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Djamil Aissani, président de Gehimab: « Protection, rénovation et valorisation des monuments et vestiges historiques »

Professeur de mathématiques, Directeur de l’Unité de Recherche La MOS (Modélisation et Optimisation des Systèmes), Université de Béjaia, Djamil Aissani est également président de la Société Savante Gehimab (GEHIMAB (Groupe d’Études et de Recherches sur l’Histoire des Mathématiques à Bougie) fondée en 1991 et qui œuvre à exhumer, préserver et vulgariser les richesses scientifiques, culturelles, historiques et patrimoniales de Béjaia. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il est question, grosso-modo, de la situation du patrimoine historique de Bejaia et de la précieuse contribution de GEHIMAB à sa mise en valeur et à sa préservation. 

L’Express: Depuis sa création, l’association Gehimab a toujours œuvré à la protection, à la restauration et à la mise en valeur des sites et monuments historiques de Bejaïa. Quel est l’état des lieux actuel des monuments et vestiges historiques que renferme la wilaya ?

Pr Djamil Aissani : Effectivement, la société savante GEHIMAB (Groupe d’Etudes sur l’Histoire des MAthématiques à Béjaia) a toujours collaboré avec les pouvoirs publics pour l’identification et la documentation des sites archéologiques et monuments historiques de la Wilaya de Béjaia. Dès 1991, lors de l’Assemblée Générale Constitutive de notre association, Monsieur Brahim Boussadia, Chef de la Circonscription Archéologique de Béjaia (qui regroupait alors 03 Wilayas – Bejaia, Bouira et Tizi Ouzou) avait donné une  conférence intitulée  « Vestiges archéologiques de Béjaia » où il soulignait l’importance de l’aqueduc de Saldae (Toudja), « le monument le plus important de la Wilaya ». Puis il avouait :« franchement, les vestiges sont plus en sécurité sous sol ». C’est-à-dire, mieux ne pas découvrir, car dans le cas contraire, il va falloir protéger et restaurer. Or, nous n’en avons ni les moyens, ni les savoir-faire ». 

Y a-t-il  encore des sites à Bejaïa  qui  ne se sont pas encore classés par arrêté parmi les sites et monuments historiques ou sur  la liste des biens culturels ? Si c’est le cas pouvez-vous nous citer quelques exemples ?

Il y a 30 ans de cela, les sites classés se limitaient au périmètre « Béjaia – El Kseur_ Toudja » et « Afalou – Melbou ». Mais ces dernières années un grand travail a été réalisé dans la vallée de la Soummam et les Bibans. Il y a actuellement deux périmètres sauvegardés : la vieille ville de Béjaia et la Qal`a des Ath Abbas. Des dizaines de sites ont été documentés. Pas simplement en ce qui concerne l’intérêt culturel et historique, mais également du côté administratif et juridique : plan de masse, plan de situation, statut juridique,…). Par la suite, il faut transmettre les dossiers à la Commission de Wilaya pour qu’ils soient inscrits dans l’inventaire supplémentaire des biens culturels de la Wilaya de Béjaia. Cela a été le cas dernièrement pour la galerie de peinture et des arts graphiques Emile Aubry et du puits de la paix (Bir Slem). Mais, de nombreux autres sites sont en attente. Nous sommes actuellement en train de préparer le dossier de classement national pour « l’aqueduc de Saldae – Toudja ». D’un autre côté, il y a des dizaines de sites qui ne sont pas classés, partout dans les 52 communes de la Wilaya de Béjaia malgré qu’ils soient bien documentés : C’est le cas par exemple de la Zawiyya – Institut de Chellata, de la stèle lybico – berbère figurée de Smaoun, des sites antiques d’Ighil Oumsed et de Bouni,…

De nombreux sites et monuments pourtant classés, à l’exemple de Tiklat, antique Tubusuptu et les allées couvertes d’Ibarissen, sont laissés à l’abandon. Y-a-il espoir de voir un jour ces sites restaurés et protégés pour devenir de véritables destinations touristiques ?

C’est vrai, les sites que vous citez ne sont pas protégés. La protection est du ressort des pouvoirs publics, notamment de l’OGEBC (Office de Gestion des Biens Culturels) et de la Direction de la Culture de Wilaya. Cependant, la société civile a le devoir d’intervenir, comme support. Ainsi, des associations du patrimoine ont intégré dans leur programme la protection des sites archéologiques et les monuments historiques. C’est le cas pour El Kseur des associations Tiklat et Timzizdekt. Avec elles, dès 2007, nous avions présenté un dossier de prise en charge et d’accessibilité du site de Tubusuptu – Tiklat.  

Bejaïa recèle des sites et vestiges historiques de différentes périodes. On en recense  de la préhistoire  à la colonisation française, en passant par les périodes punique, romaine, médiévale, espagnole et ottomane. Seraient-ce les sites et vestiges des périodes récentes qui sont les mieux conservés et les mieux protégés ?

Effectivement, les pouvoirs publics et la société civile ont pris conscience de l’importance du bâti colonial comme patrimoine. On a vu la mobilisation citoyenne pour la restauration et l’exploitation de l’ancien palais de justice et de la Maison d’hôte de la Wilaya (construite par le célèbre ingénieur – géomètre polytechnicien Albert Ribaucour – mort en 1893). Mais cette mobilisation a également été forte pour signaler les « couacs » des prises en charge de la protection et de la restauration de Bab El Fouka et de la Casbah.

