Malgré sa modestie, il est l’un des plus grands écrivains du monde. Youcef Zirem est auteur de 17 livres, publiés en Algérie, en France, en Belgique et ailleurs. Il est poète, nouvelliste, romancier et même essayiste. Ses œuvres sont étudiées dans les plus grandes universités d’Europe et d’Amérique. L’auteur de « La vie est un grand mensonge » est aussi journaliste et militant des droits de l’homme. Son combat pour les libertés suscite l’admiration aux quatre coins du globe terrestre. Dans cet entretien exclusif, Zirem retrace son parcours singulier et nous invite à découvrir ses nouvelles créations.
La quatrième version de votre livre Histoire de la Kabylie va sortir bientôt à Paris. Pouvez-vous nous en parler ?
Oui, la quatrième version de mon Histoire de la Kabylie sortira au mois de mai, en France, aux éditions Yoran Embanner. Ce sera une édition actualisée et augmentée. J’ai donc ajouté des événements historiques que je n’avais pas traités dans les précédentes éditions et j’ai fait la chronique de ce qui s’est passé de 2016 jusqu’au mois de mars 2021. La troisième édition était parue en 2016, la deuxième en 2014 et la première au mois de mars 2013. Ce livre a beaucoup de succès car, après deux années de recherche, j’ai réussi à élaborer une colonne vertébrale de cette longue Histoire pour la transmettre au grand public. Il n’y pas toute l’Histoire de la Kabylie dans ce livre mais il y en a l’essentiel de cette Histoire, y compris l’Histoire culturelle, car je voulais faire un livre vivant et plaisant à lire. Le fait même que je sois arrivé aujourd’hui à la quatrième édition démontre qu’il y a un besoin de connaître cette Histoire et surtout un vide que d’autres écrivains ou historiens pourraient combler avec leurs ouvrages. Mon livre a également le mérite de pousser le lecteur à approfondir ses connaissances en Histoire ou même à avoir la passion de l’Histoire. C’est en ayant une bonne vision de son Histoire que l’Homme peut envisager l’avenir avec plus de lucidité. C’est dans cette optique, qu’il est bon de rappeler que l’Histoire est un éternel recommencement. Pour ma part, j’ai toujours eu cette passion de l’Histoire en général, j’ai lu, très jeune, les livres de Charles-André Julien, paix à son âme, cet historien important qui s’est longuement penché sur l’Histoire de l’Afrique du Nord.
Comment êtes-vous venus à l’écriture ?
J’ai commencé à écrire des petites choses à l’école Taourirt-Tizamourine, dans l’Akfadou, de petites lignes qui ressemblaient à de la poésie. Ces petites lignes ne sont pas venues à moi par hasard ; elles m’ont été inspirées par ma mère qui sait raconter les contes kabyles avec une certaine magie, avec des accents très poétiques. Ces petites lignes ont également une autre source : mon père m’a toujours encouragé à lire, à m’investir dans le savoir, il avait mis en place dans notre maison une bibliothèque, ce qui était rarissime dans un village de Kabylie à cette époque-là. Je me souviens comme si cela datait d’aujourd’hui du premier jour de l’installation de cette bibliothèque dans notre maison ; cet événement me marquera à jamais ! Et c’est ainsi que j’ai acquis la passion des livres, des mots, pour toujours. Au CNET de Sidi-Aich, où j’ai fait le collège, nous avions aussi de très bons professeurs, comme c’était le cas de M. Meziane Hocine, un professeur d’économie qui nous respectait beaucoup, qui nous aidait à comprendre le monde, qui nous montrait l’importance de la lecture. Je me souviens qu’à cette époque, je m’occupais de la bibliothèque du collège, j’avais donc à ma disposition des centaines de livres, je notais sur un carnet les noms des élèves qui empruntaient les livres, ce fut une belle expérience, c’est à ce moment-là que je me suis dit à moi-même que, peut-être, je pourrais moi aussi écrire des livres comme tous ces auteurs que je lisais avec une belle soif ! Toujours au CNET, nous faisions également un journal, un mensuel, le Polytechnicien en herbe et j’étais l’un des rédacteurs de ce journal. Je me rappelle encore aujourd’hui des articles que j’ai écrit dans ce journal scolaire. C’est ce journal scolaire qui m’a donné l’amour de la presse en général, la passion de l’écriture, le désir d’apprendre, la volonté de comprendre. Et bien des années plus tard, après les tragiques événements d’octobre 1988, j’ai rejoint l’équipe d’Alger-Républicain en écrivant mon premier article sur l’écrivain américain William Faulkner. Je ne suis pas resté longtemps à Alger-Républicain, je suis parti au Quotidien d’Algérie où je suis devenu le chef de la rubrique culturelle que j’avais intitulée Racines. C’est dans ce journal que j’ai publié mes premières nouvelles. J’ai dédié l’une de ces nouvelles à un grand ami, lui aussi poète, Youcef Hallil : le jour de son mariage, j’ai publié dans ce quotidien une nouvelle racontant justement son mariage. Toute sa famille fut émerveillée par ce cadeau de mariage d’un autre genre. Puis je suis allé de journal en journal : El Djazira, El Haq, L’Evénement, la Nation, l’Opinion, la Tribune, le Jeune Indépendant, le Quotidien d’Oran, Algérie-news et d’autres publications encore. Entre-temps, j’avais publié mon premier livre, un recueil de poésie, Les Enfants du brouillard, à Paris, au mois de novembre 1995. Le journalisme m’a permis de perfectionner encore plus mes écritures. Après les Enfants du brouillard, j’ai publié à Alger l’un des tout premiers livres des éditions Barzakh, au mois d’avril 2000, c’est un recueil de dix nouvelles, L’âme de Sabrina, c’est un livre que j’ai écrit principalement dans la rédaction du quotidien la Tribune. Quand j’avais terminé mes articles de la journée, je prenais un poste d’ordinateur et je me plongeais dans mes nouvelles malgré les bruits assourdissants de la salle de rédaction.
