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Alger

Comment l’école algérienne a pris de faux raccourcis

 Finie l’ère d’Al Chanfara, Al Moutannabbi, Al Maârri, les figures de rhétorique et les tournures stylistiques qui faisaient rêver des générations de lecteurs et d’écrivains. Place à une langue squelettique, chétive, famélique, qui ne sert qu’au strict minimum des besoins quotidien : « loughat at-takhatoub ». C’est le style « langue fondamentale », « manuel scolaire » et « école fondamentale ». coup de gueule d’une psycholinguiste sans concessions ;

Naissance d’un projet :

Nous sommes en Avril 1947. L’Unesco investit un domaine-clef : L’éducation des peuples sous domination coloniale ; préparer les enfants des colonies à la soumission. L’Afrique devient la cible privilégiée de l’Organisation.

Comment y parvenir ? 

A travers une « éducation de base » « obligatoire pour tous » et une « standardisation » des cultures. « L’éducation de base doit permettre un dialogue rudimentaire (…) ». Un débat s’ouvre au sein de l’Unesco, sur les normes de la langue dans laquelle sera assurée cette éducation de base. 

En juin 1947 a lieu au sein de l’Unesco la première réunion d’experts chargés de définir les normes de la langue qui sera consacrée à l’éducation de base. La délégation américaine est constituée de militaires qui ont fait partie des services de propagande psychologique de guerre contre l’Axe. La délégation française est constituée d’intellectuels de renom. Des divergences sur le projet éclatent entre les deux délégations francophone et anglophone. L’essentiel des débats concerne les normes de cette  « langue de scolarisation ». L’idée d’un Basic English, et d’un français basique est née.

Naissance de nouveaux concepts :

Des concepts qui feront du chemin sont établis lors de cette réunion de juin 47 : 

– « Education de base » ;   

– « Langue de scolarisation » ;

– « Langue fondamentale » qui signifie élémentaire, basique, simplifiée. 

– « Langue  standard » ;  

– « Vocabulaire fondamental » qui signifie réduit, simple, concret, usuel, administré au compte-goutte.

Quelques jalons de la longue marche de cette langue naissante :

1950 : Le ministère français des affaires étrangères s’empare du projet de l’Unesco ; le « français basique » est adopté comme un instrument politique. Entre 1950 et 1960, des institutions (BEL, BELC, CREDIF) sont créées pour relayer la politique éducative de l’Unesco. Elles ont pour mission de mettre à jour des stratégies d’intervention  dans les pays africains. Une politique linguistique est née avec l’idée de production et d’exportation de modèles pédagogiques.

Le 1er Novembre 1951, le projet est dénoncé dans le journal « Le Monde », par 

la plume de Bertrand Poirot-Delpech (écrivain, journaliste et académicien).

1954 : Déclenchement en France d’une polémique violente contre ce projet dont les acteurs sont principalement des écrivains, des académiciens ; Jean Paul Sartre se joint à eux. Dans leurs analyses politiques prémonitoires, ces humanistes et anticolonialistes  accusent le Français fondamental (français basique) d’être une sorte de pidgin, de sabir … ».  

1954 : Inscription du projet au Parlement Français : Rejet de la proposition de 

loi à l’unanimité ;  La proposition de loi s’est soldée d’un échec total.

1955 : Un collectif d’intellectuels publie un pamphlet qui dénonce un complot de l’Unesco : « Français élémentaire ? Non ! ».  Le projet est qualifié de « dessein criminel ! » ;  un projet « de mutilation de la langue française » ; « de falsification du français » ;  « d’atteinte à l’intégrité de notre langue ! » ;  « Un complot contre notre langue ! » ; « Un attentat contre notre langue ! » ; « C’est la mort de notre langue ! » ; « C’est un Yalta linguistique ! » ; « La langue fondamentale ? Une langue croupion ! » ; « Un moignon ! » ; « Un monstre ! » ; « Une grosse farce ! » ; « Un bluff ! » ; « Une langue infirme et informe ! » ; « Eh bien nous ne marchons pas ! Qu’est-ce qu’une patrie qui n’a plus de langage ? » … 

Les enseignants français constituent un rempart contre le projet ; ils refusent d’exécuter un programme ségrégationniste envers les enfants des colonies.

Les Etats Unis. Dans les années 50 et le début des années 60, le « Basic English » 

constitue la langue de scolarisation des enfants des ghettos noirs. William labov, père de la sociolinguistique  intervient en personne dans la défense des enfants victimes de cette politique de ségrégation.

1964 : Tentative d’introduire le projet au Vietnam et au Maroc ; la tentative  s’est soldée par un échec.

Algérie : Naissance de l’arabe simplifié.

1964 : Introduction du projet. L’année 1964 correspond à la date de signature de l’accord de coopération pédagogique algéro-égyptien. A cette occasion, le Ministère Français des Affaires Etrangères s’interpose entre les deux parties par le biais d’une simple fiche pédagogique. La conception de cette fiche d’enseignement de l’arabe simplifié sur laquelle gestes et paroles de l’enseignant sont dictés a servi à bâillonner l’enseignant égyptien. De ce fait, enseignants égyptiens et algériens sont contrôlés à distance. Cette fiche démultipliée centuplée de manière mécanique est à l’origine de la mutation de l’école algérienne. 

         –  L’Algérie met en place une logistique extravagante au service de la fabrication de la nouvelle langue. Des algériens bénéficient de stages au ministère français des affaires étrangères pour assimiler les normes de fabrication de la langue simplifiée.  

