9.9 C
Alger

Bouteflika: Chronologie d’un règne sans partage

Après avoir exercé l’un des plus longs mandats, soit vingt ans à la tête de l’État, Abdelaziz Bouteflika, s’est éteint avant-hier soir, à l’âge de 84 ans, deux ans après sa démission le 2 avril 2019 sous la pression de la rue et de l’armée, suite au rejet de sa candidature à un 5ème mandat par des millions d’Algériens sortis dans la rue. 

Abdelaziz Bouteflika avait succédé en 1999 à Liamine Zeroual pour être réélu à la magistrature suprême pour trois mandats successifs, en dépit d’une santé fragile ayant marqué son troisième et quatrième mandat, suite un AVC en 2013.

Né le 2 mars 1937 à Oujda (Maroc), dans une famille originaire de la région de Tlemcen (nord-ouest), Bouteflika rejoint dès 19 ans l’Armée de libération nationale (ALN) qui combat l’armée coloniale française.

À l’indépendance en 1962, il devient à 25 ans ministre des Sports et du Tourisme, avant d’hériter un an plus tard du portefeuille convoité de la diplomatie, qu’il conserve jusqu’en 1979, une époque où l’Algérie s’affiche en leader du « tiers-monde ».

En 1965, il soutient le coup d’État de Houari Boumédiène, alors ministre de la Défense, qui s’empare du pouvoir en déposant le président Ahmed Ben Bella. S’affirmant comme le dauphin de Boumediene –  »le père qu’il n’a pas eu », dira ce dernier –, qui décède en 1978, il est pourtant écarté de la succession par l’armée puis de la scène politique sur fond d’accusations de malversations. Il s’exile à Dubaï puis à Genève.

C’est pourtant l’armée qui l’impose en 1999 comme candidat à la présidentielle. Plus de 35 ans après son premier poste ministériel, Abdelaziz Bouteflika accède à la tête de l’Algérie, auréolé d’une image de sauveur dans un pays déchiré par une guerre civile.

« Je suis l’Algérie tout entière », lance-t-il en arrivant au pouvoir. Sa priorité : rétablir la paix en Algérie, plongée dans une guerre sans nom depuis 1992 contre une guérilla islamiste (quelque 200 000 morts en dix ans, officiellement). Deux lois d’amnistie, en 1999 et 2005, convainquent nombre d’islamistes de déposer les armes.

Décennie noire et optique de réconciliation nationale

Les deux premiers mandats du président Bouteflika sont marqués par la promesse de mettre fin à la discorde et pense qu’il faut tourner la page du terrorisme coûte que coûte pour assurer le retour à la paix après une longue et terrible « guerre civile » connue sous le nom de la « décennie noire ». En septembre 1999, la loi de la « concorde civile » est votée et approuvée par référendum. Elle prévoit une amnistie partielle des islamistes armés. Les maquis se vident et plus de 6 000 hommes déposent les armes. Dans une optique de réconciliation nationale, il met en place des aides pour les familles de victimes de l’islamisme et libère les membres emprisonnés du Front islamique du salut (FIS).

En 2005, nommé président d’honneur du FLN par le 8e congrès du parti, Bouteflika convoque un référendum pour faire adopter un ensemble de mesures dont le but est de « restaurer la paix civile en Algérie ». Il propose ainsi de reconnaître le droit à des réparations aux familles de disparus, d’accorder une forme d’amnistie pour les membres de groupes armés non coupables de massacres, de viols et d’attentats à la bombe et de créer une aide pour les veuves et orphelins de membres de groupes armés tués. 

 L’article 46 de l’ordonnance d’application prévoit une peine de prison de 3 à 5 ans pour « quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international. »

L’intrigue 

Au début des années 2000, de violentes émeutes ont éclaté en Kabylie. Malgré cela, il est réélu dès le premier tour en 2004, avec près de 84 % des voix. Trois des cinq autres candidats dénoncent une fraude « à tous les niveaux ». Dès le début de son deuxième mandat, Bouteflika ordonne l’arrestation du directeur du quotidien Le Matin pour la publication de « Bouteflika, histoire d’une imposture ». Mohamed Benchicou y dresse le portrait d’un président « défaillant et sans envergure, intrigant, coupé de son époque, inapte à l’écoute, dépassé par ses charges ». 