Quels rôles peuvent jouer les collectivités locales pour  préserver le patrimoine en général, le faire vivre et éviter sa dégradation ?

La préservation du patrimoine fait partie des missions de l’OG.E.B.C. (Office de Gestion et d’Exploitation des Biens Culturels), représenté à Béjaia par Monsieur le Directeur du Musée Bordj Moussa et des Directions de la Culture de Wilaya. Mais les collectivités locales ont le devoir d’intervenir lorsqu’elles sont informées. En particulier, celles qui ont des moyens (comme les APC de Béjaia, d’El Kseur et d’Akbou) peuvent dégager des budgets pour des opérations de préservation. C’est le cas de l’APC de Béjaia pour la préservation de Bab el Fouka. Les services techniques ou de pavoisement des APC peuvent proposer des initiatives, mais toujours sous le contrôle des organismes concernés (OGEBC). Il en est de même pour la société civile. Ainsi, les APC d’El Kseur et Akbou ont actuellement des projets de mise en place de Musée d’art et d’histoire très avancés.

Qu’en est-il de l’ambitieux projet de votre association, «Musée National de Patrimoine et de Société Kabyle» ?

L’organisation tribale a été à la base de la société kabyle à travers les siècles. C’est ce qui explique l’intérêt des chercheurs internationaux pour les tribus. Le Concept « Musée National de patrimoine et de société de la Kabylie » a été introduit en 2010. De patrimoine, car il collectera, conservera et mettra en valeur les témoignages matériels de l’histoire des tribus de Kabylie et de ses habitants, des origines à nos jours. De société, car il mettra en évidence l’intérêt de ses traditions. Il sera donc un lieu de réflexion sur les questions contemporaines, éclairées par les travaux récents d’Archéologie, d’histoire et de Sciences Sociales. Cependant, cette structure devra dépasser le cadre du « local ». A terme, il s’agit de concevoir un Musée National qui devra permettre aux visiteurs de se familiariser avec l’organisation et la structuration de la société kabyle. Il participera au mouvement de renouveau des grands musés d’histoire et d’ethnologie dans le Monde. 

Il s’agit de mettre en place des circuits entre sites choisis (un par commune) et qui permet à des visiteurs de prendre connaissance du patrimoine matériel, immatériel et naturel de la Kabylie. Les sites choisis sont situés sur le territoire de 08 Wilayas (Béjaia, Jijel, Sétif, Bordj-Bou-Arreridj, M’sila, Bouira,Tizi Ouzou, Boumerdès).

Devant le péril qui pèse sur les sites et monuments historiques du pays en général, ne pensez-vous pas qu’il faudrait lancer des campagnes de sensibilisation qui toucheront, même les écoles pour encourager le patriotisme patrimonial et culturel ?

Vous avez raison. Il est nécessaire de sensibiliser les chargés des activités culturelles des directions de l’éducation, de la Jeunesse et des Sports, des Universités de Wilaya. Ces derniers peuvent jouer un rôle dans la fréquentation des musées par les scolaires et les étudiants. Ainsi, le Parc National du Gouraya a signé dernièrement une convention pour initier des visites guidées au niveau de ses musées, notamment celui de géologie et des sites historiques.

Votre association a  lancé depuis février le projet  de  Centre de Documentation sur l’Histoire de Béjaïa (CDHB). Quel apport peut apporter ce projet dans la valorisation du patrimoine historico-culturel de Bejaïa ?

Le CDHB (Centre de Documentation sur l’Histoire de Béjaia) a été lancé dans le cadre de l’appel à projet de l’APW 2019. Il a obtenu la première place (sur 93 dossiers). Il met à la disposition du public tous les documents relatifs à la Cité et la région. Il est situé au premier étage de la Bibliothèque de Lecture Publique (près de radio Soummam). Une convention a été signée pour réglementer son fonctionnement. Ainsi, en ce qui concerne les sites et monuments, le centre dispose de toutes les informations relatives au Musée – circuit de la basse vallée de la Soummam. Cette première composante du Musée de Patrimoine et de Société de la Kabylie, a été mise en place en 2012. Douze sites archéologiques et monuments historiques situés dans les douze communes de la région de Sidi-Aïch ont été classés.

Je vous laisse conclure

Nous continuons notre travail dans le domaine du classement des sites et monuments. Vendredi passé, nous avons officiellement lancé notre nouveau projet de musée – circuit de la Haute Vallée de la Soummam. Il s’agit d’un circuit reliant quinze sites situés dans quinze communes de la région (Akbou, Chellata, Ouzzelaguen, Ighram, M’cisna, Seddouk, Amalou, Tamokra, Bou Hamza, Aït R’zine, Ighil Ali, Boudjellil, Tazmalt, Ath Mellikeche, Béni Maouche). Une réunion autour du président du Gehimab et le Maire d’Akbou,M.Salhi Mouloud) a réuni nos partenaires (institutions et société civile), ainsi que des spécialistes comme la célèbre anthropologue allemande Judith Scheele et l’archéologue Farid Kherbouche.

Propos recueillis par Boualem Bouahmed.

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