Le dernier en date s’appelle Idriss Deby Itno. Il a été assassiné en avril 2021 dans des circonstances jamais éclaircies. La DGSE était sur place et a alerté l’Elysée immédiatement, de sorte que la France était la première à savoir que le président du Tchad a été tué.
Les obsèques du président tchadien, mort après trente et un ans à la tête de l’État, se sont tenues à N’Djamena en comité restreint. Au milieu de la famille et des leaders de la sous-région, la présence d’Emmanuel Macron n’est pas passée inaperçue. Il s’agissait d’une opération politique délicate. Macron était pratiquement le seul et unique chef d’Etat des grandes puissances à y prendre part.
“Tchad : au nom du père, du fils et de Macron”, s’exclame Wakat Séra. Dans la matinée du 23 avril, les obsèques d’Idriss Déby, mort trois jours plus tôt, ont réuni une dizaine de chefs d’État à N’Djamena, la capitale tchadienne. Le président français Emmanuel Macron a été le seul dirigeant occidental à faire le déplacement. Le reste des invités officiels étaient des chefs d’État de la sous-région (Burkina Faso, Guinée, Mali, Niger, Bénin).
Avec la disparition de Deby et IBK, la France perd deux alliés irremplaçables. Le Sahel commence à lui échapper. L’installation des Russes et le début d’application de la charte d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali ont fini par exaspérer Paris, qui regarde le sol se dérober sous ses pieds.
Depuis 1963, au moins deux dizaines de présidents africains en exercice ont été assassinés ou évincés, ou fait tomber par la France, avec le concours des services secrets français, le SDECE, puis par son remplaçant : la DGSE, par les mercenaires (que Paris dénonce aujourd’hui en Libye), la Direction de la surveillance du territoire, et les autres bras armés visibles ou invisibles qui se sont servis des responsables africains placés en haut du commandement avant de les faire chuter de haut. Certains, qui lui avaient été carrément hostiles, ont été assassinés de manière brutale.
On peut en citer :
-Sylvanus Olympio, premier président togolais, assassiné le 13 janvier 1963 à Lomé, juste devant l’ambassade américaine, lors du coup d’Etat fomenté par Gnassingbé Eyadema ;
-Le major-général Johnson Aguiyi-Ironsi, le premier chef d’Etat militaire du Nigeria, assassiné le 29 juillet 1966 par un groupe et d’hommes du Nord du Nigeria ;
-Abderrachid Ali Shermarke, président de la république de Somalie du 10 juin 1967 au 15 octobre 1969, date à laquelle il a été abattu par son propre garde du corps alors qu’il était en visite dans la ville de Las Anod ;
-Abeid AmaniKarume a été président du Zanzibar de 1964 au 7 avril 1972, date de son assassinat par quatre hommes qui lui ont tiré dessus.
-Richard Ratsimandrava est demeuré président de Madagascar pendant 6 jours, du 5 au 11 février 1975, date de son assassinat à Antananarivo, la capitale malgache.
-François Tombalbaye dit Ngarta Tombalbaye est un homme d’Etat tchadien qui est devenu le premier chef de l’Etat tchadien post indépendance. Il a été assassiné le 13 avril 1975 dans des circonstances obscures.
-Le général Murtala Ramat Muhammad a été chef du gouvernement militaire fédéral du Nigéria, du 29 juillet 1975 au 13 février 1976, date de son assassinat.
-Marien N’gouabi a été président du Congo (puis de la République Populaire du Congo) du 31 décembre 1968 à son assassinat, le 18 mars 1977.
-Tafari Benti a été président de la junte militaire en Ethiopie qui avait pris le pouvoir après le renversement de l’empereur Hailé Sélassié, du 28 novembre 1974 au 3 février 1977, date à laquelle il a été assassiné.
-Ali Soilih M’tsaschiwa est un homme politique et ancien président de l’Etat comorien qui a tenu tête à l’hégémonie française et au sinistrement célèbre Bob Dénard. Malheureusement, le mercenaire le renverse et il est assassiné le 13 mai 1978.
