Une quinzaine de médias internationaux ont révélé l’un des plus grands scandales d’espionnage de la décennie dans lequel est impliqué le Maroc qui a mis sous surveillance des journalistes marocains et une trentaine de professionnels de médias étrangers.
Les révélations sur l’utilisation du logiciel espion israélien baptisé Pegasus, que publient cette semaine Le Monde et seize rédactions coordonnées par l’organisation Forbidden Stories, avec l’appui technique d’Amnesty International, se basent sur une liste de plus de 50 000 numéros de téléphone, présélectionnés par certains clients de NSO Group pour une éventuelle mise sous surveillance.
Pegasus qui permet de prendre le contrôle d’un téléphone, donne accès à l’intégralité du contenu de l’appareil ainsi qu’à son microphone et sa caméra. Parmi les pays utilisateurs : le Maroc.
Les numéros de nombreux journalistes marocains ont été sélectionnés comme cibles potentielles par le logiciel en question. « Depuis la révélation par Amnesty International, en 2020, de l’infection du téléphone du journaliste marocain d’investigation Omar Radi par le logiciel espion Pegasus, les journalistes marocains indépendants se doutaient bien qu’ils pouvaient être ciblés, eux aussi, par le programme de surveillance commercialisé par l’entreprise israélienne NSO Group.
Les listes de numéros de téléphone sélectionnés comme des cibles potentielles dans l’outil de NSO par plusieurs de ses clients, que l’organisation Forbidden Stories et Amnesty International ont partagées avec dix-sept rédactions, dont Le Monde, confirment qu’un service de sécurité marocain a utilisé Pegasus pour viser, de manière systématique, des journalistes critiques du pouvoir, et des dirigeants des grandes rédactions du pays.
Le numéro de Taoufik Bouachrine, directeur du journal Akhbar Al-Yaoum, qui purge actuellement une peine de quinze ans de prison pour viol, au terme d’ »un procès politique » selon sa défense, a ainsi été entré comme cible potentielle dans le logiciel espion de NSO, ainsi que sa femme.
Au-delà des cas précis d’Omar Radi et de Taoufik Bouachrine, ce sont tous les patrons de médias indépendants, ou presque, qui semblent avoir intéressé les services de renseignement marocains. Parmi leurs cibles potentielles, on trouve ainsi les fondateurs du Desk, Ali Amar, ou celui du site éléctronique Badil, Hamid El-Mahdaoui, condamné à trois ans de prison en 2018 pour sa « participation » au soulèvement populaire du Rif, (octobre 2016) sévèrement réprimé par le pouvoir en place. Les services marocains ont également sélectionné pour surveillance potentielle un téléphone utilisé par Omar Brouksy, ancien correspondant de l’Agence France-Presse et auteur de deux livres critiques sur Mohammed VI et les relations entre la France et le Maroc.
Edwy Plenel, Dominique Simonnot et les journalistes français ciblés
Les journalistes marocains ne sont pas les seuls à intéresser les services de renseignement du royaume. Une trentaine de journalistes et de patrons de médias français figurent sur la liste des cibles de Pegasus. A plusieurs reprises, le consortium Forbidden Stories et le Security Lab d’Amnesty International ont pu techniquement déterminer que l’infection avec Pegasus avait été couronnée de succès.
C’est le cas notamment d’Edwy Plenel, le fondateur de Mediapart, de Dominique Simonnot, ancienne enquêtrice du Canard enchaîné et désormais contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, mais aussi d’une journaliste du Monde.
Un téléphone d’une autre journaliste de Mediapart, Lenaïg Bredoux, a également été infecté. Spécialiste des violences sexuelles, thématique parfois instrumentalisée au Maroc contre des voix critiques du pouvoir.
Un autre patron de média, Bruno Delport, directeur de la radio TSF Jazz, a également été visé par l’utilisateur marocain de Pegasus – son téléphone, après analyse, présentait des traces d’infection.
Si les services marocains semblent avoir majoritairement visé des journalistes travaillant pour des rédactions dites de gauche ou au centre, les médias de droite n’ont pas été épargnés pour autant.
Les données analysées par les rédactions du « Projet Pegasus » ne sont pas exhaustives. Elles semblent ne couvrir qu’une dizaine de pays clients de ladite société NSO, alors que l’entreprise affirme en compter une quarantaine.