Le dernier scandale révélé par les « Pandora Papers » succédant à celui des « Panama papers » a de nouveau braqué les projecteurs sur ce qui par définition doit rester discret, voire secret pour les opinions publiques qui ne doivent rien savoir des malversations à maintenir cachées. Beaucoup pour les lanceurs d’alerte !
Aujourd’hui, tout le monde l’admet. L’économie mafieuse internationale ne s’est jamais aussi bien portée qu’aujourd’hui. Rapports, travaux et révélations s’accumulent confirmant tous l’extraordinaire dynamisme de ces activités particulières ayant réussi à infiltrer des secteurs d’une extrême diversité. Ayant appris très vite à apprivoiser la mondialisation, des réseaux mafieux se sont organisés et maillent désormais la planète se jouant des frontières et des différences de législations. Ils ont su prendre comme modèle la façon dont les firmes transnationales les ont précédés en la matière.
Profitant de l’aubaine qu’a représentée l’explosion de la mondialisation libérale et financière depuis quelques décennies, ces réseaux en ont utilisé tous les rouages et en sont devenus, à travers de vastes opérations de blanchiment, des acteurs essentiels gagnant le statut d’interlocuteurs quasi-officiels. Car il faut bien profiter de ce qu’a rapporté son crime et utiliser en toute légalité ce qui a été acquis illégalement. Ainsi la libéralisation financière permet aux gagnants de la dernière vague de mondialisation de se rapprocher dans un bénéfice réciproque permettant aux uns de jouir de leur forfait moyennant une dîme raisonnable et aux autres d’accroître leurs profits et de pouvoir bénéficier d’une manne douteuse qui viendra gonfler leur trésorerie déjà bien confortable. Tout cela au détriment des perdants de la mondialisation, les États et leur souveraineté, les peuples et la démocratie. N’oublions jamais que la mondialisation est devenu le processus, présenté comme naturel, qui permet de faire ailleurs, sans entrave, ce qui est devenu interdit dans son pays grâce à l’élévation d’acquis sociaux et environnementaux. Nombreux, hélas, sont les pays qui s’inscrivent dans ce mécanisme de mise en concurrence en valorisant les pires aspects de leur attractivité. La logique du capitalisme est devenue ouvertement criminogène.
Le dernier scandale que révèle la presse mondiale et accusant les paradis fiscaux jouer un rôle pivot dans le fonctionnement de cette économie maffieuse confirme tout ce que les spécialistes avaient largement décrit. Le scandale du « Panama papers » avait pointé du doigt qu’une seule société – la Mossack Fonseca – et l’on sait que c’est par milliers que de telles officines prospèrent. Certains clients devant émarger à plusieurs.
Peu de domaines échappent à ces activités mafieuses. Commerces et trafics illicites ont de tout temps accompagné drogues et armes et généré d’immenses profits aussitôt réinvestis et étendus à d’autres secteurs lucratifs comme l’immobilier ou le tourisme. La prostitution, dont les profits ont servi à alimenter l’argent du banditisme et des gangs, s’est organisée en réseaux internationaux pratiquant le trafic d’êtres humains. La dislocation des Balkans et les soubresauts de l’Europe de l’Est ont ainsi dynamisé les réseaux de prostitution sur le continent, ainsi que ceux se livrant au trafic d’armes. Certaines zones se sont trouvé des spécialisations liées à des ressources naturelles comme l’héroïne en Asie, la cocaïne en Amérique latine, le hachich au Maghreb. D’autres ont profité de l’aubaine d’être sur des trajets utiles et ont prélevé des dîmes générant corruption et économie maffieuse. Les flux migratoires ont été immédiatement « accompagnés » de réseaux de passeurs et de fournisseurs de faux documents aussi bien durant le voyage qu’à l’arrivée. Candidats à l’exil et migrants sont aujourd’hui livrés à ce racket qui s’est organisé en réseaux. Les raretés, les réglementations, les fluctuations de prix se révèlent être des aubaines dans lesquelles s’engouffrent les trafiquants en tout genre, de métaux, d’organes humains, d’œuvres d’art. La contrefaçon est sortie de son domaine traditionnel des biens de luxe en inondant le marché de faux médicaments, causant des victimes chez les populations les plus démunies. Les grandes manifestations sportives et les grands clubs sportifs sont ouvertement suspectés de pratiques corruptives. L’informatique et les réseaux internet sont devenus des supports d’activités délictueuses dont les auteurs ont toujours un coup d’avance sur leur parade. La fraude fiscale sur les profits ou sur la TVA prospère même sur les marchés des permis négociable des émissions de gaz à effet de serre occasionnant de lourdes pertes de recettes aux États. Les paradis fiscaux sont certes de mieux en mieux recensés et cèdent peu à peu aux pressions internationales, mais restent toujours actifs au service tout à la fois des malfrats, des firmes, d’une minorité des plus riches, des banques et des États dont les plus grands protègent jalousement les leurs, les estimant nécessaires à leur prospérité économique.