Vous-êtes auteur de plus de plusieurs livres. Quel est le secret de cette création prolifique et merveilleuse ?
J’ai fait sortir jusqu’à maintenant 17 livres. Le secret c’est juste la passion de l’écriture, la passion de la création. Au fil des années, l’écriture est devenue le pilier de ma vie, tranquillement. Je lis et j’écris chaque jour ; les mots sont mon oxygène, les mots m’aident dans la vie de chaque jour. Les mots m’ont appris la quête de la sagesse, la quête de l’humain et de l’humanisme. Les mots m’ont appris la simplicité et l’humilité. Les mots m’ont appris que nous ne sommes que des passagers sur Terre. Les mots m’ont appris qu’on peut exister avec le minimum, sans vouloir être meilleur que les autres, sans vouloir les écraser. Les mots m’ont appris que la vie est merveilleuse, que chaque instant est un trésor. Les mots m’ont appris qu’il faut toujours tenter de comprendre l’autre même quand il ne pense pas comme nous, même quand il est différent de nous. J’ai écrit des poésies, des nouvelles, des romans, des essais politiques. Quand je rencontre des femmes et des hommes qui me racontent ce que j’ai écrit, quand ils me disent du bien de mes romans, je me dis que cette passion des mots me donne tant de bonheur. Que ce soit dans L’Homme qui n’avait rien compris, La Porte de la mer, La Cinquième mascarade ou encore Les Etoiles se souviennent, j’ai essayé à travers le roman de raconter la vie des femmes et des hommes, avec leurs souffrances, avec leurs combats dans un monde souvent impitoyable. L’écriture est aussi ce territoire du partage, ce territoire du questionnement qui ambitionne de rendre l’homme meilleur. A ma manière, j’ai essayé à travers mes livres de faire entendre ma voix, celle d’un enfant né sur les hauteurs de l’Akfadou, qui a parcouru des chemins, qui veut apporter un peu de chaleur dans le cœur des plus démunis.
Que représentes la poésie pour vous ?
La poésie, c’est probablement ce désir mystérieux d’être en harmonie avec le cosmos. Mais pas seulement ; la poésie échappe à toute définition rationnelle, c’est une énigme. Tout le monde peut écrire de la poésie et pourtant ce n’est pas tout le monde qui écrit de la poésie. Tout le monde peut apprécier la poésie et pourtant ce n’est pas tout le monde qui apprécie la poésie. Depuis la nuit des temps, les femmes et les hommes disent ou écrivent de la poésie. Certaines poésies sont devenues immortelles. Depuis la nuit des temps, des femmes et des hommes vivent dans une espèce de poésie quand ils ne trichent pas, quand ils sont à l’écoute de l’autre, quand ils se préoccupent plus des autres que d’eux-mêmes, quand tous leurs gestes n’ont aucune arrière-pensée. Car la poésie ce ne sont pas seulement des mots, ou des chants, ce sont aussi des manières d’être, des manières de penser, des manières de respecter la nature. J’ai eu la chance de lire des centaines de livres de poésie d’auteurs venus des quatre coins du monde ; tous ces poètes sont devenus mes frères en humanité. Il me suffit de penser au bonheur d’avoir lu quelques belles poésies pour que ce même bonheur vienne me retrouver où que je me trouve.
Vous-êtes aussi journaliste dans la presse écrite et à la télévision. Que pouvez-vous dire sur cette expérience ?
