9.9 C
Alger

Yves Bonnet, ancien chef du contre-espionnage français: « Les accusations contre l’armée et le DRS viennent de repentis ! »

Yves Bonnet, ancien chef de la Direction de Surveillance du Territoire, DST, contre-espionnage français, est une référence en matière de renseignement et de lutte contre le terrorisme. Il évoque, dans cet entretien, la coopération avec les services de renseignement d’Algérie, dans la lutte contre le terrorisme. Il est aujourd’hui, l’un des responsables d’une association des victimes du terrorisme. Yves bonnet d’après lequel les services de renseignement de l’Algérie ont été les premiers à avoir identifié Oussama Ben Laden, répond à ceux qui, aujourd’hui encore, accusent l’armée algérienne et le DRS d’avoir perpétré des massacres dans les années 1990. Ancien préfet, Yves Bonnet qui a milité pour la restitution par la France des archives à l’Algérie, parle de la mémoire historique.

Lors de votre passage a la DST vous avez été témoin de l’importance de la coopération avec les services de renseignement algériens en matière de lutte anti terroriste. Parlez-nous en. 

Yves Bonnet : Je revendique pleinement l’ouverture de relations de travail – qui sont rapidement devenues amicales – avec la SMA algérienne. Je considérais alors qu’il n’existait aucune raison de ne pas étendre à l’Algérie les relations que la DST entretenait avec les services marocains et tunisiens. 

J’ai alors usé de mon autorité pour imposer ce qui ne paraissait pas une évidence à beaucoup.  Le processus s’est mis en place en 1983 et le premier acte concret en a été la rencontre que j’ai eue à l’hôtel Crillon avec le colonel Lakhal Ayat et le commandant Smain Lamari. Je leur ai rendu cette visite en janvier 1984, à Alger, bien entendu. Nous sommes alors convenus d’échanger sur les sujets tenant à la sécurité de nos Etats respectifs et d’échanger, selon les règles observées par tous les services amis en la matière à savoir : la liberté de répondre ou non aux demandes du partenaire, l’engagement de ne jamais mentir, la confidentialité totale des échanges. Ainsi je n’ai jamais livré à d’autres services y compris occidentaux ni l’existence de ces relations avec la SMA ni, a fortiori, leur contenu. Je n’ai eu qu’à me féliciter de ces relations sans nuage et pour nous, fructueuses. Quand j’ai quitté la DST la première personnalité à m’exprimer ses regrets a été le colonel Ayat. Par la suite, la SMA a continué à me considérer comme un partenaire ami, y compris quand je suis devenu parlementaire.

En 2012, vous avez declaré que les services de renseignement algériens avaient été les premiers a avoir identifié Oussama Ben Laden. Parlez-nous en.  

YVES BONNET : En 1993, j’ai écrit un livre intitulé « lettre à une Algérienne » et j’ai sollicité Smain Lamari au sujet des activités terroristes du FIS et des GIA. En parfaite connaissance de cause, il m’a fourni des indications précises et précieuses qui figurent dans mon livre en particulier celle relative à Oussama Ben Laden qui était alors totalement inconnu en France. J’ai donc été le premier à parler de ce personnage. Pour parler franchement, j’ai même redouté que ledit Ben Laden ne m’attaque en diffamation, car je n’avais que la parole de Smain que je n’aurais évidemment pas trahi.

Vous avez également précisé que l’Algérie a fait face dans les années 1990 au terrorisme par ses propres moyens. Que diriez-vous aux partisans du « qui tue qui? » qui accusent les services de renseignement algériens de crimes commis par les groupes armés ?

YVES BONNET : C’est une triste évidence que l’isolement de l’Algérie dans ces années difficiles. Dès mon arrivée à l’Assemblée, j’ai été désigné comme président du groupe d’amitié France-Algérie, le plus nombreux de tous les groupes d’amitié avec plus de 50 membres mais dont l’existence posait un problème de principe puisque l’Algérie n’avait pas de Parlement. Nous avons alors considéré que le Conseil de transition était une sorte d’Assemblée et je suis rapidement parti pour Alger afin de concrétiser cette décision. Nous étions en 1993 et mes meilleurs appuis étaient les hommes de la SMA et l’Armée algérienne. Grâce à eux, j’ai pu rencontrer, quand je le demandais, tous les responsables politiques de l’époque, y compris le général Zéroual, Sid Ahmed Ghozali, tous les ministres de l’intérieur successifs, et presque tous les autres ministres : Benbitour, Benachenou, Benflis, Ouyahia, Redah Malek, Leila Aslaoui, Saïda Benhabiles, Anissa Benameur, Aicha Barki, les chefs des services de sécurité que je citerai nommément, Ali Tounsi, le général Bendaoud, le général Toufik, le général Touati, le Dr Benhamouda, Khalida Messaoudi, le Dr Rezag-Bara, ainsi que de nombreuses personnalités, et bien sûr, à chaque fois, Smain Lamari.

Dans le même esprit,  j’ai rencontré à de multiples reprises le général Nezzar, Ali Haroun, Saïd Saadi, Mahfoud Nahnah et, grâce à lui, les ministres de sa formation, Sans compter les ambassadeurs que je voyais à Paris.  

A cette époque, côté français, personne ne venait en Algérie et la stratégie d’isolement du pouvoir dit des militaires fonctionnait bien avec l’appui de nombreux soit-disant spécialistes de l’Algérie qui n’y mettaient jamais les pieds ; et de la plupart des hommes de la gauche voire de la droite, ce sont ces ignorants des réalités algériennes qui ont véhiculé la théorie grotesque du « qui tue qui ? » 

En tout cas, les Français étaient mal placés pour parler des « sévices » et des « crimes » commis par l’armée algérienne ayant couvert pour beaucoup ce que nous-mêmes avions fait durant la guerre. J’ai expliqué tout cela dans mon livre le « berger de Tougourt ».

