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Les documents relevant de la « Guerre d’Algérie » demeurent bien « verrouillés »

En « facilitant » l’accès aux archives de la guerre d’Algérie, Macron poursuit sa politique des « petits pas » sur la réconciliation mémorielle.

S’inspirant d’une des recommandations du rapport de l’historien Benjamin Stora sur la réconciliation mémorielle franco-algérienne, l’Elysée a annoncé une simplification des procédures de déclassification des documents couverts par le secret-défense.

Mais l’accès aux archives coloniaux, et surtout aux documents de la guerre d’Algérie est encore loin. Certains documents sont classés « top secret » et relèvent des secrets d’Etat.

Depuis janvier 2020, l’application stricte d’une instruction générale interministérielle à fortement restreint l’accès des historiens aux archives classifiées. Le Président de la République française, Macron, a annoncé le 9 mars 2021 son intention de faciliter la procédure mais un long chemin reste encore à parcourir.

Depuis maintenant près d’un an et demi, archivistes, juristes, historiennes et historiens dénoncent une restriction sans précédent dans l’accès aux archives contemporaines de la Nation. Alors même que la loi sur les archives de 2008 rend les documents classifiés de plus de 50 ans « communicables de plein droit », l’instruction générale interministérielle n°1300 subordonne leur communication à une procédure de déclassification (voir  « Kafka aux Archives » L’Histoire n°470, avril 2020). L’application de ce texte, qui bloque les recherches, a conduit l’Association des archivistes français (AAF), l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche (AHCESR) et l’association Josette et Maurice Audin à déposer deux recours au Conseil d’État.

En réponse aux préoccupations des chercheuses et des chercheurs, le président de la République a annoncé, le 9 mars 2021, son intention de faciliter l’accès aux archives classifiées. Mais le communiqué du président ne satisfait pas les associations à l’origine des recours au Conseil d’État.

Communiqué de l’Élysée du 9 mars 2021 :

Il revient à l’État d’articuler de manière équilibrée la liberté d’accès aux archives et la juste protection des intérêts supérieurs de la Nation par le secret de la Défense nationale.

Décidé à favoriser le respect de la vérité historique, le Président de la République a entendu les demandes de la communauté universitaire pour que soit facilité l’accès aux archives classifiées de plus de cinquante ans.

Le chef de l’État a ainsi pris la décision de permettre aux services d’archives de procéder dès demain aux déclassifications des documents couverts par le secret de la Défense nationale selon le procédé dit « de démarquage au carton » jusqu’aux dossiers de l’année 1970 incluse. Cette décision sera de nature à écourter sensiblement les délais d’attente liés à la procédure de déclassification, s’agissant notamment des documents relatifs à la guerre d’Algérie.

En complément de cette mesure pratique, le gouvernement a engagé, sur la demande du Président de la République, un travail législatif d’ajustement du point de cohérence entre le code du patrimoine et le code pénal pour faciliter l’action des chercheurs. Il s’agit de renforcer la communicabilité des pièces, sans compromettre la sécurité et la défense nationales. L’objectif est que ce travail, entrepris par et avec les experts de tous les ministères concernés, aboutisse avant l’été 2021.

Réaction des associations à l’origine des recours devant le Conseil d’État au communiqué du 9 mars 2021 du président de la République relatif à l’accès aux archives « secrètes » :

Paris, le 9 mars. Les associations ayant attaqué devant le Conseil d’État les instructions générales interministérielles n° 1300 de 2011 et de 2020 prennent note du communiqué du président de la République de ce jour, 9 mars 2021, sur l’accès aux archives publiques antérieures à 1971 qui portent un tampon « Secret ».

Derrière les effets d’annonce, ce communiqué appelle la plus grande vigilance quant à l’ampleur exacte de « l’avancée » obtenue.

En premier lieu, nous notons que le Président de la République française, Macron, annonce, « dès demain », la possibilité pour les services d’archives de procéder aux déclassifications des documents couverts par le secret de la Défense nationale par le procédé dit de « démarquage au carton ».