        –  1965 : Parution des premières Instructions Officielles qui régissent l’école de l’indépendance.  Elles  sont une copie intégrale des commandements de l’Unesco de 1947. 

         –  1971 : Les nouvelles Instructions renforcent celles de 1965

         –  1980 : Les Instructions Officielles  consolident la généralisation d’un arabe simplifié et caricatural. A titre d’exemple, ces Instructions  du 8 juin 1980 prescrivent sept couleurs et 32 adjectifs  au  primaire ;  autrement dit : 1,16 couleur par an et 5,33 adjectifs par an. 

          –  1971 : Le projet resurgit en France. Tentative d’application du projet aux enfants d’ouvriers et de l’émigration.  Réactions en force des intellectuels français. Des ouvrages sont publiés pour dénoncer le projet : « L’école Capitaliste ». de Baudelot Establet.  « La mort du manuel ». de Francis Debyser.  Ces ouvrages  dénoncent « une langue de scolarisation fabriquée pour les enfants du  prolétariat … ». 

         – 1981  Introduction de la langue simplifiée dans les mosquées sur instruction de l’Unicef, du PAM, de l’Unesco et du Ministère Français des Affaires Etrangères. 

         – 1990 : Un nouveau texte Officiel  prescrit  un élargissement du projet aux enfants de moins de 6 ans. 

        – 1992 : Création du CRASC chargé de mesurer l’avancée de la langue simplifiée. L’évaluation de l’opération effectuée par une succession de sondages et enquêtes est confiée au Crasc.

La langue Simplifiée, une arme de Multinationales

        – 2000 : Des Multinationales s’emparent du projet. Introduction en Algérie du Groupe, Hachette-Editions, à travers ses deux filiales Sedia et Hatier. Prise en charge par ce Groupe de l’enseignement de la Langue Nationale. 

        – 2001 : Le manuel phare de la Réforme Benzaghou est élaboré par la filiale Sedia en arabe simplifié. Il est fin prêt bien avant la nomination de Benzarou à la tête de la Commission de Réforme. Ce manuel pour le CP, Classe Préparatoire pour 4-5 ans est utilisé sur le terrain bien avant que le CP soit institué. Ce qui signifie que la multinationale connaissait les conclusions de la Réforme Benzaghou avant M. Benzaghou. Le Prix des Editeurs a été décerné à ce manuel phare.  

A partir de 2001, la Multinationale publie des manuels parascolaires en arabe 

et en français simplifiés. Les principaux éditeurs pour enfants, se plient aux normes dictées par la Multinationale. 

        – 2003 : Le Ministère de l’éducation sélectionne la  multinationale Hachette pour les programmes de l’arabe et du français dans les normes dictée par l’Unesco en 1947.

Suite à l’expérience algérienne, la multinationale développe le créneau de la langue simplifiée pour enfants : Elle se spécialise dans deux lignes éditoriales :

L’une destinée au marché occidental qui consiste en l’édition de titres à caractère culturel ; c’est-à-dire des œuvres littéraires.

L’autre, destiné au marché du Monde Arabe et au marché Africain qui consiste en la production de manuels élaborés en langue simplifiée.   

–     2003 : Contrôle des écoles privées par la multinationale Hachette, à travers ses 

deux filiales SEDIA et HATIER. Un français simple et une sous-culture française leur sont fourgués à travers des manuels spécifiques interdits en France.

      –     2005 : Elargissement du projet de 1947, dans le monde arabe. Le Ministère des Affaires Etrangères Français crée deux bureaux  chargées de propager la langue simplifiée ; l’une au Caire; l’autre à Aman. L’information est annoncée triomphalement par le ministre Benbouzid.

      –   2009 : Application du 3ème commandement de 1947 à la langue Tamazigh. Transmuer ou transmuter le Tamazigh en Langue Standard ; car il faut fabriquer de l’homogène. L’instruction est explicitée dans le « Référentiel Général des 

Programmes » rédigé en 2005 et publié en 2009 par le Bureau de l’Unesco de Rabat et le Bureau d’ingénierie de Belgique (BIEF).

       –   2005 : Parachèvement du projet de 1947. Les normes de la langue simplifiée sont consolidées dans le programme de 2ème génération  qui englobe le Coran et l’Education Islamique. L’objectif étant de nous préparer à un Islam sans Coran. Affaiblir le Coran en le diluant dans les leçons d’éducation islamique.  Plus de 800 heures d’éducation islamique au programme ! Autrement dit plus de 800 heures d’ancrage, d’implantation de la langue simplifiée. Une vaste opération de confiscation du Coran conduite et manager par les nouveaux prophètes. 

       –  2007 : Algérie Introduction de la langue simplifiée dans la Bibliothèque  Nationale. La décision est prise à l’encontre de la Ministre, Mme Toumi, qui s’y était fortement  opposée. 

       –   2014 : Algérie. Inscription de la langue simplifiée au Parlement à travers le projet de loi relative au marché du livre. Ce texte porte deux définitions du livre. L’une  universelle concerne le livre pour adultes, l’autre locale ; elle définit le livre pour enfant comme la production des autorités publiques. Les autorités publiques étant les inspecteurs, fabricants de la langue simplifiée. Le projet provoque le limogeage de la Ministre de la Culture, Mme Labidi qui a mis le doigt sur la définition non scientifique du livre pour enfants.

Malika boudalia Psycholinguiste, élue femme de l’année en 1989Auteure du best-seller « L’école algérienne de Ben Badis à Pavlov » 

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