La situation socio-économique résultant tant de l’épidémie de coronavirus, des impacts du réchauffement climatique mais également d’une gouvernance bureaucratique, en panne d’imagination et d’anticipation est préoccupante, pouvant conduire à de vives tensions sociales et sécuritaires, voire à la déstabilisation du pays.
Depuis des années, de nombreux experts nationaux et journalistes alertent sur cette situation et non de certains soi-disant experts aux ordres qui, sur certains plateaux de télévision font des louanges contreproductives pour le pouvoir, créant un sentiment de névrose auprès de la population, donc sans impact.
Récemment le rapport de la Banque mondiale de juillet 2021 et des organisations patronales algériennes annoncent des fermetures en cascade de certaines activités. Après une croissance négative de moins 6% en termes réels, il faut s’attendre à une croissance très faible en 2021, un taux de croissance même de 3% se calculant par rapport à la période précédente, donc entre 0/1%, taux inférieur à la croissance démographique. Il faudra un taux de croissance de 8/9% sur plusieurs années dans le cadre des nouvelles filières internationalisées, pour absorber le flux de 350 000/400 000 emplois, nouveaux qui s’ajoutent au taux de chômage actuel dépassant en 2021 selon le FMI 15%, La dette extérieure rapportée au PIB est faible et les réserves de change de 44 milliards de dollars fin 2021 contre 194 le 1er janvier 2014 laissent encore des marges de manoeuvre, mais, ce montant n’est pas dû à la dynamisation de l’appareil de production en berne, mais essentiellement à la baisse drastique des importations, souvent sans ciblages qui a conduit à la paralysie de la majorité du tissu économique fonctionnant à environ 50% de ses capacités.
La dévaluation officielle du dinar de plus de 30% uniquement ces deux dernières années tant par rapport à l’euro que du dollar, avec un écart de 50% sur le marché parallèle, malgré les restrictions de voyage, en plus des 16 milliards de dollars de la planche à billet (environ 2100 milliards de dinars) que la banque d’Algérie projette d’injecter dans l’économie en espérant qu’ils ne servent pas à des activités et des salaires non productifs, des produits non subventionnés dont les prix s’alignent souvent sur le cours du marché parallèle, du fait du déséquilibre offre/demande accélèrent le processus inflationniste.
Le cumul du taux officiel de l’ONS, non significatif, le besoin étant historiquement daté, non réactualisé depuis 2011, entre 2000-2020 est source de la détérioration du pouvoir d’achat. L’Algérie de 2021 est donc toujours tributaire avec les dérivés hydrocarbures qui, d’ailleurs, connaissent une baisse en volume(pétrole et gaz naturel) d’environ 30/35% à environ 97/98% de ses recettes en devises. Il n’y a pas eu de réalisation de grands projets en 2020, le premier semestre 2021, mais uniquement des lettres d’intention qui n’engagent nullement les investisseurs étrangers. Si on lance sur le terrain et non sur le papier un projet PMI/PME le premier trimestre 2022, sa rentabilité ne se fera pas avant 2 à 3 ans et pour les projets hautement capitalistiques entre 5/7 ans sous réserve d’une véritable stratégie et la levée des contraintes bureaucratiques qui constituent le principal obstacle.
L’annonce par le président Abdelmadjid Tebboune lors de sa rencontre avec la presse nationale le 8 août 2021 d’ouvrir le capital des entreprises publiques y compris les banques au secteur privé, permettra-t -elle de dynamiser la croissance sans la levée de 10 contraintes devant impérativement faute de vision, éviter le passage d’un monopole public à un monopole privé spéculatif beaucoup plus néfaste? Premièrement, les filialisations non opérantes par le passé dont l’objectif était la sauvegarde du pouvoir bureaucratique. Or, c’est le fondement de la réussite tant de l’ouverture partielle du capital que d’une privatisation totale. Deuxièmement, le patrimoine souvent non défini (absence de cadastre réactualisé numérisé) pose la problématique de l’inexistence des titres de propriété fiables sans lesquels aucun transfert de propriété ne peut se réaliser.
Un exemple, en 1998-1999, pour l’hôtel El Aurassi les 50% du terrain n’étaient pas
comptabilisés et cela s’appliquant à bon nombre d’unités publiques qui avaient accaparé des terrains annexes sans l’aval des Domaines, Qu’en est-il aujourd’hui? Dans ce cadre, lors des avis d’appel d’offres, en 1998, bon nombre de soumissionnaires, à des fins spéculatives, étaient beaucoup plus intéressés par le patrimoine immobilier des entreprises publiques surtout dans les grandes agglomérations que par l’outil de production.
