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Slimane Zenati, membre du conseil national du Cnapeste«Toutes les colères referont surface à la prochaine rentrée si rien n’est entrepris…»

Slimane Zenati, membre du conseil national du CNAPESTE, revient dans cet entretien sur les attentes qui préoccupent le monde du travail. Il met en garde contre les dangers qui guettent le secteur de l’éducation et appelle à des réformes courageuses pour donner au pays une école foncièrement moderne et citoyenne. Pour lui,  seule une école forte  peut arrimer le pays  au train de l’émancipation et du développement.

L’Express quotidien : Le monde du travail est pris dernièrement d’une ébullition inédite . Plusieurs secteurs d’activités ont été touchés par des mouvements de grèves. Qu’est-ce-qui explique selon vous ce vent de protestation qui s’est emparé de tous les secteurs ?

Slimane Zenati : Il y a plusieurs paramètres qui expliquent cette situation. Il y a un effondrement social très frappant, ces dernières années. Le pouvoir d’achat s’est gravement rétréci. L’inflation a battu les records. Le dinar a continué à chuter malgré les promesses des pouvoirs publics à lui redonner des couleurs. La crise de l’emploi s’est nettement aggravée en raison des politiques de résorption du chômage mises en place. Les travailleurs et fonctionnaires tous secteurs confondus voient leurs acquis arrachés de haute lutte remis en cause. Leurs conditions socioprofessionnelles  connaissent une dégradation continuelle qui rend leurs horizons de plus en plus sombres. Aucune évolution n’est constatée dans leurs plans de carrière. C’est la stagnation dangereuse des salaires depuis une décennie. Malgré les hausses continuelles des prix des produits et des prestations, le point indiciaire et les grilles des salaires sont frappés d’un gel injuste. C’est constaté par tous, les pouvoirs publics vont à l’encontre des aspirations du monde du travail. Alors que le chaudron social bouillait de partout, les pouvoirs publics faisaient la sourde oreille, en évitant  le lancement d’un véritable dialogue social et des négociations sérieuses et responsables  avec les partenaires sociaux crédibles et véritablement représentatifs. Toutes les colères exprimées déjà par le monde du travail referont certainement  surface à la rentrée sociale prochaine si d’ici rien n’est entrepris dans le sens de répondre réellement aux préoccupations sociales.

Tous ces mouvements déclenchés dans ce contexte pandémique et de récession économique ne risquent-ils pas de fragiliser  la cohésion  sociale ?

C’est vrai que la pandémie du coronavirus, comme partout dans le monde, a impacté sur la situation sociale, néanmoins  on ne doit pas l’invoquer à tout bout de champ pour justifier les échecs des politiques mises en place dans tous les domaines de la vie publique. La cohésion sociale n’est pas mise en péril par les travailleurs qui se mettent en grève pour revendiquer leurs droits, mais plutôt par  la corruption, l’économie de prédation et les politiques antisociales suivies  par le système depuis des décennies. Le tout répressif employé par les pouvoirs publics  n’apportera rien de bon, sinon d’élargir davantage le fossé entre les gouvernants  et les gouvernés déjà sur le gril. Seul un dialogue social et des négociations réelles avec des acteurs sociaux crédibles peuvent éviter une déflagration sociale aux conséquences incalculables pour la stabilité du pays. La cohésion sociale et la stabilité de la nation dépendent du bien-être du travailleur et du citoyen en général. S’agissant des  appels anonymes appelant à des grèves lancés sur les réseaux sociaux, Le CNAPESTE n’a jamais cautionné ce genre de démarche !   Ce genre d’appels nous rappelle l’épisode  concernant les partis politiques qu’on a voulu isoler de la scène. C’est le même scénario qui est reproduit dernièrement pour jeter le discrédit sur le syndicat, notamment ceux autonomes et représentatifs.  Les débats menés au niveau des différentes structures  ont débouché sur le report des actions pour la rentrée sociale prochaine.

Le ministre de l’éducation a parlé de l’exploitation abusive et arbitraire du droit de grève. Qu’en pensez-vous ?