-Williams Richard Tolbert Jr a été président de l’Etat du Libéria de 1971 à sa mort, assassiné, en 1980.
-Thomas Sankara est un homme d’Etat anti-impérialiste, révolutionnaire, socialiste, panafricaniste. Il a été chef de l’Etat de la République de Haute-Volta rebaptisée Burkina Faso du 4 aout 1983 au 15 octobre 1987, date à laquelle il a été assassiné à Ouagadougou.
-Ahmed Abdallah Abderamane a été à plusieurs reprises chef de l’Etat comorien. Il est assassiné d’une rafale de pistolet mitrailleur le 26 novembre 1989, en présence de Bob Dénard, avec qui il était pourtant en froid.
-Samuel Kanyon Doe est mort assassiné le 9 septembre 1990 à Monrovia. Il a été le premier président autochtone du Libéria depuis son indépendance, élu en 1985, jusqu’à sa mort.
-Melchior Ndadaye est le premier président démocratiquement élu du Burundi, il est investi le 10 juillet 1993 et ne ‘tint’ que 102 jours au pouvoir puisqu’il a été assassiné lors d’un coup d’Etat, le 21 octobre de la même année.
-Cyprien Ntaryamira, lui aussi n’est resté que pendant une courte durée au pouvoir, juste deux mois, puisqu’il a été élu président du Burundi le 5 février 1994 et a été assassiné le 6 avril 1994 à Kigali.
-Juvénal Habyarimana a été le président du Rwanda de 1973 au 6 avril 1994, lors d’un attentat.
-Ibrahim Baré Mainassara, président du Niger de 1996 au 9 avril 1999, date de son assassinat lors d’un coup d’Etat.
-Laurent-Désiré Kabila a été président de la république de la République Démocratique du Congo de mai 1997 à janvier 2001, date de son assassinat.
-Mouammar Khadafi, président et guide libyen, assassiné en 2011 par le CNT français.
Certains de ces responsables ont refusé d’être les marionnettes des français et ont cherché sortir du giron de l’hexagone qui pillait les richesses des pays africains sur lesquels il avait une mainmise de manière éhontée.
Les documents, qui foisonnent un peu partout, expliquent la manière dont ont été menés ces assassinats pour lesquels la France a armé des mains de traitres qu’ils ont manipulés par la suite pour continuer le pillage des richesses de ces pays.
La naissance de la « Françafrique »
Dès son retour au pouvoir en 1958, De Gaulle comprend qu’il est acculé à accorder les indépendances africaines. Les discours décolonisateurs américain et soviétique renforcent en effet le mouvement des peuples. Il accorde donc ces indépendances : c’est la face émergée de l’iceberg, toute blanche, « la France amie de l’Afrique », etc. En même temps, De Gaulle demande à son bras droit Jacques Foccart de mettre en place un système de dépendance intégrale : il s’agit de conserver un cortège d’États clients, l’accès à des matières premières stratégiques, et la dîme pour son parti politique. Sous la légalité proclamée s’installe donc une illégalité de fait. Organiser cette illégalité sur quarante années n’a pu se faire que par des moyens illégaux, inavoués.