Quand, revenant d’Algérie, je disais ma confiance en l’Algérie et ses dirigeants et en son peuple – ses femmes surtout – un seul journal m’ouvrait ses colonnes, « l’Humanité ». Il était évident que l’initiative des crimes et des exactions venait des rangs des terroristes, S’agissant des « crimes » imputés à l’armée algérienne, je n’ai qu’une observation de bon sens à formuler : l’armée algérienne étant une armée de conscription, formée d’appelés appartenant à toutes les classes de la population, comment se fait-il qu’aucun de ces soldats n’ait jamais dénoncé de telles exactions, alors que de nombreux jeunes Français rentrés d’Algérie, ont fait et continuent de faire?

Quelle relation vous liait au général Smail Lamari?

YVES BONNET : Ma relation avec Smain Lamari était et reste, au-delà de la mort, une relation d’amitié. On dit que l’Algérie avait averti Washington d’attentats terroristes avant les attaques du 11 septembre 2001.

Parlez-nous en de cette facette très peu connue du public?

YVES BONNET : Je n’ai aucun élément sur ce sujet. En revanche, le général-major Smain Lamari ne m’a pas caché qu’il entretenait des relations de service avec la CIA.

Avez-vous connu le général de corps d’armée, Mohamed Mediéne, dit Toufik, ancien chef des services de renseignements algériens, et le rôle qu’il a joué dans la lutte contre le terrorisme ? Parlez nous de cet homme qui était chef des services de renseignement algériens.

YVES BONNET : J’ai peu connu le général Médiène, ayant Smain comme interlocuteur privilégié. Je sais toutefois que Toufik a été un des chefs les plus actifs dans la lutte antiterroriste.

Quel est l’apport des services de renseignement algériens dans l’effort mondial de lutte contre le terrorisme?

Y V : Je ne peux parler que de la France : ce qui est établi c’est que si la France, principale cible des GIA en dehors de l’Algérie, a si bien tenu le choc, c’est grâce à la qualité des relations entre DST et DRS. L’allié algérien a largement contribué au maintien de la paix civile en France

Vous avez publié aux editions Casbah, en 2016, un livre sur l’assassinat des moines de Tibhirine, en 1996…

Y B : C’est un sujet sur lequel je veux clairement exprimer ma déception: j’ai écrit ce livre comme une contribution à l’Histoire, et les Editions Casbah ont accepté de me publier. Mais rapidement, les déceptions sont venues ; un ami algérien qui se reconnaîtra a décliné ma proposition de préfacer mon livre, après avoir accepté. Puis l’invitation officielle qui m’avait été adressée de participer au Salon du livre à Alger a été « oubliée » ; puis la diffusion du livre n’a pas été faite. Du tout. Je ne peux que penser qu’une censure s’est manifestée sournoisement contre cet ouvrage qui prend la défense de l’armée algérienne et de l’Algérie face aux incohérences de la politique française. Qui est derrière tout cela ? Plusieurs amis algériens m’ont proposé d’aller aux renseignements : aucun n’est revenu vers moi. Aucun journaliste ne s’est manifesté, aucune demande d’interview, rien que le silence. Bonjour la démocratie de M. Bouteflika, si c’est lui le responsable.

Que diriez-vous a ceux qui, aujourd’hui, attaquent l’armée et le DRS les accusant d’avoir perpétré les massacres dans les années 1990 ?

Y B : C’est une accusation souvent formulée qui n’a à ma connaissance jamais reçu le moindre commencement de preuve. Ce que je sais c’est que, si une force armée commet des exactions contre la population civile, il en reste forcément des traces. On a pu, à une époque récente, mesurer les actes de barbarie et les massacres commis par les Khmers rouges, ils ont été jugés et condamnés ; ceux commis au Rwanda aussi. 

Aucun des soi-disant crimes qui seraient le fait de l’armée algérienne n’a été démontré, preuves à l’appui. Ce qui est avéré en revanche ce sont les accusations infondées, les attaques gratuites contre des chefs militaires venant de « repentis » qui ne reculent pas devant la calomnie. J’ai moi-même été accusé d’avoir touché de l’argent liquide, accusation relayée par le journal « Libération ». J’ai gagné le procès en diffamation que j’ai intenté à ce journal. Que la réponse des services algériens à un terrorisme ignoble ait été ferme, je n’en disconviens pas. Mais de là à évoquer des massacres de villages entiers par des militaires déguisés en terroristes relève simplement de la calomnie.

Quel appel lancerez-vous au président français Emmanuel Macron, pour la reconnaissance des crimes commis pendant le colonialisme et l’amélioration des relations entre l’Algérie et la France?

Y B : J’ai toujours pensé que l’Algérie et les Algériens avaient le droit à la vérité, toute la vérité. Dès 1984, il y a près de 40 ans, j’ai proposé à Gaston Defferre ministre de l’Intérieur de rendre à l’Algérie les archives que nous détenons à Aix en Provence. Puis, régulièrement, j’ai réitéré cette demande. Puis j’ai demandé la restitution à l’Algérie de Baba Merzoug, et je suis allé jusqu’au cabinet du Premier  ministre, Fillon. J’ai même constitué une association pour cette restitution. Autant de gestes qui se sont heurtés à la mauvaise volonté des autorités françaises toutes sensibilités politiques confondues. J’ignore quel travail a pu faire M. Stora, autoproclamé « historien de l’Algérie ». Je ne suis pas sûr de la rigueur de ses investigations.

Articles de meme catégorie

- Advertisement -L'express quotidien du 11/12/2024

Derniers articles