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Pierre Stambul: Israël veut faire subir aux Palestiniens le même sort que les Aborigènes d’Australie

Pierre Stambul, est le porte-parole de l’Union Juive Française pour la Paix, UJFP. Il explique les raisons pour lesquelles Israël agresse les palestiniens et leur interdit El Qods. Il évoque l’allégeance de certain pays arabes, qui, explique-t-il, motive Israël contre El Qods.

L’Express : Depuis le début du mois sacré du Ramadan, la ville sainte d’El-Qods est le théâtre d’une série d’agressions des forces d’occupation israélienne en particulier après la prière des « Tarawih ». Qu’est-ce qui explique ces agressions, d’après vous ? 

Pierre Stambul: Dès la conquête de 1967, il y a eu un véritable nettoyage ethnique dans la vieille ville de Jérusalem avec l’expulsion de plus de 6 000 Palestiniens habitant près du Mur des Lamentations. Très peu de temps après, l’occupant a proclamé « Jérusalem capitale indivisible d’Israël » et, au mépris total du droit international qui lui intimait de se retirer des territoires occupés (résolution 242 de l’ONU), il a annexé un territoire 10 fois plus grand que l’ancien Jérusalem jordanien, allant de Ramallah à Bethléem et coupant la Cisjordanie en deux. Une politique très active de colonisation a été entreprise pour essayer de rendre les Palestiniens minoritaires dans ce qui aurait dû être leur capitale. Ce n’est pas encore fait, mais 220 000 colons sont installés dans Jérusalem Est (face à un peu plus de 300 000 Palestiniens). Les colonies sont de véritables villes bénéficiant de gigantesques infrastructures. Ainsi la colonie de Pisgat Zeev est reliée au centre de Jérusalem par un tramway construit par des entreprises françaises (Alstom et Veolia). Pendant longtemps, l’occupant a respecté le fait que la ville est un lieu saint pour les trois grandes religions monothéistes. Mais très tôt, des groupes intégristes d’extrême droite ont projeté de dynamiter l’esplanade des mosquées et de « reconstruire le temple ». Les provocations se sont multipliées avec la construction de tunnels sous l’esplanade. Quand je visite pour la première fois la mosquée Al-Aqsa en 1994 (peu après la première Intifada), il y a à l’entrée les tuniques ensanglantées des martyrs tombés lors d’une fusillade sur l’esplanade. Pour les Palestiniens fragmentés, enfermés, humiliés, subissant quotidiennement la violence des soldats et des colons, prier à Jérusalem est devenu un espoir, quel que soit le prix à payer, et beaucoup ont été emprisonnés en essayant d’aller à Jérusalem. De très nombreux partis politiques israéliens sont partisans de vider Jérusalem de sa population palestinienne par tous les moyens. En pleine crise politique en Israël, un parti ouvertement fasciste a obtenu 6 députés sur 120 à la Knesset (le Parlement) et le pays semble ingouvernable sans lui.

 Il y a d’autre part la politique expansionniste, et la décision de construire 540 unités de colonisation au sud-est d’El Qods occupée, et l’expulsion des Palestiniens de Cheikh Jarrah.  Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme note que toute expulsion forcée de Palestiniens pourrait constituer des « crimes de guerre ». Qu’en pensez-vous ?

Depuis des années, les quartiers de Silwan et de Cheikh Jarrah constituent une espèce de front à Jérusalem. J’étais à Silwan, en contrebas de la vieille ville, en 2010. Les Israéliens ont décrété, contre toute vraisemblance historique ou archéologique, que le roi David avait vécue à Silwan. Alors ils ont construit le Parc du roi David, le musée du roi David, la maison du roi David. Il y avait à l’époque déjà 1600 colons dans le quartier, il y en a à présent plus de 3500. Il est question de construire un téléphérique qui permettra l’arrivée de milliers de touristes dans ce pseudo-musée. Ces projets sont financés par des milliardaires juifs australiens ou états-uniens. Il y avait une tente de la résistance à l’entrée de Silwan et les enfants expliquaient que, quand ils partaient à l’école, ils avaient peur que leur maison soit occupée par des colons en leur absence. C’est hélas arrivé à de nombreuses reprises.  À Cheikh Jarrah, des jugements ont intimé l’ordre à des Palestiniens de détruire leurs propres maisons sous peine de prison et d’amende exorbitante. L’utilisation de la Bible comme un livre de conquête coloniale existait déjà à l’époque où des travaillistes « laïques » étaient au pouvoir. Elle s’est généralisée avec l’arrivée du courant national religieux au pouvoir. Alors que les historiens et les archéologues insistent sur le fait que des peuples, des langues et des religions très différentes ont cohabité sur cette terre pendant l’Antiquité et qu’à l’époque présumée de David et Salomon, Jérusalem était un petit village de l’Âge de fer, l’instrumentalisation de la Bible tente d’inventer une autre histoire selon laquelle seuls les Juifs auraient un lien avec Jérusalem. Sur l’ONU, cette institution a essentiellement brillé par sa lâcheté. Chaque fois qu’Israël a été condamné, il n’en est sorti aucune sanction. Le rapport de Richard Falk et Virginia Tilley qualifiant Israël d’État d’apartheid a été enterré par le secrétaire de l’ONU, Antonio Guterres. Par contre, l’ONU n’a jamais condamné le blocus de Gaza. En sera-t-il différemment sur le nettoyage ethnique en cours ? J’ai des doutes.