Foccart commence par sélectionner des chefs d’État « amis de la France » – par la propagande, des fraudes électorales massives, et deux punitions exemplaires : l’épouvantable répression des indépendantistes camerounais, l’élimination du président togolais élu malgré la fraude, Sylvanus Olympio. Le seul rescapé de ses complots, Sékou Touré, en deviendra paranoïaque. Foccart tient son « pré-carré » par un contrôle économique, monétaire, militaire et « barbouzard ». La convertibilité du franc CFA permet tous les circuits parallèles d’évasion de capitaux, de la rente des matières premières et de l’aide publique au développement. Paris impose une série d’accords militaires léonins, largement secrets. Chaque chef d’État est chaperonné par un officier de la DGSE, qui en principe le protège, mais peut aussi favoriser son élimination, comme dans le cas d’Olympio. Les Services français recourent au besoin à des groupes de mercenaires ou des officines de vente d’armes. Ils disposent de ressources supplémentaires et de faux nez commodes grâce à une série d’entreprises, grandes ou petites. Loïk Le Floch-Prigent l’avoue carrément dans sa confession : Elf a été constituée, entre autres, à cet effet. De même, quantité de PME de fournitures ou de « sécurité » ont permis, par leurs surfacturations, de financer les aventures tricolores des Denard et compagnie, au Congo-Kinshasa, au Nigeria, aux Comores, etc. – jusqu’à l’envoi de mercenaires serbes au Zaïre. Cette constellation de moyens de dépendance illégale est tout à fait attestée. Ceux qui ont vécu durant ces quarante dernières années dans les pays francophones au sud du Sahara ne discutent pas cette influence prépondérante de la France – qui est, j’insiste, une illégalité, puisque la légalité, c’est l’indépendance. Prenez le cas du Gabon et de sa rente pétrolière – la différence entre le coût d’extraction et le prix du marché. Cet argent, plus d’une centaine de milliards de francs depuis 1960, s’est comme évaporé. Il n’y a pas grand-chose de légal dans cette affaire. Pendant ce temps, les Gabonais sont parmi les peuples de la terre les plus mal soignés. Autrement dit, ils n’ont guère vu la couleur de leur or noir, ils en ont été spoliés.
Depuis l’Élysée, donc, Foccart tenait les fils militaires et civils de son réseau occulte, très arrosé. Lorsque Giscard l’a limogé, la tête de ce réseau pyramidal a sauté, d’autres réseaux et lobbies ont conquis leur autonomie. En caricaturant, on est passé du réseau Foccart, avec une stratégie de raison d’État contrôlée depuis la présidence de la République, aux frères et neveux de Giscard, aux fils de Mitterrand et Pasqua… À la tête d’Elf, on est passé de Guillaumat, ancien ministre des Armées, aux frasques mégalomanes du couple Le Floch, manipulé par l’inquiétant Sirven. Une douzaine de réseaux ou lobbies se juxtaposent, plus ou moins autonomes, avec chacun leur micro-stratégie – un peu comme un manège d’autos tamponneuses. C’est devenu cela, la politique africaine de la France. Ce qui complique la question de la responsabilité. Il n’y a plus un décideur, Foccart, rendant compte quotidiennement à De Gaulle. Il y a de multiples (ir)responsables, des chefs de réseaux jusqu’aux échelons subalternes, s’accoutumant à la délinquance, au crime économique et politique.
La « Françafrique », ce qui change et ce qui reste
Cette histoire éprouvante de la Françafrique est retracée et articulée en six périodes, de la Seconde guerre mondiale à aujourd’hui.
► 1940-1957, la genèse d’un système
Les pages consacrées à la conférence de Brazzaville aident à comprendre la genèse du système de domination que la France va adopter pour ses futures anciennes colonies. Un système théorisé dans la foulée de la conférence de Brazzaville par le gaulliste Henri Laurentie pour lequel « un exécutif fort ayant la main sur “un domaine réservé” dont l’Afrique subsaharienne serait un élément clé ».
Dans cette première partie, le lecteur apprendra aussi la véritable origine du néologisme «Françafrique » : son inventeur n’est pas Félix Houphouët-Boigny, mais le journaliste Jean Piot qui l’utilise pour la première fois en 1945. Parmi les autres découvertes, le portrait de François Mitterrand en « précurseur de la Françafrique » et les discours de Michel Poniatowski et Claude Cheysson sur le néocolonialisme français entre 1954 et 1955.