Pour parler d’exploitation arbitraire du droit de grève, il faudrait d’abord qu’il y ait régulièrement  de véritables dialogues entre les différentes parties. Il faudrait ensuite que les préoccupations soulevées par le monde du travail soient sérieusement prises en charge. A-t-on laissé au travailleur, autre que la grève, pour se faire entendre ?  Si aujourd’hui, les travailleurs et fonctionnaires recourent le plus souvent à la grève pour s’exprimer parce qu’au peu de cas et au mépris qu’on affiche à leurs revendications, ils savent que la grève est un droit constitutionnel et qu’ils doivent en user quand la situation l’exige ! Pour  ne pas arriver à ces situations de crise, c’est aux pouvoirs publics d’anticiper sur les évènements   en prenant à temps les préoccupations soulevées. Des pays qui  n’ont même pas le niveau de développement humain de l’Algérie tel qu’établi  par le programme des nations unies pour le développement (PNUD), sont mieux dotés en mécanismes de prise en charge des conflits sociaux. L’opinion publique doit savoir que le recours à la grève est imposé par le verrouillage de toutes les autres options. Les dialogues folkloriques auxquels nous ont habitués les pouvoirs publics n’ont fait que générer un rejet total, dont la conséquence est justement ce recours légitime à la grève. Quant aux déclarations du ministre de l’éducation nationale, il doit  reconnaître  que le secteur  vit un marasme généralisé. Qu’a-t-il apporté comme solutions à ce marasme ? De notre côté, on ne voit aucune évolution, sinon si ce n’est une régression !   Les moyens font défaut, le niveau ne cesse de dégringoler, la formation des enseignants laisse à désirer, la violence  fait des ravages au sein des établissements scolaires, l’exemple récent des enseignantes agressées à Bordj Badji Mokhtar en est un exemple, ce qui n’a pas manqué d’ailleurs les enseignants à réclamer l’élaboration d’une loi devant les protéger. … le ministre au lieu de s’atteler à résoudre tous ces défis  verse dans des discours approximatifs qui ne font qu’aggraver davantage la situation.

En tant que syndicat autonome, quelle lecture faites- vous de ces législatives ? Que peuvent-elles apporter à la grave crise politique que traverse le pays ?

Les Algériens et les Algériennes ont massivement  dit « NON » !  Ce cinglant refus d’aller aux urnes est un message clair au système de revoir sa copie. Le Hirak, fidèle à sa principale revendication, appelle à un changement radical du système, par la voie d’un processus  transitionnel politique négocié. Toutes les élections organisées par le système depuis l’indépendance à ce jour  sont entachées de fraude, de corruption et de vices de toutes sortes. Le peuple algérien ne s’est jamais réellement exprimé par les urnes  à ce jour, car ces dernières ne sont que des boîtes bourrées du système. Toutes les élections, de l’avis même des pontes du régime, ne sont que des simulacres destinés  à leurrer l’opinion nationale et internationale. Ce rejet historique montre que les Algériens  ne sont pas dupes et qu’ils ne se laisseront jamais entraîner dans des voies de régénération du système en place ! Le système vient de  créer une assemblée  préfabriquée qui n’apporterait rien  et qui ne serait vue par les citoyens que comme une kermesse. Cette énième fausse solution des décideurs ne fera qu’aggraver la crise politique actuelle. La solution est de mettre sur pied un gouvernement de transition avec comme mission la mise en place de tous les mécanismes pour le  lancement d’un processus  réel de renouvellement de toutes les instances élues ! Et dans ce processus, toutes les institutions de l’Etat doivent se limiter uniquement à leurs missions pour éviter tout cafouillage dans le renouveau du processus politique national négocié.

Je vous laisse le soin de conclure  

Tout le monde sait que tout développement d’un pays dépend du développement de son école. Le statut de notre école est en bas des standards mondiaux. Il y a un manque de courage à arracher l’école des griffes des archaïsmes et de l’idéologie qui l’a empêché  de s’émanciper.  Toutes les réformes  lancées  n’ont  jamais abouti justement en raison des résistances et du manque de courage  et des manipulations des pouvoirs publics. La réforme de l’école est une urgence qui doit se baser uniquement sur le triptyque : éducatif, pédagogique et scientifique loin de toute connexion avec les tendances  idéologiques. 

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