Cette mesure semble certes de nature à écourter sensiblement les délais d’attente pour les chercheurs qui se rendront au Service historique de la Défense et aux Archives diplomatiques. Mais elle appelle trois précisions :

La vérité…est ailleurs

En premier lieu, il faut que les Algériens comprennent qu’il existe de nombreux autres services d’archives français que le Service historique de la Défense et les Archives diplomatiques qui conservent des documents classifiés, parfois en très grand nombre. C’est le cas, en particulier, des Archives nationales. Or, faut-il le rappeler, les archivistes qui appartiennent au réseau des Archives qui relèvent du Ministère de la Culture ne sont pas autorisés, à la différence de leurs collègues du ministère des Armées par exemple, à déclassifier les documents ?

Ils continueront donc à solliciter les autorités émettrices et à attendre de longs mois une réponse.

Ensuite, elle ne signifie en aucun cas que les recherches arrêtées depuis trop longtemps pourront reprendre dès demain : elles ne le pourront qu’à la condition que ces « démarquages », même au carton, soient effectivement formellement réalisés, ce que rien ne garantit. La mise en œuvre effective, même au carton, de la procédure de déclassification prendra de nombreux mois, car il s’agit de dizaines de milliers de cartons d’archives qui sont concernés.

Enfin, nous rappelons que les mesures de « démarquage au carton » annoncées aujourd’hui ne permettent pas de photographier les documents, ce qui alourdit le travail en une période où les places dans les centres d’archives sont limitées du fait des contraintes sanitaires, et pénalise fortement les citoyennes et citoyens qui habitent en province.

Mais là n’est pas l’essentiel : le vrai problème est que le communiqué de presse du président de la République ne change malheureusement rien au fond du problème. Bien au contraire, il confirme qu’il est toujours nécessaire de déclassifier des documents d’archives publiques que la loi déclare pourtant communicables « de plein droit ». C’est précisément cette violation du code du patrimoine qui a justifié les deux recours que nous avons engagés devant le Conseil d’État en septembre 2020 et en janvier 2021.

Les « impératifs » politiques habillés de soucis législatifs et légaux

Le président Macron est bien au courant des « imépratifs » , et il en est conscient, et c’est la raison pour laquelle il annonce, en second lieu, « un travail législatif d’ajustement du point de cohérence entre le code du patrimoine et le code pénal pour faciliter l’action des chercheurs ». 

Nous devrions sans doute nous réjouir de cette reconnaissance implicite de l’illégalité de la procédure administrative de déclassification lorsqu’elle est appliquée à des documents que la loi déclare « communicables de plein droit ». 

Mais nous ne pouvons que constater qu’aucune information n’a été donnée quant à la nature exacte de la modification du code du patrimoine qui est prévue. On peut craindre que les délais d’accès aux archives soient allongés pour certains types de documents, en régression par rapport aux choix que le Parlement avait faits en 2008. Pour notre part, nous considérons qu’ouvrir un chantier législatif sur la révision des délais de libre accès aux archives c’est prendre un risque…. le risque que l’économie générale de la loi sur les archives soit revue.

Dès lors, nos trois associations continueront à être très vigilantes quant au respect des principes fondamentaux qui sous-tendent le droit d’accès aux archives. Elles continueront leur action.

Une instruction générale interministérielle bloque la communication de milliers de documents d’archives classés « secret-défense ». Jean-Louis Debré et le Conseil supérieur des archives se joignent aux historiens pour la libre communication des archives contemporaines.

Kafka aux Archives

Depuis plus d’un an les archivistes et les historiens du contemporain se battent pour faire supprimer une instruction générale interministérielle (IGI n° 1300) alourdissant énormément leur travail et rendant incommunicables des archives qui, dans certains cas, étaient déjà publiées (à ce sujet nous avions fait paraître un article dans notre numéro n° 470 d’avril 2020 : « Kafka aux Archives », Raphaëlle Branche, Gilles Morin, Thomas Vaisset).