Toutes ces activités ont besoin pour se développer de gagner des appuis et doivent donc laisser quelques miettes de leurs profits en corrompant pour s’assurer de protections nécessaires. Cette gangrène s’est développée à l’échelle de la planète et a affecté certains États à un niveau tel que l’on peut alors parler d’une véritable osmose entre milieux mafieux et pouvoirs. Cette image de marque colle à la réputation de certains pays.
Au cœur même de l’Europe, des micro ou pseudo États y ont trouvé leur raison d’être. Mais surtout le Luxembourg en a fait sa spécialisation internationale. Monsieur Jean-Claude Juncker, ex-président de la Commission européenne, était Premier ministre et président de l’Eurogroupe, lorsque son pays s’est engagé dans cette voie en négociant des avantages fiscaux particuliers aux firmes européennes leur permettant d’échapper aux fiscalités plus élevées de leur pays d’origine – le mécanisme du « tax ruling ». Ceci s’est traduit par un manque à gagner de recettes fiscales dans des pays accusés dans le même temps de déficits budgétaires trop élevés. Ainsi la main droite menaçait ceux qui étaient victimes des conséquences de ce qu’avait fait la main gauche. Hypocrisie ! Partout les États et les populations souffrent de ces pratiques dont l’idéologie dominante favorise la progression et qui restent encore insuffisamment réprimées.
Le pire, c’est que la plupart de ces activités respectent les règles légales et sont conseillées par maints cabinets d’avocats qui ont vite vu un filon de spécialisation, au point d’être devenus des rouages organiques annexes du système mis en place.
Le contrôle de la libéralisation de la finance qui a joué un rôle central dans la montée de ces activités mafieuses et criminelles doit constituer un levier décisif pour faire reculer ce fléau dont l’ampleur menace tout à la fois la souveraineté des États, l’exercice même de la démocratie et la morale publique. Les places financières offshore – les paradis fiscaux – ont proliféré et constituent le point d’arrivée de ces activités délictueuses. Tout y converge, s’y dissimule, se blanchit, y brouille les pistes et en repart à l’assaut de nouvelles affaires. Aujourd’hui des propositions diverses ont vu le jour, à commencer par celle qui recommande d’établir un cadastre financier mondial des titres financiers, actions, obligations et produits dérivés, dans le souci d’une plus grande transparence.
Ces scandales ne sont jamais révélés par la puissance publique. En France, depuis 1977, seuls les Ministres du budget disposent du monopole d’engager l’action publique pour poursuivre les fraudeurs fiscaux. Tout s’organise dans la discrétion de leur administration et se négocie. Les juges ne peuvent ainsi s’autosaisir. C’est parfois au détour d’une procédure de divorce, ou d’une succession conflictuelle que le pot aux roses est découvert. Mais c’est surtout grâce au rôle des lanceurs d’alerte que la vérité éclate. Ils doivent pouvoir bénéficier d’un statut protecteur et non pas être poursuivis.
Michel Rogalski, Économiste, CNRS, Directeur de la revue Recherches internationales
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.