En passant par un quartier de Bab El Oued, on ralentit pour voir une femme prête à jeter un sachet. La femme partie, on sort de la voiture et on découvre qu’il s’agit d’un tourne disques. On met de côté notre timidité alors que des jeunes nous regardaient de loin. On prend le grand sachet et on redémarre. Arrivés à la maison, on découvre non seulement le bon état de fonctionnement du tourne disque fabriqué dans les années 1970 par la SONELEC mais surtout quelques 45 tours de valeur dont ceux de Guerouabi, Omar Mekraza et Slimane Azem.
La voix de ce dernier nous ramène à l’itinéraire de ce grand chanteur qui n’a pas eu l’hommage qu’il mérite. Bien que les disques de Slimane Azem comme ceux d’autres chanteurs ne passaient pratiquement jamais à la radio algérienne, il s’est imposé grâce à ce don d’artiste et ses fans qui le suivent même s’il a vécu très loin de son pays, de sa villes, de son village.
Slimane Azem n’oubliera pas que âgé à peine de 10 ou 11 ans, il travaillait déjà dans les champs de vigne de la Trappe, près de Staoueli à l’Ouest d’Alger. Tout comme Cheikh Hasnaoui, Slimane Azem est parti très tôt en France pour connaître une vie assez tourmentée mais il n’oubliera jamais, son enfance, son village de Kabylie et la tradition qui l’inspireront pour écrire et chanter les plus beaux poèmes.
Parti en France alors que Hitler se préparait à la 2e guerre mondiale qui débutera deux années après son arrivée à Issoudun où il travaillera comme manœuvre dans une aciérie avant d’être appelé sous les drapeaux au tout début de la guerre. Une année après, il aura la chance d’être réformé. Il ira alors à Paris où il deviendra électricien dans le Métro de la capitale française mais il sera déporté vers l’Allemagne et aura une autre chance puisqu’il sera libéré avec l’arrivée des américains et la fin de la guerre.
Il n’a jamais oublié son village
Bien que vivant dans une ambiance moderne où les Charles Trenet, Henri Slavador et Tino Rossi faisaient fureur, Slimane Azem ne pouvait oublier les proverbes qu’il écoutait durant sa tendre enfance.
L’artiste allait aussi s’inspirer des fables de La Fontaine qu’il avait apprises par cœur à l’école primaire. Azem fera tout comme La fontaine qui s’était inspiré de Kalila Oua Dimna d’Ibn El Moqefaâ pour écrire ses célèbres Fables.
On retrouvera donc, des animaux comme exemple dans les chansons de Slimane Azem pour donner des leçons aux humains. Dans les poèmes de cet artiste, on retrouve aussi bien les poèmes de Si Mohand Ou M’hand, de Lafontaine, que du Slimane Azem lui-même. Il s’inspirait de ce qu’il écoutait dans son enfance et de l’environnement de son village de Kabylie qui était sa source de vie bien qu’il s’en éloigna à tout jamais.
Poète, chanteur, compositeur, Azem était un artiste complet. Ce chanteur prolifique qui a interprété plus de 170 chansons dont une près d’une centaine enregistrés sur disque s’adressait aussi bien qu’à l’émigré qui était toujours attaché à son pays qu’au villageois qui n’a jamais quitté sa kabylie.
Il s’adressait à tout le monde
Ses chansons s’adressent à l’ivrogne qui oublie de s’occuper de sa famille, à l’homme qui manque de dignité, ou à l’émigré qui oublie son origine. L’artiste s’inspire des dictons d’autrefois et n’hésite pas à user d’humour pour éclairer ses auditeurs. D’ailleurs, il a enregistré un disque humoristique avec Cheikh Noureddine.
En France, où il a vécu la plus grande partie de sa vie, Slimane Azem a rencontré les plus grands musiciens et chanteurs algériens avec lesquels il n’hésitait pas à collaborer. A ses débuts, c’est Mohamed El Kamel qui lui sera d’un grand apport. Parmi ses amis, il y avait également Salah Sadaoui et le dernier des grands maîtres de l’ancienne génération Akli Yahiatene qui lui avait rendu hommage dans une de ses chansons.
Né le 19 septembre 1918, Slimane Azem est mort le 28 avril 1983 à Moissac en France. Il a été parmi les plus grands chanteurs de l’exil aux côtés de Cheikh El Hasnaoui et Dahmane El Harrachi.
Slimane Azem compte encore des centaines de fans qui ont tenu à célébrer cet événement. Pour lui rendre hommage, on écoute son disque découvert dans un sachet…