Pour relancer l’économie nationale en 2022 et réaliser la transition énergétique et numérique, il faut une stratégie articulée autour d’une autre organisation institutionnelle, loin de l’esprit rentier de distribution de portefeuilles ministériels qui, souvent, se télescopent, rendant incohérentes les actions alors que les objectifs sont complémentaires.
Le développement devra résulter d’une réelle volonté politique allant vers de profondes réformes, une libéralisation maîtrisée, un rôle stratégique de l’État régulateur conciliant efficacité économique et justice sociale, évitant l’idéologie dévastatrice.
Je rappelle que l’économie algérienne a connu différentes formes d’organisation des entreprises publiques. Avant 1965, la forme d’autogestion était privilégiée ; de 1965 à 1980, nous avons eu de grandes sociétés nationales et, de 1980 à 1988, il y a eu la restructuration des grandes sociétés nationales. Comme conséquence de la crise de 1986 qui a vu le cours du pétrole s’effondrer, des réformes timides sont entamées en 1988 : l’État crée alos 8 fonds de participation chargés de gérer les portefeuilles de l’État. En 1996, l’État crée 11 holdings en plus des 5 régionaux avec un Conseil national des privatisations ; en 2000, nous assistons à leur fusion en 5 méga-holdings et la suppression du Conseil national des privatisations ; en 2001, nouvelle organisation et l’on crée 28 Sociétés de gestion des participations de l’Etat (SGP) en plus des grandes entreprises considérées comme stratégiques ; en 2004, ces SGP sont regroupées en 11 et 4 régionales.
En 2007, une nouvelle organisation est proposée par le ministère de l’Industrie et de la Promotion des investissements, articulée autour de quatre grands segments : de sociétés de développement économique qui relèvent de la gestion exclusive de l’État gestionnaire ; des sociétés de promotion et de développement en favorisant le partenariat avec le secteur privé international et national ; des sociétés de participation de l’État appelées à être privatisées à terme et, enfin, une société chargée de la liquidation des entreprises structurellement déficitaires. Cependant, en 2008, cette proposition d’organisation est abandonnée et a alors été émise l’idée de groupes industriels en 2009. Depuis 2018/2021, on semble revenir aux tutelles ministérielles, laissant peu d’autonomie aux entreprises.
Dominance de la démarche administrative et bureaucratique
Ces changements d’organisation périodiques démobilisent les cadres du secteur économique public et même les investisseurs locaux et étrangers, montrant clairement la dominance de la démarche administrative et bureaucratique au détriment de la démarche opérationnelle économique.
La règle des 49/51% instaurée depuis 2009, dont j’avais demandé l’abrogation (www.goolgle-mebtoul 2010) que le gouvernement actuel a décidé d’assouplir, n’a pas permis de freiner les importations ni de réaliser le transfert technologique managérial ; au contraire, elle a favorisé des délits d’initiés de certains oligarques. Un bilan serein s’impose avec une réponse précise : dans quels secteurs les quelques participations ont-elles eu lieu et ont-elles permis l’accroissement de la valeur ajoutée ? Sachant que la croissance de par le monde repose sur l’entreprisse initiée aux nouvelles technologies, se fondant sur l’économie de la connaissance à travers des réseaux décentralisés. Quel gain en devises ? Ou alors quel est le montant des surcoûts supportés par l’Algérie ? Car l’expérience de l’évolution des relations économiques internationales montre que ce qui était stratégique hier peut ne pas l’être aujourd’hui et demain (exemple les télécommunications). Pour les segments non stratégiques mais à valeur ajoutée importante, il serait souhaitable d’appliquer la minorité de blocage de 30% afin d’éviter les délocalisations sauvages. L’observation des grands espaces mondiaux montre clairement que seules quelques grandes firmes contrôlent les circuits du commerce mondial, dont il est impossible aux opérateurs algériens de pénétrer le marché sans un partenariat gagnant/gagnant.