En octobre 2008, le Parlement adopte à une écrasante majorité une réforme constitutionnelle qui supprime la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels. Ce vote ouvre la voie à un troisième mandat de Bouteflika, réélu avec plus de 90 % des voix le 10 avril 2009.

Le 15 avril 2011, alors que des émeutes et manifestations ont lieu depuis plusieurs mois en Algérie dans un contexte de protestations et révolutions dans le monde arabe, il annonce la mise en place d’une commission chargée de modifier la Constitution, une révision de la loi électorale, de la loi sur les partis politiques et du code de l’information. Ces annonces jugées tardives et peu novatrices ne convainquent pas la presse indépendante et la société civile.

L’année 2015 est marquée par l’arrestation de hauts gradés militaires anti-Bouteflika, le général à la retraite Hocine Benhadid (ancien chef de la région militaire du Sud-Ouest) et le général-major Abdelkader Aït Ouarabi (ancien chef de la lutte antiterroriste), ainsi que la mise en retraite du général Toufik. La presse rappelle alors la volonté d’Abdelaziz Bouteflika, lorsqu’il arriva au pouvoir en 1999, de s’affranchir du pouvoir militaire pour restaurer la puissance du poste présidentiel. Il dissout le DRS et le remplace par un nouvel organisme, le Département de surveillance et de sécurité (DSS), placé sous tutelle de la présidence.

Tribalisassion du pouvoir

Depuis l’arrivée de Bouteflika au pouvoir, la plupart des ministères ont été confiés à des personnes originaires de la même région que le président (Chakib Khelil, Noureddine Yazid Zerhouni, Djamel Ould Abbes, etc.). 

Jusqu’à la fin des années 2000, on pouvait ainsi dénombrer dans ses gouvernements successifs pas moins de douze ministres, sur une trentaine, natifs de Tlemcen ou de ses environs. Il y va de même pour les autres institutions (Conseil de la Nation, Conseil constitutionnel, police nationale, télévision publique). Dans un câble diplomatique en date de septembre 2008 et révélé par WikiLeaks, l’ex-ambassadeur américain à Alger David Pearce mettait en exergue cette tribalisassions du pouvoir au profit d’une seule région.

Liberté de la presse

La presse écrite se trouve fragilisée avec l’arrestation de journalistes en 2004, parmi eux Mohamed Benchicou, directeur du quotidien Le Matin, condamné en juin 2004 à une peine de prison. Quelques mois auparavant, ce dernier publie un livre dans lequel il brosse un portrait critique du président, Bouteflika : Une imposture algérienne. En 2007, Mohamed Benchicou écrit un autre livre après sa sortie de prison qui est intitulé Les geôles d’Alger. Bouteflika est vivement critiqué par l’association Reporters sans frontières qui l’accuse de tenter de mettre au pas la presse privée du pays. 

Bouteflika promettait en 1999 de respecter la liberté de la presse. Mohamed Tamalt, 42 ans, qui menait une grève de la faim pour protester contre sa condamnation à deux ans de prison pour « offense au président de la République » et « outrage à un corps constitué » meurt le 11 décembre 2016, après trois mois passés dans le coma. L’Algérie est classé à la 129e place (sur 180) au Classement mondial de la liberté de la presse établit par RSF en 2016.

Corruption

L’Algérie connait sous l’ère Bouteflika non seulement une explosion d’affaires de grande corruption (Khalifa, Sonatrach, autoroute est-ouest…) mais aussi une totale absence de volonté politique du pouvoir à lutter contre la corruption. Elle est depuis 2003 classée parmi les pays les plus corrompus du monde dans le classement de Transparency International. La corruption est, selon cette ONGI, un instrument du pouvoir, et de pouvoir, pour se maintenir en place quel qu’en soit le prix, tout en favorisant une totale impunité pour les puissants et en écrasant tout contre-pouvoir au sein de la société.

Politique économique : entre chômage et épuisement de pétrole 

À partir de 1999, l’Algérie profite d’une conjoncture économique très favorable due à la hausse du prix du pétrole. L’État mène alors une politique de grands travaux. Peuvent être cités la construction du métro d’Alger, d’un nouvel aéroport à Alger, les projets urbains de circulation dans les métropoles, l’autoroute est-ouest, ainsi que le parc immobilier qui connaît un boom sans précédent.

