Autoroute obstruée au niveau d’un tunnel ? Ce sont eux. Crimes crapuleux et arnaques sur Internet ? Eux. Rixe sur une plage ? Eux également. Batailles en rangs serrés sur le parvis d’une cité populaire de la périphérie algéroise par machettes et sabres interposés ? Toujours eux. La liste peut s’allonger indéfiniment. Récemment, plusieurs cas d’agression, d’assassinat sur ascendants, de chantage sur le Net et escroquerie avec de faux billets d’euros (monnaie de singe). Sur les trois derniers jours uniquement, un assassinat sordide à Blida par une bande de malfrats et des tirs d’armes à feu aux Issers par une bande de six jeunes.
Cette dangereuse escalade des méfaits des bandes organisées, de quartier et du clavier, a motivé une réunion d’urgence de la Commission nationale de prévention des gangs de quartier, qui s’est tenu au niveau du siège du ministère de l’Intérieur ; le conclave a réuni vingt-deux représentants des secteurs ministériels concernés et les forces de sécurité, en plus de spécialistes et de représentants de la société civile.
Mais qui sont-ils? Que veulent-ils ? Comment en sont-ils arrivés là ?
Pour les ultras, il s’agit de durs à cuir, de petits scélérats de quartiers qui cherchent à s’habiller des accoutrements de caïds ; des repris de justice, des indomptables et des irréductibles. Si cette forme de criminalité est visible, il y en a une autre, de moindre visibilité, mais dont les crimes sont tout autant préjudiciables à la communauté : des bandes criminelles peuvent bien en cacher d’autres.
Car il y a également une forme de délinquance insidieuse qui est en train de prendre forme, et de l’ampleur surtout. Elle agit directement sur Internet. Les rapports des services de sécurité foisonnent en affaires de toutes sortes: chantage via des contenus internet, dont sont victimes des riches et des femmes, abus de confiance, attrape-nigauds, ventes factices, fausses affaires et vraies escroqueries, proxénétisme numérique, prêts à gage qui tournent mal, vols via codes bancaires, pornographie digitale, harcèlements, fake news, deep fake et images photoshopés, ainsi que toutes sortent de nouveaux délits et crimes cybernétiques que les générations précédentes n’ont jamais connus. Au bout du compte, cela fait beaucoup, et implique une batterie de mesures répressives pour en venir à bout.
Ils se présentent également comme les Anonymous, sorte de Don Quichotte du digital, des romantiques qui portent la contradiction à l’Etat, le confondent, le pourfendent, et se font en même temps de l’argent, généré par les followers, et une réputation que les plus grandes stars du show-biz leur envieraient. Se posant en redresseur de torts, champion des droits de l’homme, ils savent trouver les brèches juridiques pour se mettre à l’abri des poursuites. Dénonçant les manquements étatiques, ils usent eux-mêmes de procédés criminels, ou au moins condamnables, pour porter le discrédit à leurs cibles, en utilisant le scandale. Autant d’excroissances et de pathologies du numérique qu’on retrouve rarement dans d’autres pays à une aussi grande échelle.
Ils ont entre 20 et 35 ans, un peu plus ou un peu moins. Ils font l’actualité, s’embarquent dans tous les défis, se présentent comme les maîtres de l’horloge. Encore jeunes, créatifs et hyperactifs, ils sont naturellement portés vers l’action.
Manipulateurs de claviers à longueur de journées, Smartphones à la main, à l’affût de la moindre image, ils donnent l’alerte et l’information en temps réel, à en faire pâtir les journalistes les plus chevronnés; mettent sous pression responsables et ministres, devenus depuis quelques années plus attentifs à leurs attitudes à l’extérieur, de peur de se retrouver le soir même sur les réseaux sociaux dans de mauvaises postures.
Internet Tout-Puissant, banco ici et maintenant
Définie comme étant la « génération connectée » par excellence, la génération Z est éminemment numérique. Et parce qu’elle est intempestive et inopinée, brusque et imprévisible, bousculant les frontières traditionnelles, elle est aujourd’hui mise sous la loupe de la sécurité pour en comprendre le fonctionnement, l’essaimage et les modus opérandi. Les balises qui, traditionnellement, faisaient office de gardiens de la morale publique et de la cité, comme l’imam, l’enseignant, l’aîné et le parent, ont été disqualifiées par cette génération, dont le dieu seul et unique est Internet Tout-Puissant.
Si la société observe le développement de cette génération avec curiosité et amusement, et parfois, il faut le dire, avec sévérité et mépris, la considérant comme un signe des temps, pour leur part, les sociologues, les psychologues, les chefs d’entreprises, de même que les responsables de la sécurité intérieure, tentent de comprendre les ressorts de cette catégorie de jeunes. D’autant que dans les études les plus récentes, en Occident notamment, la génération Z est présentée sous un jour menaçant : indisciplinée, sans pitié pour les valeurs, reniant le bienfait civique et moral de l’effort et du travail, elle n’a pas peur des échecs, regarde toujours plus haut et vit dans le village digital global plus que dans son espace géographique propre.
La génération Z? La sueur de l’effort physique, c’est pas pour elle; le travail quotidien moyennant un salaire, c’est pour les autres; elle, c’est banco, ici et maintenant.
Or tout cela crée (s’il ne l’a déjà fait) des contrecoups violents dans la société. Comment canaliser une force irrésistible et insaisissable de ce type nouveau ? Comment détourner cette énergie hyperactive sur des occupations plus rentables pour tous? Et comment prévoir les possibles débordements dans les cas extrêmes?
Autant de questions qui hantent les nuits de ceux qui sont appelés à apporter les réponses adéquates à ce type de questions préventives, le premier des principes fondamentaux de la stratégie étant, selon Carl Von Clausewitz, de « faire entrer en ligne de compte les facteurs moraux et anticiper même une réflexion rationnelle sur toutes les situations susceptibles de se produire afin de pouvoir se familiariser le plus possible avec elles ».