Troisièmement, les comptabilités défectueuses de la majorité des entreprises publiques et des banques, (la comptabilité analytique pour déterminer exactement les centres de coûts par sections étant pratiquement inexistantes, rend difficile les évaluations d’où l’urgence de la réforme du plan comptable actuel inadapté, rendant encore plus aléatoire l’évaluation dans la mesure où le prix réel de cession varie considérablement d’année en année, voire de mois en mois, de jour en jour en Bourse par rapport au seul critère valable, existant un marché mondial de la privatisation où la concurrence est vivace. Quatrièmement, la non-préparation de l’entreprise à la privatisation, certains cadres et travailleurs ayant appris la nouvelle dans la presse, ce qui a accru les tensions sociales. Or, la transparence est une condition fondamentale de l’adhésion tant de la population que des travailleurs à l’esprit des réformes.
Cinquièmement, la non-clarté pour la reprise des entreprises pour les cadres et ouvriers supposant la création d’une banque à risque pour les accompagner du fait qu’ils possèdent le savoir-faire technologique, organisationnel et commercial la base de toute unité fiable doit être constituée par un noyau dur de compétences.
Sixièmement, est la résolution des dettes et créances douteuses, les banques publiques croulant sous le poids de créances douteuses et la majorité des entreprises publiques étant en déficit structurel, endettées, surtout pour la partie libellée en devises sans un mécanisme transparent en cas de fluctuation du taux de change.
Pour ce cas précis, l’actuelle politique monétaire instable ne peut encourager ni l’investissement productif ni le processus de privatisation où la LF2 021 fait les projections de 142 dinars pour un dollar fin 2021, 149,71 dinars en 2022 et 156 dinars en 2023. Avec le dérapage accéléré du dinar et l’inflation, comment voulez-vous qu’un opérateur, avec cette instabilité monétaire, investit à moyen long terme sachant que la valeur du dinar va chuter d’au moins 30/50% sinon plus dans deux à trois années.
Septièmement, les délais trop longs avec des chevauchements de différents organes institutionnels entre le moment de sélection de l’entreprise, les évaluations, les avis d’appel d’offres, le transfert, au Conseil des participations, puis au Conseil des ministres et la délivrance du titre final de propriété ce qui risque de décourager tout repreneur, car en ce monde, les capitaux vont s’investir là où les obstacles économiques sont mineurs, le temps étant de l’argent.
Huitièmement, la synchronisation clairement définie permettrait d’éviter les longs circuits bureaucratiques et revoir les textes juridiques actuels contradictoires, surtout en ce qui concerne le régime de propriété privée, pouvant entraîner des conflits interminables d’où l’urgence de leur harmonisation par rapport au droit international.
Les répartitions des compétences devront être précisées où il est nécessaire de déterminer qui a le pouvoir de demander l’engagement d’une opération de privatisation, de préparer la transaction, d’organiser la sélection de l’acquéreur, d’autoriser la conclusion de l’opération, de signer les accords pertinents et, enfin, de s’assurer de leur bonne exécution.
Neuvièmement, analyser lucidement les impacts de l’Accord d’association avec l’Afrique, le Monde arabe, et de libre- échange avec l’Europe, toujours en négociations pour certaines clauses, pas l’Accord cadre, pour un partenariat gagnant-gagnant, qui ont des incidences économiques sur les institutions et les entreprises publiques et privées qui doivent répondre en termes de coûts et qualité à la concurrence internationale.
En résumé, l’Algérie est à la croisée des chemins et s’impose d’un discours de vérité, ni sinistrose ni autosatisfaction avec des promesses utopiques contraires à la réalité nationale et internationale, créant une névrose collective et la méfiance des populations vis-à-vis des discours officiels. Nous avons une population merveilleuse, y compris la diaspora, qui a fait preuve en des moments où la Nation est en danger tant par le passé que par le présent comme récemment avec cet immense élan de solidarité, la mobilisation de toutes les sensibilités qu’il convient de respecter par la tolérance, étant le moteur de tout processus de développement afin de faire de l’Algérie un acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine, elle en a toutes les potentialités pour devenir un pays pivot. Cela implique un retour à la confiance, une visibilité dans la gouvernance et un système de communication officiel transparent et des stratégies d’adaptation au nouveau monde en perpétuel changement.
Par Dr Abderrahmane Mebtoul