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Alger

La libération telle que je l’ai vécue: A neuf ans on garde l’image de cet instant d’euphorie

Au lendemain de l’annonce du cessez-le-feu, par un beau matin printanier, des fillettes sont sorties sur la colline avec des drapeaux puis se sont mises franchement à courir en lançant des youyous. Au début, on ne comprenait pas cette scène, parce que même les mariages se faisaient dans la discrétion.

Puis tout s’arrêta subitement ; la peur s’installa de nouveau dans les âmes. A l’école, on avait peur des attentats car les échos qui nous parvenaient étaient atroces. La main de l’OAS était omniprésente, y compris dans notre école, au centre de Charon. Tout enfant, je pensais à en découdre avec les enfants de colons, nos camarades de classe, qui étaient bien habillés et qui occupaient les premières rangées, à distance respectable des enfants indigènes de peur de leur transmettre leurs poux.

Mais on n’en était pas encore là. Les échos terribles parvenant de la ville faisaient état d’attentats à l’explosif, y compris dans les écoles. Nous étions, toutefois, heureux parce que nous sentions que le monde autour de nous allait changer, sans savoir trop comment.

Nous assistions jusqu’au début d’été à la campagne menée par les militaires surtout, avec un signe qui ressemblait à une croix gammée, aux regroupements dans les centres des SAS pour distribuer des produits de première nécessité et des bonbons aux enfants afin de gagner la sympathie des indigènes dans les contrées lointaines, dans l’objectif de récolter un rejet massif du référendum pour l’auto-détermination. 

Puis vint le jour tant attendu. Toute la campagne se déversa sur le village colonial. On dansait, on courait dans tous les sens, on criait, on chantait des chants révolutionnaires. On était au bout de l’extase. Même les filles dansaient avec de larges robes, cédées par les filles de colons qui ont fui très tôt dans la matinée. Nous étions libres, enfin libres. Nous avons enfin droit à un pays, notre pays. Nos parents et grands-parents  n’ont pas vécu cet instant de bonheur. Ils sont nés et sont morts dans la nuit coloniale.

Et la fête continuait. Le lendemain nous sommes montés dans des camions qui nous ont amenés en ville, à Orléansville, où je n’ai vu que les jambes des foules, en m’accrochant à la main de mon frère aîné, pour ne pas me perdre. Nous sommes revenus à la tombée de la nuit. Et la fête continuait…

Les colons étaient partis, avec chiens et chats. Des tas de lingeries et de bidules ménagers jonchaient les rues du village. Les familles interdisaient à leurs enfants de porter leurs vêtements, qui sentaient l’alcool. Ainsi, disaient-ils. On s’amusait à les déchirer pour en extraire des élastiques pour en faire des tire-boulettes pour chasser les oiseaux.

Puis il y a eu la fantasia et le couscous pour tous. On courait dans tous les sens, dans une liesse à ciel ouvert ; on jouait, on rigolait, on chantait à tue-tête. Puis les familles bénévoles ont apporté le couscous, dans la grande place, près de l’Eglise, qui abritait un grand state de basket. On se préparait à manger mais, curieusement, le couscous ne fut servi qu’aux aînés. Nous avions compris alors que notre peuple était privé de tout, pendant des siècles. Nous avions compris que les adultes avaient le droit de manger. Nous comprenions cette fausse note, en espérant manger un jour à notre faim. Et les jours défilèrent sans que personne ne s’occupât des enfants qui avaient, eux aussi, survécu dans la privation. 

Les cours reprirent à l’école après de longues vacances. Et curieusement, mes maîtres m’interdirent l’accès à ma classe, parce qu’ils trouvaient que j’étais trop petit pour le CE2 et les livres scolaires ont été brûlés pendant la liesse de l’indépendance. J’ai dû me résigner même si j’ai pu obtenir un prix en CE1. Mais personne ne m’a cru. J’ai mis un temps indéterminé à remonter cette injustice et à reprendre goût aux études. Mais j’ai eu droit à la réussite, dans mon école, dans mon université, dans mon monde à moi, dans mon pays libre.

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