Cette IGI a connu deux moutures, la première par arrêté, le 30 novembre 2011, la seconde le 13 novembre 2020. Toutes deux font l’objet d’un recours au Conseil d’État.

Réuni le 22 janvier 2021, le Conseil supérieur des archives (CSA) a souhaité exprimer son inquiétude en adoptant une motion que son président, Jean-Louis Debré, a transmise à la ministre de la Culture. Cette motion rappelle que « la loi de 2008 est une loi d’ouverture, propre à “prendre en compte les besoins exprimés par les citoyens soucieux d’accéder avec plus de facilité aux sources de leur histoire (exposé des motifs, projet de loi du 30 juin 2006)” et encourager la recherche historique, tant les archives sont au cœur de la démocratie ». Que le « Conseil constitutionnel a récemment considéré que l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme garantit un droit d’accès aux documents d’archives publiques. Il dispose en effet que “la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration”. Ce droit de regard des citoyens sur l’action publique est crucial ».

L’IGI n° 1300 a pour effet d’annuler cette ouverture, prévue par la loi de 2008 et par des mesures antérieures. Cette ouverture a pourtant été bien réelle et a permis à des étudiants et des chercheurs d’effectuer d’importants travaux, notamment sur la période de la Seconde Guerre mondiale et sur la guerre d’Algérie. Des travaux qui ne seraient plus possibles aujourd’hui. Car, comme le note la motion, « la procédure de déclassification prévue à l’IGI n° 1300 a pour effet d’allonger déraisonnablement les délais de communication des archives et ce bien au-delà des dispositions légales. Ces pratiques procédurales gênent la conduite de recherches, pourtant elles-mêmes condition d’un débat serein sur l’histoire récente. Elles contredisent frontalement, d’une façon préoccupante, l’esprit même du droit des archives. Plus fondamentalement, cette procédure de déclassification, confirmée et renforcée dans la nouvelle version de l’IGI n° 1300 adoptée par arrêté du 13 novembre 2020, pose problème dans son principe s’agissant d’archives publiques communicables de plein droit et contrevient en son état actuel à l’article L 213-2 du Code du patrimoine ».

Le CSA a donc exprimé « son attachement aux principes d’accès aux archives publiques reconnus par le législateur ». Il a tenu à rappeler qu’« à l’heure où ce principe est élevé dans les discours publics au rang d’impératif démocratique », il tenait à « manifester sa très vive inquiétude […] si se confirmaient cette procédure et ces pratiques ».

Chronologie

2008 : La loi du 15 juillet 2008 rend librement communicables, après un délai de cinquante ans, les archives dont « la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l’État dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l’État, à la sécurité publique ».

2011 : Une instruction générale interministérielle (IGI n° 1300) sur la « protection du secret de la défense nationale » exige que la déclassification des documents ne soit plus de fait à l’expiration du délai, mais réalisée pièce par pièce.

2020 :

Janvier : L’IGI est appliquée de façon stricte et systématique au Service Historique de la Défense (elle est déjà appliquée depuis des années aux Archives Nationales).

Septembre 2020 : Le Premier ministre n’ayant pas répondu à la demande d’abrogation de l’article 63 de l’IGI 1300 formulée en juin, un recours est déposé au Conseil d’État.

Novembre : Publication d’une nouvelle version de l’IGI n° 1300. Cette nouvelle version du texte est plus restrictive encore sur le sujet des archives. Elle porte notamment à 1934 la date à partir de laquelle les archives couvertes par le secret de la défense nationale doivent être déclassifiées avant consultation et ouvre la possibilité pour l’administration de classifier des documents qui ne l’auraient pas été initialement.

Un nouveau recours est déposé au Conseil d’État demandant l’annulation de l’IGI 1300.

2021, janvier : Le CSA vote une motion de soutien envoyée à la ministre française de la Culture Roselyne Bachelot.

Livre à lire absolument :

« Kafka aux Archives », Raphaëlle Branche, Gilles Morin, Thomas Vaisset, L’Histoire n° 470, avril 2020, pp. 28-29.

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