Il y a un peu plus de quatre siècles, la migration se faisait en « sens contraire »: ce n’était pas les subsahariens qui s’en allaient encombrer les pays d’Europe, mais les ressortissants de Venise, Gènes, Rome, Barcelone, Marseille, Berlin, etc. se bousculaient pour venir travailler au Grand Sahara, à Touat, Tidikelt, Gourara, Abalessa, Gao, Djenné, Tombouctou, Aoudaghoust, etc.
On s’en souvient du grand pèlerinage du roi Mansa Cancan Moussa vers 1324. Les chroniques historiques de l’époque, écrites par Al Omari, Ibn Khaldoun et Al Maqrizi en font état dans des détails à couper le souffle. Le pèlerinage à la Mecque de Kanga Moussa le rendit célèbre en Afrique du Nord et dans le Proche-Orient. D’après les chroniques médiévales, il part pour l’Arabie en 1324, avec sa suite qui comprend 60 000 hommes, 12 000 serviteurs et esclaves, des hérauts vêtus de soie et porteurs de bâtons d’or s’occupent des chevaux et des sacs. Moussa fournit tout ce dont a besoin la procession, fournissant nourriture aux hommes et aux animaux. Au sein de la caravane se trouvent aussi, selon certains récits, 80 dromadaires portant entre 50 et 300 livres d’or en poudre chacun. Il aurait emporté 12,75 tonnes d’or selon al-‘Omari, ou 10,2 tonnes selon Ibn Battûta, ce qui permet d’ailleurs de supposer que la région produisait plusieurs milliers de tonnes d’or par an. Dans chaque ville qu’il traverse, Moussa offre ses richesses. Il est aussi indiqué qu’il construit une nouvelle mosquée chaque vendredi, quelle que soit la localité où il s’arrête ce jour-là.
Tel était le Mali que vous ne connaissez pas. Vous ne connaissez que le Mali d’aujourd’hui, région de guerre et de contrebande. L’or ? il en reste. Mais où le trouver ? C’est ce que s’échinent à chercher les jeunes maliens pour échapper à la misère quotidienne.
Ainsi, depuis le début des années 2000, on assiste à un fort développement de l’orpaillage, autrement dit l’exploitation artisanale de l’or, au Sahara et au Sahel. Regard sur cette situation, en deux volets, avec pour commencer un entretien avec le géographe Géraud Magrin qui dresse un état des lieux des ruées vers l’or qui ont enflammé cette partie de l’Afrique.
Géraud Magrin est professeur de géographie à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et directeur de l’UMR Prodig (Pôle de recherche pour l’organisation et la diffusion de l’information géographique), spécialisé sur les activités extractives en Afrique et auteur d’articles parus dans Hérodote en 2019 sur les ruées vers l’or au Sahara Sahel et sur l’or en Mauritanie dans la revue l’Espace Politique en 2020.
L’Afrique connaît-elle une intensification de son exploitation aurifère ?
Depuis le début des années 2000, l’Afrique connaît une nouvelle intensification de l’exploitation de son or, mais ce n’est qu’une nouvelle page d’une histoire très ancienne. Depuis l’époque romaine, l’exploitation de l’or a été le support de construction politique importante en Afrique de l’Ouest notamment par le royaume du Mali. Des provinces anciennes de cet empire, qu’on appelait le Bambouk et le Bourré, situées à la frontière de la Guinée et du Mali, ont été d’importantes zones de production d’or depuis le Moyen-Âge. Le pays Akan, entre le Ghana et la Côte d’Ivoire, le pays Lobi entre le Burkina et la Côte d’Ivoire ont aussi produit de l’or depuis extrêmement longtemps, comme la vallée du Nil l’a fait depuis l’Antiquité. Dans ces régions, l’exploitation a été plus ou moins intermittente. Il y a eu des moments où elle a été très intense et d’autres où elle l’était moins, en fonction de l’évolution politique et du contexte économique global. D’une manière générale, avec la découverte du Nouveau Monde par les Européens à la fin 15e siècle, l’or africain a perdu de son poids géopolitique au niveau international.
Or, depuis le début des années 2000, on assiste à un nouveau développement de l’activité aurifère sur le continent. A la suite des encouragements institutionnels de la Banque Mondiale dans le cadre de plans d’ajustement structurel, des codes miniers ont été refaits pour rendre plus attractif l’investissement industriel dans l’or et dans la même temporalité, on a vu une intensification de l’exploitation artisanale de l’or. En parallèle, l’augmentation du prix de l’or au niveau international a joué un rôle important. Les cours de l’or ont commencé à augmenter progressivement au début des années 2000 et puis vers 2005-2006 cette hausse s’est accélérée. Elle ne s’est pas ralentie avec la crise économique de 2008-2009 qui a pourtant touché beaucoup de matières premières, car l’or est apparu à ce moment-là comme une valeur refuge. Les cours sont restés très élevés, ils ont un petit peu baissé en 2011-2012 et puis en 2017, mais ils sont repartis à la hausse en 2018 et maintenant ils sont à des niveaux historiques très élevés. L’once d’or en 2004 était à 400 dollars, en juillet 2019 elle était à 2000 dollars. Donc ce haut niveau du cours de l’or au niveau mondial est un élément contextuel important pour expliquer l’intensification de l’exploitation de l’or.