Pendant ce temps, le ministre des Affaires Étrangères du Maroc, pays qui préside le comité El Qods, participe à un dialogue avec le lobby israélien, American Israël Public Affairs Committee, (AIPAC). Qu’en dites-vous ?

Le régime marocain, contre l’avis majoritaire de son peuple, a choisi son camp, celui de l’impérialisme et du suprématisme. Il n’a jamais soutenu les droits du peuple palestinien. Déjà en 1967, le roi Hassan II avait informé les dirigeants israéliens sur les faiblesses des armées arabes. Les Palestiniens ont un très grand mépris pour ces féodaux qui se vendent sans vergogne à l’impérialisme américain et au sionisme. Les pays du Golfe imposent souvent à leur population, et en particulier aux femmes, un ordre rigoriste et obscurantiste au nom, prétendent-ils, de l’Islam. Or Jérusalem est un des trois lieux saints de l’Islam qu’ils n’hésitent pas à « donner » à leurs nouveaux alliés. J’ajouterai que l’AIPAC est une officine d’extrême droite du courant « néoconservateur » qui est très minoritaire chez les Juifs états-uniens. En majorité, même s’ils ne le formulent pas toujours sous forme de projet viable, les Juifs états-uniens souhaitent qu’on respecte les Palestiniens. S’allier à l’AIPAC, ce n’est pas un geste envers les Juifs, c’est un geste envers l’extrême droite suprématiste. 

La normalisation par quelques pays arabes des relations diplomatiques avec Israël n’a-t- elle pas encouragé l’agression contre les Palestiniens à Al Qods ?

C’est plus qu’évident. Les dirigeants israéliens sont persuadés que, grâce à cette nouvelle alliance, ils ont gagné et que les Palestiniens subiront le sort des Aborigènes d’Australie ou des Indiens d’Amérique du Nord, expulsés, dépossédés et enfermés dans leurs réserves. Cette alliance et l’immense fortune des féodaux du Golfe font qu’aujourd’hui le rapport de force militaire est totalement en faveur d’Israël. D’autant que la structure sociale des pays du Golfe les met (pour l’instant) à l’abri d’une contestation populaire. La majorité de la population est formée d’étrangers sans statut et soumis à l’arbitraire le plus total. Sur l’esplanade des mosquées, les Palestiniens renouent avec ce qu’ils ont fait dès la première Intifada : des pierres contre les fusils. C’est sans espoir militairement, mais ils espèrent que l’émotion causée par la violence de l’occupant l’affaiblira. À nous de leur donner raison.

Israël œuvre-t-il pour l’annexion de la mosquée d’Al Aqsa ? 

Il n’y a probablement pas unanimité sur cette question dans la direction israélienne. Certains savent qu’il y aurait un lourd prix à payer. Cela pourrait forcer les féodaux du Golfe à revenir en arrière. Cela déclencherait une crise avec la Jordanie (gardienne des lieux saints) et pourrait remettre en question les rapprochements avec divers pays musulmans. Toucher aux lieux saints musulmans était tabou autrefois. Le parti Kach du rabbin Meïr Kahane avait été interdit au début des années 80. Son descendant, le parti sioniste religieux, a obtenu  6 % des voix, autant que le parti travailliste qui a fondé Israël. Ce parti sans lequel le pays semble ingouvernable, demande la destruction de l’esplanade des mosquées.

Un centre de recherches israéliennes, un autre marocain et le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie, MAK, se rencontrent au Maroc le 28 mai 2021 d’après les médias. Israël œuvre-t-il pour le séparatisme en Algérie.  

De tout temps, Israël s’est appuyé sur les divisions du monde arabe et a essayé de les exacerber. En pleine guerre civile syrienne, ils ont soigné des djihadistes. En pleine guerre civile libanaise, ils ont armé les Phalangistes. Les Palestiniens qui sont rentrés dans ce jeu de division s’en sont mordu les doigts. Ainsi les dirigeants sionistes ont essayé de transformer les Druzes de Palestine en collabos et, au bout du compte, la loi sur « Israël État Nation du peuple Juif » en fait des citoyens de seconde zone. En France, les sionistes ont cherché et trouvé des collabos, comme l’imam Chalgoumi, régulièrement invité en Israël pour célébrer cette « démocratie ». Je dois préciser que je suis pour un strict respect des droits politiques et culturels de toutes les minorités partout et y compris au Maghreb. Je suis un fervent partisan du « vivre ensemble dans l’égalité des droits » au Proche-Orient, en Europe ou au Maghreb. Le MAK est un groupuscule qui ne représente absolument pas les Kabyles. Je suis heureux de militer à Marseille avec un Kabyle, laïque, défendant les droits des Kabyles, manifestant régulièrement pour soutenir les Kurdes et membre très actif du comité Palestine. Je le pense infiniment plus représentatif des Kabyles que le MAK.

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