Cette stratégie de grands travaux semble relancer l’économie, mais certains observateurs restent méfiants quant à cette politique qui n’encourage pas l’entrepreneuriat privé. Le pays est devenu un immense chantier de construction : ainsi plusieurs entreprises étrangères s’y installent dans l’espoir d’être mandatées dans le cadre du programme économique de 150 milliards de dollars qui vise la création d’un million de logements pour la période de 2004 à 2009 ainsi que la construction, pour un investissement de 16 milliards de dollars, de l’autoroute est-ouest pour fin 2010.

Alors que le pays est un des plus jeunes du monde, le chômage frôle les 20 % et les réserves de pétrole s’épuisent.

Multiples hospitalisations

L’état de santé d’Abdelaziz Bouteflika fait régulièrement l’objet de spéculations dans les médias algériens et internationaux. Entre 2005 et 2019, il est plusieurs fois hospitalisé en France et en Suisse, notamment au Val-de-Grâce, à Grenoble et à Genève.

Le 26 novembre 2005, il est admis au Val-de-Grâce, officiellement pour être opéré d’un ulcère de l’estomac. Comme pour chacune de ses hospitalisations ultérieures, les informations communiquées sont très rares et l’état du président de la République fait l’objet de spéculations dans l’opinion et la presse . Un cancer de l’estomac est notamment évoqué (cette hypothèse sera plus tard corroborée par les révélations de télégrammes de la diplomatie américaine par WikiLeaks). Abdelaziz Bouteflika rentre finalement en Algérie le 31 décembre 2005.

Alors qu’il subit par la suite régulièrement des « examens médicaux périodiques », il est hospitalisé sous pseudonyme aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) en février et mars 2019 pendant deux semaines, soit une période plus importante que d’habitude, ce qui l’empêche de déposer lui-même sa candidature à l’élection présidentielle de 2019, ce qu’exige pourtant la loi.

Le mandat de trop

À partir du milieu des années 2000, sa santé défaillante suscite les interrogations de plusieurs médias algériens sur sa capacité à diriger le pays. En 2011, le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, évoque la nécessité « d’aller vers la relève ». Le 8 mai 2012, à Sétif, Abdelaziz Bouteflika prononce son dernier discours public.

Depuis ses problèmes de santé de 2013, l’état de santé du président algérien est jugé très préoccupant. Donné plusieurs fois pour mort, il vit depuis dans une résidence d’État médicalisée à Zéralda, et se déplace uniquement dans un fauteuil roulant notamment équipé d’un défibrillateur, et est atteint d’aphasie. Il ne peut faire campagne en 2014, prenant simplement la parole de façon très brève afin de remercier les électeurs lui ayant accordé un quatrième mandat. Par la suite, sa mobilité continue de se réduire et ses sorties se font de plus en plus rares1. La Tribune de Genève indique en mars 2019 que le président est « sous menace vitale permanente » à cause d’une « atteinte systémique à ses réflexes corporels » et de problèmes respiratoires.

C’est d’ailleurs son Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui fait campagne pour lui. Ses sorties se font de plus en plus rares mais chacune suscitait une polémique, quant à son état, hagard, amaigri, ne pouvant même pas bouger ou se tenir droit sur son fauteuil roulant.

Pour les Algériens, la fin de l’ère Bouteflika sera sans doute terminée à la fin du 4e mandat. C’était sans compter sur la volonté de son entourage et les cercles du pouvoir de le reconduire pour un autre mandat. Une « humiliation » de trop pour les Algériens qui sortent en masse le 22 février 2019.

Après plusieurs semaines de marches à travers le pays, durant lesquelles la Présidence propose un report du scrutin puis une prolongation de deux ans du quatrième mandat, et l’appel du chef de l’armée, Gaid Salah, à appliquer l’article 102 de la Constitution, Abdelaziz Bouteflika démissionne le 02 avril de la même année.

Articles de meme catégorie

- Advertisement -L'express quotidien du 11/12/2024

Derniers articles