► 1957-1969, le rôle central de Jacques Foccart
Sous la période gaullienne, le livre revisite le rôle central de Jacques Foccart. Mais aussi les manipulations pour défendre, punir, installer les chefs d’État dans le pré carré français : guerre secrète au Cameroun, déstabilisation de la Guinée, assassinat du président togolais Olympio, guerre du Biafra, amitiés assumées avec les pires dictateurs des anciennes colonies…
► L’Algérie : pourvu que le pétrole reste français
Le point de fixation de De Gaule sur l’Algérie était le pétrole. A la fin de la Révolution (1954-1962), alors que l’indépendance s’imposait comme une issue inéluctable à la guerre, De Gaule cherchait à peaufiner un plan en vertu duquel le pétrole du Sahara restait français, sous une forme ou une autre.
En envoyant ses experts, ingénieurs et techniciens en surnombre, La France escomptait gardait le pétrole algérien entre ses mains. Malheureusement pour elle, elle n’avait pas prévu la nationalisation de Boumédiène, ainsi que le travail de sous-sol du renseignement qui a précédé l’annonce de Boumédiène. A partit de 1971, le pétrole algérien lui échappait totalement…
► 1969-1995, l’enjeu énergétique
Après le retrait du général de Gaulle, la Françafrique prend de nouveaux contours. Sous Pompidou, mais surtout sous Giscard d’Estaing, c’est le développement spectaculaire de la question des ressources énergétiques, pétrole, nucléaire… Dans cette « folie des grandeurs » qui gagne l’Élysée, l’armée, les mercenaires, les coopérants sont en première ligne.
► Rwanda : « Études » ausculte le rapport des historiens sur le rôle de la France
À l’arrivée de la gauche au pouvoir, les choses ne changent pas. Elles ont même empiré sous François Mitterrand jusqu’au génocide au Rwanda. Dans cette partie du livre, une attention particulière est accordée à la franc-maçonnerie, un aspect assez peu médiatisé de la Françafrique. Sont passées en revues les affaires de corruption, en particulier le Carrefour du développement et l’affaire Elf. L’occasion aussi, de jeter une lumière crue sur les réseaux parallèles de Charles Pasqua, la « Corsafrique ».
► 1995-2010, le tournant libéral
La période suivante, de Jacques Chirac aux trois premières années du quinquennat de Nicolas Sarkozy, marque le tournant libéral de la Françafrique. Non seulement les grands groupes français installés en Afrique prospèrent en multipliant les acquisitions, mais des empires s’élèvent et de nouveaux marchés sont conquis. La réalité décrite dans ces pages est très loin du discours sur le désengagement économique de la France en Afrique à cette période.
En réalité, « la Françafrique s’est fondue dans la mondialisation sans se dissoudre », exposent les auteurs. Et elle s’est forgé des outils pour rester en position dominante : monétaire, avec la réforme de la zone franc en Afrique, mais aussi juridique avec la constitution de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) : « Contrôler la norme, c’est aujourd’hui bien souvent gagner le marché », explique le Conseil d’État français en 2001.
Amitiés continues avec les autocrates, interventions militaires pour protéger ses « protégés » comme au Tchad et en Côte d’Ivoire, rien ne change vraiment, dans ces années-là. Sauf la justice qui s’intéresse à quelques affaires et quelques scandales mis à jour dans les années 2000.
2010-2020, l’intervention au Sahel
La dernière décennie est marquée par l’intervention militaire de la France au Sahel, la « grande affaire » qui attire l’attention de tous. Or, cette période est celle où la puissance de Vincent Bolloré en Afrique est éclatante, celle aussi des révélations des relations entre Nicolas Sarkozy et le colonel Khadafi.
Le quinquennat d’Emmanuel Macron est tout autant marqué par les interventions militaires pour sauver les intérêts français au sahel, par le poids du milieu des affaires et par le jeu des intermédiaires informels dans une Afrique en pleine transformation. Hélas, il était dit que le Sahel devait revenir aux Sahéliens. Barkhane a été un échec lamentable. La France ne veut toujours pas assumer cet échec.