect qualitatif.

Pour  réformer le secteur, le ministère de l’éducation  a mis au point un plan d’action  décliné en six grands axes englobant 38 objectifs à atteindre  au niveau de tous les établissements et structures du secteur. Ce plan constitue-t-il  réellement une rupture  avec les anciennes pratiques et permettra-t-il de bâtir une  école moderne et de qualité ?

Vous savez, j’ai toujours schématisé le système éducatif comme une grosse machine mécanique avec ses articulations et ses engrenages. Si une directive pondue au ministre ne s’applique pas correctement à la base et s’il n y a pas un mouvement d’ensemble on ne pourra pas avancer. Ce que l’on peut dire est valable dans notre pays  et partout ailleurs. En Afrique, depuis l’accession aux indépendances, les systèmes éducatifs ont  connu diverses réformes qui ont touché  tous les niveaux de l’enseignement, du  primaire  au supérieur  et ce, afin d’améliorer le rendement scolaire et de pallier aux carences des anciens systèmes qui se sont manifestées par un taux très élevé de déperdition et d’échec scolaire avec toutes les conséquences que nous connaissons à savoir, la baisse de qualification, le chômage, la délinquance et la violence. Et l’on est encore toujours là  à procéder à des réglages de toutes sortes.  Quelle que soit le plan mis en place, s’il n y a pas de volonté d’en finir avec les pesanteurs on n’ira pas très loin. On doit en finir avec ces pesanteurs pour que  l’école soit moderne, audacieuse et imaginative en diffusant la rationalité, la maîtrise des sciences et techniques, l’esprit critique et l’analyse. On doit en finir au plus vite avec ces pesanteurs pour que notre école devienne réellement   formatrice   en diffusant le savoir fondamental et technique moderne par les méthodes pédagogiques les plus efficaces , en promouvant les valeurs de tolérances d’échange d’idée, d’entraide, de relation pacifique, de respect des droits de l’homme…etc. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra reprendre notre place dans le classement des systèmes éducatifs à travers le monde. Malheureusement actuellement on patauge aux bas du tableau.

Qu’en est de la mise à l’abri  de l’école algérienne des affrontements idéologiques qui l’ont carrément  rendue « sinistrée » selon les mots du défunt président Boudiaf ?

La constitution en vigueur dans notre pays est claire sur cette question; mais on doit avoir le courage d’aller en profondeur et  empêcher les politiques de solder leurs problèmes politiques et idéologiques sur le dos de l’enfant.  Pour cela,  le SNAPEST  lutte pour la promotion de la citoyenneté dans l’école, et cette  promotion est plus  qu’une urgence pour atteindre certains objectifs comme :

 –connaître ses droits et ses devoirs et ceux des autres, de les respecter et les faire respecter

–développer son esprit critique afin de s’engager de façon autonome  et efficace

–apprendre et développer des stratégies de concertation.

–Apprendre à faire des liens entre le local et le global penser globalement et agir localement

–Connaître, apprécier et respecter son histoire, sa propre culture et les autres cultures  dans le souci de mieux vivre ensemble.

 En ce début de siècle une école créatrice de renaissance est plus que jamais le meilleur investissement pour l’avenir dixit (Gerhard Shloder).  Alors commençons par le commencement !  Un long travail d’éducation et de prise de conscience reste à faire .Apprenons à nos jeunes l’amour de la vérité, de l’authenticité et de la franchise. Prenons soin de nos programmes scolaires. Que l’on y enseigne la neutralité du savoir qui valorise   l’objectivité et  la rigueur des disciplines scientifiques, et non des idéologies du parti pris qui forment des esprits obtus et mènent au chaos. Nous devons combattre toutes les tentatives d’aliénation, toutes ces forces d’incohérence et d’erreurs qui sollicitent et parfois ensorcellent notre jeunesse.

En raison de la crise  économique, le ministre de l’éducation a recommandé  la rationalisation des dépenses au sein du secteur. Cette politique d’austérité ne risque-t-elle pas d’entraver  la réalisation des objectifs mis en place ?

On aurait dû le faire au moment de l’embellie pétrolière. On aurait dû éviter le gaspillage et  diversifier notre économie pour pallier toute éventualité. Actuellement, on traverse une zone de turbulence financière, c’est tout à fait logique de réduire certaines dépenses, mais réduire  ce qui est déjà réduit vous réduit presque à zéro. Pour faire face à la pandémie, les établissements scolaires n’ont reçu que 50000 DA.  Que faire avec cette somme dérisoire ?  Maintenant tout le monde doit s’y mettre : les associations de parents d’ élèves, les bénévoles riches… tout le monde doit s’impliquer et mettre la main à la poche pour ne pas laisser en parents pauvres, les objectifs pédagogiques.   Quand on sait que 90 % du budget de l’éducation sont  absorbés par les salaires, que reste-t- il, en effet  pour la pédagogie ?

S’agissant  des dépenses reversées à la lutte contre la pandémie,  des voix s’élèvent  et pointent du doigt la mauvaise  gestion des fonds  destinés au protocole sanitaire. Quel est votre avis sur ce point ?