Peut-on parler de ruées vers l’or au Sahara et au Sahel ?
Il y a des endroits où l’exploitation de l’or était connue depuis longtemps et ne s’est jamais vraiment arrêtée, même s’il y a eu des périodes où cela avait ralenti comme au Burkina Faso, au Mali, en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Ghana et dans le sud-est du Sénégal. Dans ces régions d’Afrique de l’Ouest, où il y avait une ancienne exploitation artisanale de l’or, celle-ci s’est intensifiée dans le contexte des années 2000. Donc on ne peut pas vraiment parler de ruée dans ce contexte-là, mais on a eu une augmentation parfois très importante avec l’apparition de nouveaux sites et l’arrivée de gens venus exploiter l’or.
En revanche, on a davantage parlé de ruée vers l’or un peu plus au nord en Afrique sahélo-saharienne avec des déplacements massifs de populations venues exploiter l’or. Cela a commencé au Soudan vers 2008-2009, dans la vallée du Nil, entre le Soudan et l’Égypte, puis il y a eu des ruées vers l’or dans le Centre-Sud du Soudan et puis dans le Darfour. On a eu l’impression alors qu’il y avait une sorte de front non linéaire qui se déplaçait par zone géographique. Cela a commencé au Soudan, puis vers 2013 au Tibesti dans le nord du Tchad, à la frontière de la Libye, ensuite en 2014 au nord du Niger sur le plateau du Djado et dans le massif de l’Aïr. En 2016, on retrouve des ruées vers l’or dans le Tchad central vers le lac Fitri, en Mauritanie, entre Nouakchott et Nouadhibou et le long de la frontière avec le Sahara Occidental jusque dans la zone de Zouerate. Enfin, en 2018, de nouvelles ruées vers l’or apparaissent sur la frontière algérienne, au nord et nord-est du Mali dans la région de Kidal.
Dans toutes ces régions, le mécanisme est identique. Une nouvelle circule selon laquelle quelqu’un a trouvé de l’or quelque part. Souvent ce « quelqu’un » a été en lien avec des explorations géologiques qui ont été menées parfois pour le compte du gouvernement ou pour celui d’entreprises industrielles qui ont des permis de prospection. Il y a des cartes géologiques qui se sont affinées et des gens qui ont travaillé dans des bureaux d’études ou directement pour des entreprises minières parfois juste comme chauffeurs ou comme employés, sans forcément avoir des responsabilités particulières, qui vont jouer un rôle dans les découvertes par les populations des zones aurifères. Suite à cela, des exploitations artisanales apparaissent. Les plus importantes se structurent, mais vous avez aussi des ruées qui se déclenchent et au bout de quelques jours ou de quelques semaines, tout s’arrête. Certains sites vont fonctionner seulement quelques mois parce qu’on a trouvé plus intéressant ailleurs, ou parce que le gouvernement mène la vie dure aux orpailleurs, ou parce que les entreprises veulent les faire partir. On est donc avec ces exploitations artisanales dans une géographie extrêmement mouvante et instable, qui n’empêche pas, dans certains cas, des processus d’installation dans la durée et l’investissement dans des formes d’exploitation mobilisant des capitaux non négligeables.
Que représentent ces entreprises artisanales dans la région par rapport aux entreprises industrielles ?
Même si la ressource exploitée est la même, les réalités économiques, sociales et politiques sont très différentes. Des pays comme le Mali et le Burkina Faso ont chacun une dizaine de mines industrielles en production. En moyenne, sur chaque mine industrielle, il y a environ 2000 emplois, bien payés, mais cela ne représente que 20 000 emplois à l’échelle de pays de 15 à 18 millions d’habitants. À côté de cela, au Mali comme au Burkina, on estime qu’il y a 1,5 à 2 millions de personnes qui vivent de manière directe ou indirecte de l’exploitation artisanale de l’or. Le ratio en termes d’emplois est sans commune mesure. Par ailleurs, les mines industrielles fournissent des revenus aux entreprises, mais elles fournissent aussi des rentes aux États, qui peuvent représenter plus de la moitié des recettes budgétaires et de 60 à 80% des exportations, alors que la production des mines artisanales échappe, dans des proportions variables suivant les pays, au contrôle étatique.
Au Soudan, la situation est très particulière. C’est un pays qui a une exploitation artisanale d’or très importante, encouragée par le gouvernement soudanais qui n’a pas pu se doter de mines industrielles, car le pays était sous embargo américain en lien avec les tensions géopolitiques qui remontent à la fin des années 1990. Alors que sa rente pétrolière promettait de diminuer en 2011 avec l’indépendance du Sud-Soudan, l’État a encouragé l’exploitation artisanale de l’or sous son contrôle. La production d’or au Soudan est très supérieure à celle du Mali et du Burkina Faso, de l’ordre de 70 tonnes d’or par an : c’est l’une des productions les plus importantes d’Afrique et elle est pratiquement entièrement réalisée de manière artisanale, ce qui inclut des petites mines et des processus d’extraction et de transformation largement mécanisés.