La scène musicale nationale lui doit le chaâbi contemporain, le mandole, une interprétation atypique et des succès qui raisonnent encore chez plusieurs générations de chanteurs et musiciens. El Hadj M’hamed El Anka, précurseur de la chanson chaâbi et enseignant de musique, aura enrichi sensiblement le répertoire du patrimoine musical algérien.
L’Algérie qui célèbre cette année le soixantenaire du recouvrement de la souveraineté nationale, lui doit aussi l’hymne populaire à l’indépendance, le fameux « Hamdoulillah mabqach istiîmar fi bladna », une œuvre que le « ‘Cardinal » avait écrite et composée alors que l’affranchissement du joug colonial se profilait à l’horizon, pour la chanter la première fois le 3 juillet 1962.
Cette illustre personnalité de l’art algérien, disparue le 23 novembre 1978, aura été l’initiateur du genre chaâbi mais aussi de toute une classe d’interprètes du genre, se réclamant de la « Ankaouia », et de plusieurs générations de musiciens qu’il a formées au Conservatoire municipal d’Alger.
En se lançant dans cette aventure du chaâbi, El Hadj M’hamed El Anka avait poussé sa volonté de se démarquer des orchestres de musique andalouse jusqu’à introduire de nombreux instruments comme le banjo et le piano, mais aussi jusqu’à « affirmer sa personnalité » en concevant un instrument dont « le son résonnerait, autant que sa propre voix, pour être entendu au-delà des maisons de la Casbah », affirmait Kamel Ferdjallah, professeur de musique et élève d’El Anka.
La création du mandole, le Cardinal l’avait évoquée dans un entretien avec l’écrivain Kateb Yacine, où il affirmait avoir « réalisé le plan de cet instrument en 1935, et l’avoir remis au luthier de Bab El Oued, Jean Bélido », également professeur de musique.
Dans ce même entretien, il évoque plus longuement sa collaboration et sa relation avec Hadj Mrizek et ses histoires avec ses nombreux élèves dont Hadj Menaouar (1913-1971), qu’il qualifie comme « un de mes meilleurs », Khelifa Belkacem (1907-1951), Omar Mekraza (1924-1986) ou encore Hsissen, Ahcène Larbi Benameur de son vrai nom (1929-1959).
Natif de la Casbah d’Alger en 1907, Mohamed Idir Halou de son vrai nom, a suivi une scolarité à l’école coranique à la Casbah et à l’école coloniale Brahim-Fateh. Il a très jeune choisi la voie de la musique dans un environnement propice à la création et à l’apprentissage auprès de figures comme Mustapha Nador et Mohamed Ayad, dit Khioudji.
Après la disparition de Mustapha Nador en 1926, le jeune M’hamed le remplace pour l’animation des fêtes familiales et commence à se démarquer de la musique andalouse. Cette touche de fraicheur va le conduire à enregistrer de nombreux disques, puis à chanter et enregistrer des oeuvres en Tamazight de 1929 à 1931, et à diriger le premier orchestre de musique populaire de la Radio, qui allait devenir à partir de 1946 « orchestre chaâbi » grâce au concours de Boudali Safir.
En 1955, l’interprète emblématique de « Sobhane Allah Ya Ltif », sur un texte du regretté Mustapha Toumi, fait son entrée au Conservatoire municipal d’Alger en qualité de professeur chargé de l’enseignement du chaâbi, une aventure qui va donner naissance à un orchestre conduit par Mohamed Ferkioui.
Des disques, des élèves et une voie artistique pour la postérité
Durant une carrière de plus de 60 ans voués à la musique, accompagné de musiciens d’exception à l’exemple de Mustapha Skandrani, Ali Debbah dit Alilou, Abdelghani Belkaïd ou encore Mohamed Seghir Aouali, El Hadj M’hamed El Anka aura légué au répertoire algérien pas moins de 360 qcid et quelques 130 disques.
L’illustre interprète de qcid comme « El Meknassia », « El Baz » et « Ouelfi Meriem », aura également accompagné toutes les célébrations du recouvrement de l’indépendance depuis 60 ans avec « El Hamdoulilah mabqach istiîmar fi bladna » et laissé son empreinte dans d’innombrables fêtes familiales qu’il a animées lui-même ou ses nombreux élèves.
Abdelkader Chercham, Rachid Souki, Ahmed Bernaoui, Rachid Berkani ou encore Robert Castel sont autant d’élèves formés dans les années 1950 qui se retrouveront autour de son fils, El Hadi, lors de l’aventure « El Gusto », un orchestre recomposé qui ira en tournée mondiale promouvoir le chaâbi.
Le chercheur et spécialiste du patrimoine musical algérien Abdelkader Bendameche, a confié à l’APS que « si le chaâbi m’était conté, j’aurais certainement élevé un piédestal à l’effigie de Cheikh M’hamed El Anka sans hésitation, car avec sa personnalité, son charisme, son audace artistique et sa dextérité instrumentale sur le mandole, il a inscrit son nom en lettres d’or sur le fronton de l’histoire musicale algérienne ».
Le commissaire du Festival national de la chanson chaâbi a également estimé que l’apport du Cardinal à la création de cet instrument qu’est le mondole, et la refonte de ce genre musical ancestral ont fait de lui le « bâtisseur de la chanson chaâbi qui fait notre fierté ».
Après une longue carrière qui prendra fin en 1977, El Hadj M’hamed El Anka a fait part du profond respect qu’il vouait à l’art en déclarant au célèbre écrivain Kateb Yacine: « l’art c’est la vie et on ne peut estimer la vie (…) l’art n’est pas un paravent pour se cacher le visage et tendre la main ».