Vous savez qu’au départ, à la rentrée scolaire, il y avait beaucoup de cafouillage. Ce sont  les enseignants à  qui je rends hommage qui ont cotisé pour acheter des thermomètres pour contrôler la température des élèves et du personnel. Il a fallu attendre plus d’un mois pour que les établissements reçoivent de façon forfaitaire 50000 DA quelque soit l’effectif de l’établissement. Lorsqu’ il n y a pas un organe de contrôle strict, tout peut arriver, il s’ agit de mettre les mécanismes de contrôle des deniers publics qui surveillent les opérations du début jusqu’à la fin.

Le premier trimestre de l’année en cours est achevé.  Quel bilan en tirez-vous ? La gestion  des établissements a-t-elle été à la hauteur de la conjoncture pandémique ?

Le bilan sur la gestion de la pandémie est acceptable malgré le manque de moyens. On avait peur au départ et on a tiré la sonnette d’alarme sur le fait qu’il ne sert à rien  de respecter la distanciation sociale à l’intérieur de l’établissement puisque l’enfant baigne dans  une anarchie totale dans la rue à sa sortie de l’école. Mais avec la prise de conscience de tous, Dieu merci la situation a été  maîtrisée. Pour le bilan pédagogique, ce  n’est pas du tout satisfaisant, il y a 8 mois d’ inactivité pédagogique qui ont influencé négativement sur  les élèves. La course contre la montre menée tambour battant lors de ce 1er trimestre  pour avancer dans les programmes n’a pas aidé l’enfant à bien assimiler .Au lieu de changer de méthode pédagogique comme on l’a suggéré : passer de la méthode actuelle expositive à la méthode interrogative qui s’ applique dans les moments de crise,  on  préféré  user des mêmes méthodes et le résultat est là.

Il faut profiter des évaluations des élèves pour déterminer les causes de certains échecs et passer à  la remédiation . Des efforts gigantesques sont, certes  consentis pour les cantines et le chauffage malheureusement dans certaines régions les budgets sont mal utilisés.  Aujourd’hui globalement, l’école algérienne  reproduit les phénomènes  sociaux, il serait illusoire de penser qu’elle parviendra seule à réparer ce qui relève de défauts systémiques. Il faut donc s’attaquer simultanément aux politiques économiques et sociales et aux carences  propres à l’école .Alors commençons par le commencement ! Un long travail d’éducation et de prise de conscience reste à faire. Il faut procéder sans complaisance  à l’ évaluation de la réforme pour arriver à cerner les causes du marasme actuel.

Le renouvellement des commissions des œuvres sociales de l’éducation va se faire en ce mois d’avril. Pensez-vous que ce dossier, qui  a toujours été au centre des débats des syndicats, connaîtrait un assainissement définitif dans les prochains mois ?

Pour le dossier des œuvres sociales, il ne s’ agit pas de remplacer X par Y et crier victoire.  Il s’ agit de changer les lois de fonctionnement des œuvres sociales.  On ne peut pas dire que la commission des œuvres sociales est indépendante des syndicats et voir des syndicats présenter des candidats et donner un mot d’ ordre national pour voter pour eux .Il s’ agit de mener une grande réflexion sur le fonctionnement et les objectifs  de ces commissions et mettre un dispositif de contrôle strict sur les dépenses. Il s agit de l’argent des pauvres .Le bilan  qu’a présenté ces commissions est très discutable surtout sur le budget de fonctionnement donc tout est à revoir  et en profondeur

 L’enseignement technique a fait l’objet durant de longues années d’un démantèlement programmé. Les réformes introduites  dernièrement sont-elles suffisantes à rendre à cet enseignement sa place ?

L’enseignement technique peut être un outil pour le développement technique et économique de notre pays, mais à quoi assiste-t-on ? A sa mise à mort bien-sûr. Comment peut-on prétendre avoir des  taux d’intégration dans les multinationales et supprimer la source qui peut nous procurer ce taux d’ intégration qui est l’enseignement technique ? Dans les années 70, le lycée technique de Dellys fabriquait  des pièces pour l’usine Sonacome .Maintenant, on est réduit à importer même des clous. Et ce que cela ne rentre pas dans la globalisation et la mondialisation pour rester dépendant ? .Des machines  acquises avec de fortes devises  sont actuellement  bloquées dans des ateliers  et l’usure  est en train de les détruire petit à petit. N’est-ce pas un crime ?  L’association des anciens élèves du lycée technique de Dellys envisage de peser de son poids  et de sensibiliser les autorités  sur l’ importance de l’enseignement du technique dans l’essor économique de notre pays. Pour ma part, j’ ai proposé au ministre de l’éducation à ce qu’on revienne à l’ancien système des lycées technique d’excellence par région (centre ; est ;ouest  et sud) . Comment former un ingénieur de conception ou d’application sans qu’il prenne connaissance  du fonctionnement d’une machine, sans savoir le rôle du bureau d études ; sans connaître le rôle du bureau de méthode, sans faire du dessin industriel et à la main et pas avec l’ ordinateur car si il y a réparation ca se fera manuellement.

Je vous laisse conclure…

Comme dit l’adage qui veut voyager loin ménage sa monture. Je souhaite que l’on revoit les objectifs pédagogiques à long terme et non pas à court terme pour ne pas surmener nos enfants. Je souhaite pour le bien de notre pays que l’enseignement technique retrouve sa place pour qu’ il puisse accompagner  l’économie de notre pays. Je souhaite enfin qu’on accorde beaucoup d’ importance à l’ école primaire car c’est la rampe de lancement de tout notre système éducatif.

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