Les freins de la machine
Le frein à la mise en œuvre d’affaires saines est le terrorisme bureaucratique qui enfante la sphère informelle et la corruption, représentant à lui seul plus de 50% des freins à l’investissement. La réforme du système financier, cœur des réformes, est essentiel pour attirer l’investisseur léthargique avec la marginalisation du secteur privé, puisque les banques publiques continuent à accaparer 90% des crédits octroyés ; elles ont carrément été saignées par les entreprises publiques avec un assainissement qui a coûté au Trésor public, selon des données récentes (2021) du Premier ministère, ces trente dernières années environ 250 milliards de dollars, sans compter les réévaluations répétées ces dix dernières années de plus de 65 milliards de dollars, entraînant des recapitalisations répétées des banques, malades de leurs clients.
Enfin comme frein à l’investissement hors hydrocarbures, l’absence d’un marché foncier où la majorité des wilayas livrent des terrains à des prix exorbitants, souvent sans commodités (routes, téléphone, électricité/gaz, assainissement) et l’inadaptation du marché du travail à la demande, renvoyant à la réforme du système éducatif et de la formation professionnelle, des usines fabricant de futurs chômeurs.
Les principales dispositions de la loi de finances 2022 se basent sur un cours du pétrole de 45 dollars le baril et un prix du marché de 50 dollars et prévoient une croissance de 3,3% contre 3,4% en 2021 et moins 6% en 2020. Un taux de croissance faible donne une croissance faible. Il faut être réaliste.
Si les projets du fer de Gara Djebilet et du phosphate de Tébessa commencent leur production en 2022, l’investissement de ces deux projets étant estimées à environ 15 milliards de dollars ainsi que le projet du gazoduc Nigeria/Algérie dont le coût est estimé par l’Europe à 20 milliards de dollars, le seuil de rentabilité ne sera atteint que dans 6/7 ans et, pour les PMI/PME, dans deux à trois ans. Selon le FMI dans son rapport de décembre 2021, les importations en 2021 ont atteint 46,3 milliards de dollars (la Banque mondiale ayant donné 50 milliards de dollars), 38,2 milliards de biens et une sortie de devises de services de 8,1 milliards malgré toutes les restrictions, et des exportations de 37,1 milliards.
Malgré le dérapage de la monnaie nationale — pour ne pas dire dévaluation – de 5 dinars vers les années 1970/1973, de 80 dollars entre 2000/2004 et actuellement de 139 dinars pour un dollar en ce mois de janvier 2022, cela n’a pas permis de dynamiser les exportations hors hydrocarbures qui engendrent 97 à 98% (avec les dérivés) des entrées en devises. Dans ce cadre, attention aux utopies ! L’annonce de 4 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures pour 2021 doit tenir compte des dérivés d’hydrocarbures qui ont représenté, selon le PDG de Sonatrach, sur 34,5 milliards de dollars de recettes, plus de 2,5 milliards de dollars comptabilisés par le ministère du Commerce dans la rubrique hors hydrocarbures. Si on analyse dans le détail les rubriques en ajoutant les semi-produits à faible valeur ajoutée (exportations conjoncturelles) il reste moins d’un milliard de dollars hors hydrocarbures pour les produits concurrentiels. Le chiffre d’affaires n’est pas significatif ; dresser d’abord pas seulement la valeur mais le volume exporté, certains produits (comme les engrais et autres) ont vu leurs prix augmenter sur le marché international de 30 à 50%, soustraire les matières premières importées en devises et les exonérations fiscales. Cela pourrait expliquer le niveau du taux de croissance très faible par rapport aux dépenses. Ainsi, entre 2000 et 2021, l’Algérie a engrangé plus de 1100 milliards de dollars avec une importation de biens et services en devises dépassant 1050 milliards de dollars pour un taux de croissance dérisoire de 2 à 3% en moyenne annuelle avec un déficit budgétaire pour 2022, qui dépasse selon la loi de finances, 30 milliards de dollars accélérant le processus inflationniste dont l’indice n’a pas été réactualisé depuis 2011, et entre 2020 et 2021 certains produits (comme les pièces détachées en pénurie croissante), l’inflation pour les produits non subventionnés a connu une hausse de 50 à 100%. Du fait que plus de 85% des matières premières sont importées, le taux d’intégration est faible, par les entreprises publiques et privées, sans compter l’assistance technique étrangère, avec la dévaluation du dinar entre 2022 et 2024, l’inflation sera de longue durée. Selon les prévisions de l’Exécutif, le taux de change du dinar sera de 149,3 DA pour un dollar l’an prochain, de 156,8 DA/dollar en 2023 et 164,6 DA/dollar en 2024. Ce dérapage du dinar permettra d’atténuer ce déficit budgétaire car si on avait un dollar – 100 dinars, il faudrait pondérer à la hausse d’au moins 37% le déficit budgétaire qui serait, à fin 2022, supérieur à 42 milliards de dollars. L’Algérie, selon le FMI, fonctionnant entre le budget de fonctionnement et d’équipement à plus de 137 dollars en 2021 et à plus de 150 pour 2022. Aussi, malgré toutes les restrictions qui ont paralysé l’appareil de production, les réserves de change sont en baisse continue, passant de 194 milliards de dollars au 1er janvier 2014 à 62 fin 2019, à 48 fin 2020 et à 44 fin 2021.
