Très exposée au gaz russe, dont les livraisons pourraient être complètement coupées, l’Allemagne va vraisemblablement demander à la France de lui livrer du gaz. Au nom de la solidarité européenne, le gouvernement français se prépare à répondre à cette demande inédite, mais ne communique pas encore sur les quantités qui pourraient être livrées outre-Rhin.
Alors que l’Allemagne anticipe une coupure totale des livraisons de gaz russe et se prépare à une pénurie qui pourrait avoir des conséquences dramatiques sur son économie, la question n’est plus de savoir si la France livrera du gaz à l’Allemagne, mais de savoir quand et dans quelles quantités.
« On sent que l’Allemagne va demander de changer le sens du flux des livraisons de gaz. Il y a une question de solidarité. Si nous sommes dans une bonne situation, on peut se permettre d’envoyer du gaz pour soutenir nos voisins allemands. La question c’est quand et dans quelles quantités », confirme-t-on au ministère de la Transition énergétique. Samedi, en marge des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, la Première ministre Elisabeth Borne avait déjà indiqué que, la France devrait fournir une petite partie de son gaz à l’Allemagne.
Historiquement, les flux de gaz en Europe ont toujours transité de l’Est vers l’Ouest, via trois gazoducs : Nord Stream 1 (qui relie directement la Russie à l’Allemagne), Yamal-Europe (qui relie la Russie à l’Allemagne, en passant par la Biélorussie et la Pologne) et Brotherhood (qui transite notamment par l’Ukraine).
Reconfiguration des flux de gaz européens
Désormais, ces flux d’Est en Ouest sont très faibles. En effet, dans le contexte de fortes tensions entre la Russie et les pays occidentaux liées à la guerre en Ukraine, le géant russe Gazprom a coupé ses livraisons par gazoduc vers la Pologne, la Bulgarie et la Finlande et a réduit ses livraisons de 40% vers la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, la République tchèque et la Slovaquie. Résultat, les livraisons de gaz russe représentent aujourd’hui la moitié de ce qu’elles étaient en 2021 à la même période. Pis encore, alors que la Russie a arrêté totalement, lundi 11 juillet, le fonctionnement de Nord Stream 1 pour une opération de maintenance prévue de longue date, les Vingt-Sept se préparent à ce que le gazoduc ne redémarre pas.
D’ici quelques semaines, les flux devraient donc s’inverser pour transiter de l’Ouest vers l’Est. Ce qui est inédit. On se dirige vers « une reconfiguration des flux européens de gaz où la France et l’Espagne deviennent la porte d’entrée du gaz, là où avant elles en recevaient », explique-t-on au sein du cabinet d’Agnès Pannier-Runacher.
La France et l’Espagne sont, en effet, les deux pays membres de l’Union européenne les mieux dotés en terminaux gaziers permettant de regazéifier et de stocker le gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par voie maritime. Or, pour se défaire au plus vite de leur dépendance au gaz russe, les Vingt-Sept se sont tournés massivement vers le GNL, importé notamment depuis les Etats-Unis. L’Espagne en compte six tandis que la France dénombre quatre terminaux terrestres (un à Dunkerque, un autre à Montoir-de-Bretagne et deux à Fos-sur-mer) et s’apprête à en construire un cinquième flottant dans le port du Havre.
Résoudre la question de l’odorisation
« Faire transiter du gaz de la France vers l’Allemagne suppose toutefois de répondre à la question réglementaire et technique de l’odorisation », souligne Alexandre Martin, responsable de la prospective et de la régulation stratégique, chez Teréga, l’un des deux gestionnaires du réseau gazier en France.
« En effet, le gaz en France est odorisé au niveau du transporteur, ce qui n’est pas le cas en Allemagne. Il y a donc une différence de qualité du gaz au niveau des réseaux de transport. Quand on envoie du gaz depuis l’Allemagne vers la France, on rajoute du produit pour l’odoriser. Dans le sens inverse, il faut pouvoir le désodoriser. Des stations de désodorisation existent donc ce n’est pas infaisable, mais il faut être vigilant », explique-t-il.
Des volumes limités
S’il y avait une pénurie sur le marché mondial du GNL, la France ne pourrait pas jouer à plein le jeu de la solidarité européenne, avait prévenu l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher, le 23 juin dernier. « Si nous n’avons pas suffisamment de gaz qui entre dans nos terminaux méthaniers, cela fera baisser la pression [dans le réseau de transport gazier du pays, ndlr]. Il faudra alors réduire notre capacité d’export vers les autres pays pour maintenir la pression en France. Il y aura un minimum de solidarité, mais l’intensité de l’envoi de gaz vers l’Est [notamment vers l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et la Suisse ndlr] va dépendre du niveau des importations de GNL », avaient alors détaillé les membres du ministère de la Transition énergétique.
La France est certes moins exposée que l’Allemagne au gaz russe (sa consommation annuelle de gaz est de l’ordre 480 térawattheures (TWh), contre environ 920 (TWh) en Allemagne et 17% de nos importations de gaz provenaient de Russie avant le début de la guerre, contre 55% pour l’Allemagne), mais l’Hexagone doit aussi s’accommoder d’une production électronucléaire historiquement basse (aujourd’hui 27 réacteurs sur les 56 que compte le parc tricolore sont indisponibles) et pourrait donc avoir besoin de plus de gaz pour produire de l’électricité cet hiver.
Aujourd’hui, le niveau de stockage de la France est de 65%. Un niveau supérieur à celui de l’année dernière à la même époque. Le gouvernement prévoit que les capacités souterraines de stockage soient remplies à 100% d’ici à la fin de l’été. Il entend ainsi aller au-delà de l’obligation prévue par la loi française, qui prévoit que les fournisseurs remplissent leurs réserves à au moins 85% de leurs capacités au 1er novembre. A l’échelle européenne, les Etats membres se sont récemment accordés pour remplir à « au moins 80% » de leurs capacités leurs réserves souterraines de gaz, d’ici le 1er novembre également.
La Tribune