Alors que les pays européens s’efforcent – tant bien que mal – de remplir leurs stocks de gaz, le gouvernement français prépare les esprits à un hiver qui s’annonce rude.
L’Allemagne et, avec elle, l’Europe sont entrées ce lundi 11 juillet dans une période de grande incertitude sur la suite de leurs importations de gaz russe. Avec le départ en maintenance des deux gazoducs Nord Stream 1, l’approvisionnement risque de se tarir complètement alors même qu’il se fait de plus en plus rare depuis plusieurs semaines.
Le gouvernement a appelé dimanche à « se mettre rapidement en ordre de bataille » pour faire face à l’éventualité d’une coupure totale des approvisionnements en gaz russe. Inflation, pauvreté énergétique, récession… quel serait le scénario pour l’Europe après une coupure totale du gaz russe ?
En France, comme en Europe, beaucoup d’industries dépendent directement du gaz. Déjà en difficulté aujourd’hui, pas moins de la moitié serait contrainte de mettre la clé sous la porte si la Russie venait à arrêter ses exports, selon Thierry Bros, enseignant à Sciences-Po et conseiller membre du EU-Russia Gas Advisory Council.
La France moins en danger ?
« Pour nombreuses de ces industries, qui ne peuvent pas augmenter leurs prix, le coût du gaz est déjà très élevé, explique l’enseignant. Parce qu’il est si élevé, elles doivent limiter ou arrêter leur production. C’est déjà le cas en Allemagne. »
Asphyxié par le coût galopant du gaz, le géant de la chimie allemande BASF est contraint de limiter sa production. Pour la société Uniper, premier importateur de gaz russe du pays, les pertes s’élèvent à 900 millions d’euros par mois.
Dimanche, à l’occasion des Journées économiques d’Aix-en-Provence, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, décrivait une France dans une situation « plus favorable » que ses voisins. Mais pour Thierry Bros, personne n’est préservé.
« Cela arrivera plus vite en Allemagne car le pays est plus industrialisé que la France, mais ça sera le cas dans toute l’Europe », affirme-t-il. Si la Russie arrête ses exports, le scénario ne laisse aucun doute, la France fait face à un risque certain de récession.
Choisir entre manger et se chauffer ?
Si les industries sont sur la première ligne de front, les ménages n’en seront pas pour autant épargnés, selon Nathan Piper, responsable de la recherche sur le pétrole et le gaz chez Investec.
« Les factures d’énergie des citoyens augmentent déjà et continueront probablement à augmenter. Cela favorise le risque de pauvreté énergétique, il n’est pas exclu que des personnes doivent choisir entre manger et se chauffer », affirme l’analyste.
Le gouvernement français assure avoir préparé pour l’hiver une série de mesures destinées à prioriser les ménages. « Evidemment on préserve les ménages et […] on ne coupe pas les usines ou les transports en commun », a détaillé la Première ministre, Elisabeth Borne, samedi.
Des boucliers tarifaires divers et variés qui visent à préserver les ménages français de la pauvreté énergétique, mais qui reposent sur un équilibre fragile, selon Nathan Piper.
« Les gouvernements peuvent essayer de les subventionner pendant un certain temps, mais ça sera de plus en plus difficile au fur et à mesure que les prix continueront d’augmenter. »
Le retour de la « chasse au gaspi » ?
Lors de son intervention aux Journées économiques d’Aix-en-Provence, le ministre de l’Economie a fait appel à la responsabilité individuelle. « Il faut répartir l’effort entre administrations, particuliers et entreprises », a expliqué Bruno Le Maire
Rouler moins vite sur l’autoroute, baisser son chauffage en dessous de 20 °C, autant de recommandations faites aux ménages français pour atteindre la sobriété énergétique en cas de pénurie. Des efforts qui rappellent la « chasse au gaspi » de 1979, une campagne lancée par l’Etat lors du deuxième choc pétrolier, pour inciter les automobilistes à conduire le plus économiquement possible.
Pour faire face au risque de pauvreté énergétique, le gouvernement a également promis la mise en place de mécanismes ciblés, dont la possibilité d’une facture proportionnelle aux revenus.
« Il faudra, à partir du 1er janvier 2023, que sur l’électricité et sur le gaz, on aide davantage ceux qui en ont besoin. Il faut aussi qu’il y ait des augmentations pour ceux qui peuvent se le permettre. Cela veut dire qu’on tiendra compte du niveau de revenu des personnes », a indiqué Bruno Le Maire dimanche sur LCI.
« Le contraire d’une transition énergétique »
A la suite de l’invasion de l’Ukraine, des chercheurs avaient vu dans la guerre une opportunité pour un tournant énergétique européen. Associer le gaz et le pétrole russes à l’ennemi pour passer aux sources d’énergie verte aurait pu permettre à l’Europe de franchir le cap de sa transition énergétique.
Aujourd’hui, il n’en est rien, selon Nathan Piper. « Ce qui est en train de se produire, c’est le contraire d’une transition énergétique, explique l’analyste. L’alternative au gaz russe, c’est le charbon et les énergies fossiles. Actuellement, on atteint une demande record de charbon. »
Une réalité corroborée par Thierry Bros. « On brûle du charbon. On peut être extrêmement dogmatique et avoir une crise qui va durer huit ans au lieu de cinq ans. A ce moment-là, il n’est pas du tout sûr qu’on aille vers une transition énergétique, ça c’est certain. »
Par Mariana Abreu, L’OBS