Les sureffectifs des administrations, entreprises publiques et l’emploi dans la sphère informelle
La faiblesse du taux de croissance se répercute sur le taux de chômage. En plus du licenciement, uniquement dans le BTPH, de 150 000 emplois en 2021, le faible taux de croissance influe sur le taux de chômage qui, selon le FMI, en 2021 serait de 14,1% et 14,7% en 2022, incluant les sureffectifs des administrations, entreprises publiques et l’emploi dans la sphère informelle. Pour éviter des remous sociaux, tous les gouvernements ont généralisé les subventions, source de gaspillage croissant des ressources financières du pays.
Pour les prévisions 2022, les subventions implicites, constituées notamment de subventions aux produits énergétiques et de subventions de nature fiscale, représentent environ 80% du total des subventions. Les subventions explicites représentent un cinquième du total des subventions, étant dominées par le soutien aux prix des produits alimentaires et au logement, prévoyant 1 942 milliards de dinars et, au cours de 137 DA pour un dollar, 14,17 milliards de dollars, soit 19,7% du budget de l’Etat. Un dossier très complexe que le gouvernement a décidé de revoir, mais sans maîtrise du système d’information et de quantification de la sphère informelle, un produit de la bureaucratie favorisant les délits d’initié (corruption) dont l’extension décourage tout investisseur, ce qui permet la consolidation de revenus non déclarés. En temps réel, la réforme risque d’avoir des effets pervers.
En résumé, le dépassement de l’entropie actuelle et les tensions géostratégiques à nos frontières posent la problématique de la sécurité nationale. Pour relancer l’économie nationale en 2022 et réaliser la transition énergétique et numérique, il faut une stratégie articulée autour d’une autre organisation institutionnelle, loin de l’esprit rentier de distribution de portefeuilles ministériels qui, souvent, se télescopent, rendant incohérentes les actions alors que les objectifs sont complémentaires : un grand ministère de l’Énergie avec trois secrétaires d’État techniques : les énergies traditionnelles, les énergies renouvelables et l’environnement étant irrationnel l’existence de trois ministères. Et cela concerne d’autres organisations, notamment devant regrouper l’industrie, les PME/PME, les mines et les startups et un grand ministère de l’Économie regroupant le commerce et les finances et, au niveau local, six à sept grands pôles économiques régionaux autour d’espaces relativement homogènes pour attirer les investisseurs créateurs de valeur ajoutée. L’on devra éviter tant l’illusion des années 1970/1990 de l’ère mécanique, étant à l’ère de l’immatérialité où les firmes éclatent en réseaux comme une toile d’araignée que le cours élevé des hydrocarbures est source de développement. Le retour à la confiance, sans laquelle aucun développement n’est possible, passe par une vision stratégique clairement définie, conciliant efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale, supposant une profonde moralité de ceux qui dirigent la cité.
Par Abderrahmane Mebtoul: Professeur des universités, expert international