Oui je suis également journaliste. J’ai travaillé dans plusieurs rédactions en Algérie et en France. J’ai fait de la télévision, de la radio et j’ai écrit dans plusieurs sites internet. Le journalisme est également l’une de mes passions. Au CNET de Sidi-Aich, je lisais chaque jour le journal en cachette, car cette lecture était interdite à l’époque par la direction du collège. J’étais interne et chaque jour je donnais de l’argent à un ami externe qui m’achetait des journaux. Au lycée Mira de Bouira, j’avais plus de liberté, et c’est là que j’ai découvert les revues Sciences et Vie, Spoutnik, le Nouvel Observateur et tant d’autres. J’étais donc déjà un grand lecteur de journaux avant de devenir journaliste. J’ai eu la chance de venir à la presse, après avoir démissionné du secteur industriel (car je suis ingénieur d’état en géologie pétrolière, j’ai fait l’IAP de Boumerdès), à une période où la presse algérienne avait une grande liberté de ton ; c’était juste après les tragiques événements d’octobre 1988. A Alger, j’ai fait plus de 20 rédactions. Ces multiples expériences m’ont permis d’avoir une vaste idée du métier et de ceux qui le font. A Paris, j’ai dirigé la rédaction de l’hebdomadaire le Kabyle de Paris, j’ai écrit dans la revue Ubu, j’ai écrit dans le magazine Le Point, dans le quotidien Ouest-France, tout comme j’ai animé durant cinq ans une émission littéraire, Graffiti, sur BRTV. Le journalisme est un métier passionnant malgré les pressions, malgré les contraintes des lignes éditoriales, malgré les rapports de force que les autorités tentent parfois d’imposer. A bien des égards, le journalisme est une expérience qui fait grandir.
Vous avez animé un café littéraire à Paris durant plus de 3 ans. Que pouvez-vous nous dire sur ces rencontres ?
Oui j’ai animé durant plus trois années le Café littéraire parisien de l’Impondérable, au 320 rue des Pyrénées, dans le 20e arrondissement. J’ai dès le départ interdit une seule chose : l’insulte. J’ai insisté pour faire comprendre à tout le monde qu’on peut toujours dire à l’autre qu’on n’est pas d’accord avec lui sans l’insulter. Et durant ces trois années, nous avions ainsi fonctionné dans la convivialité, dans des débats sans aucun tabou ; plusieurs écrivains, plusieurs artistes sont passés dans ce Café littéraire. Tout le monde garde un souvenir impérissable de ces rencontres. J’ai vu des femmes et des hommes transformés par ces débats ; je les ai vus devenir meilleurs et aller à l’essentiel dans leur manière de voir les choses ou de poser les questions. J’ai moi aussi beaucoup appris de ces rencontres.
Que pensez-vous de la littérature algérienne actuelle ?
La littérature algérienne est aujourd’hui plurielle ; elle s’écrit dans plusieurs langues et dans plusieurs pays. J’avoue qu’il y a beaucoup d’écrivains algériens que je connais peu, j’avoue aussi ignorer beaucoup des récents livres parus en Algérie. Mais je reste persuadé qu’il y a toujours des pépites dans cette littérature. Je sais aussi que beaucoup d’écrivains algériens de talent ne sont pas médiatisés alors que ceux qui le sont, ici et là, ne sont pas forcément les meilleurs.
Comment vous voyez l’Algérie de demain ?
L’Algérie est un pays immense, c’est un pays-continent. L’Algérie est un pays qui peut faire cent fois mieux à tous les niveaux. L’Algérie doit donner sa place à chaque citoyen. Il n’y a que la démocratisation réelle du pays qui peut apporter la liberté, la justice sociale, la dignité. Les autorités ont tout à gagner en écoutant les demandes du Hirak, ce mouvement pacifique qui veut faire renaître le pays. La démocratisation réelle du pays n’est pas une utopie ; la démocratie n’est pas étrangère en Afrique du Nord. Durant près de quatre siècles, les villages kabyles étaient gérés démocratiquement par le système des fédérations. Les responsables des fédérations étaient réélus chaque année !
Quel est le dernier livre que vous avez lu ?
Je suis un grand lecteur. Le dernier livre que j’ai lu est un texte de Victor Hugo intitulé « Ce que c’est que l’exil ». C’est mon frère Hamza, que je salue ici, qui me l’a envoyé d’Italie. L’exil est un thème majeur dans beaucoup de romans à travers le monde. J’en parle moi-même longuement dans mon roman, L’Homme qui n’avait rien compris.
Quels sont vos projets artistiques ?
J’ai de nombreux projets mais rien ne presse. Après la sortie de ma quatrième version de mon Histoire de la Kabylie, je publierai probablement un texte intitulé, Les Blessures de l’insoumission, c’est un journal parisien sur dix ans : 2005-2015. Je termine également un nouveau roman que je ferai sortir plus tard.