Fruit de huit ans de recherche, l’ouvrage monographique de Khellaf Oudjedi «Histoire d’Akfadou, Ait-Mansour Imesdourar » publié aux Editions Achab dresse un vaste tableau de la commune d’Akfadou et en dévoile des aspects peu ou pas connus jusque-là. Dans cet entretien l’auteur nous livre d’amples informations sur les motivations et les conditions qui ont présidé à la rédaction de cet ouvrage qui sera à n’en pas douter une référence incontournable à quiconque travaillera sur la tribu des Ath Mansour et sur l’Akfadou.
L’Express : « Histoire d’Akfadou, Ait Mansour Imesdourar » est le titre de l’ouvrage que vous venez de publier aux Editions Achab. Comment est née l’idée d’écrire ce livre ?
Khellaf Oudjedi : Depuis tout petit, je portais dans mon cœur ce patelin au point de le vénérer, non pas parce que j’y suis né mais en raison des récits de la guerre de libération qui l’entouraient. A l’âge de quinze ans déjà, j’ai écrit un poème sur Akfadou. Ce texte sera chanté plus tard par le groupe musical « Akfadou » dont je faisais partie.
Pour revenir à votre question, l’idée d’écrire ce livre a pris forme dans mon esprit suite à la rencontre de deux personnes : Mokrane Gacem, journaliste et militant des droits de l’Homme, et Hakim Ferkioui, auteur de découvertes archéologiques dans l’Akfadou. Grâce à eux, j’ai su que des vestiges de la civilisation fatimide jonchaient la fraction d’Ikedjane, une localité des Aït-Mansour. J’ai appris aussi que les ancêtres de Cheikh Aheddad seraient partis d’Akfadou pour s’installer à Seddouk, etc.
Cela a suffi pour éveiller ma curiosité. Des questions se bousculaient dans ma tête. C’est ainsi que l’idée d’écrire un livre a germé dans mon esprit. Il m’a fallu près de huit ans de recherche pour rassembler toutes les informations contenues dans cet ouvrage.
Dans ce livre vous avez parlé de l’histoire, de la culture, des traditions, de l’organisation socio-historique ainsi que du mode de vie d’antan et contemporain de ce qu’on appelle aujourd’hui la Commune d’Akfadou. On remarque toutefois que le volet historique prédomine, n’est-ce pas?
Tout à fait. Ce n’est pas fortuit. J’ai choisi délibérément de favoriser le volet historique. Parler du présent n’intéresserait pas grand monde. Les citoyens ont envie de connaître leur passé. C’est en écrivant notre histoire que nous éclairerons notre avenir. Pour paraphraser Jean Paul Sartre, je dirai « Qui ignore son passé est condamné à le revivre. ».
C’est en connaissant notre passé que nous éviterons les erreurs de nos ancêtres et mettrons en valeur ce qui leur a permis de vaincre les obstacles de la vie.
Écrire l’histoire, même locale, est la meilleure façon de la soustraire à la falsification qui fait le lit à tous les révisionnismes. Il faut dire que des vestiges archéologiques présents sur les lieux et des écrits d’auteurs, historiens ou pas, m’ont encouragé à le faire.
La structure économique de la région et ses transformations à travers le temps n’ont pas été assez examinées dans cette étude à caractère monographique. Est-ce délibéré ?
Quand bien même j’aurais voulu examiner en profondeur la structure économique de la région et ses transformations à travers le temps, je ne trouverais pas beaucoup à dire. L’économie consiste en la production, la distribution, l’échange et la consommation de biens et de services.
Or, à Akfadou, celle-ci se limitait dans le passé à une agriculture de survie dont les moyens de production sont les bras nus et les bœufs pour les plus chanceux des paysans d’une part et le troc de biens et de nourriture entre les villageois, d’autre part. De nos jours, hormis les services comme les commerces de détail, rien de plus n’est venu développer l’économie locale.
Quels sont les méthodes et éléments de recherche auxquels vous avez fait appel et que vous avez privilégiés dans la rédaction de cette étude ?
Mon métier d’enseignant de français ne me prédisposait pas à ce genre d’écriture, autrement dit, à une étude monographique, voire historique. Ma motivation est celle de quelqu’un qui cherche à connaître l’histoire de sa tribu. Ma méthode n’appartient à aucune école. J’ai dégagé les chapitres à développer, qui sont au nombre de sept.
Concrètement, j’ai axé mon travail sur trois volets. Il y a eu d’abord, une enquête auprès des citoyens qui avaient renseigné un questionnaire portant sur l’origine des familles, l’étymologie des noms de famille, les hauts faits ayant lieu dans chaque village, les personnes connues…
Ensuite, j’ai effectué le recensement des vestiges historiques et archéologiques se trouvant sur le territoire de la tribu. Enfin, est venue la phase de lecture d’ouvrages pour apporter de l’authenticité à certaines informations. Une fois, toutes ces informations réunies, je m’étais mis à l’écriture proprement dite.
Hormis Ibn Khaldoun qui parle de « adrar n’ezzen » en référence à la forét d’Akfadou, avez-vous trouvé des documents datant d’avant la colonisation française parlant de l’Akfadou ?
J’aimerais vous rappeler que mes sources ne sont pas uniquement livresques. Par exemple, il y a des vestiges datant de l’époque romaine comme le fouloir pressoir de Mazkou à Awrir Aït-Hsiyène, la table romaine (pierre circulaire portant les initiales latines des quatre points cardinaux) à Tiniri. On trouve aussi la tête de Sphinx (Alâav n Feraoun), les écritures kouffies gravées sur une pierre à Ikedjane… Tous ces vestiges attestent de la profondeur historique des Aït-Mansour.
Pour répondre plus clairement à votre question, je dirai que je n’ai pas eu accès à des documents datant d’avant la colonisation si ce n’est l’œuvre d’Ibn Khaldoun qui reste l’un des historiens les plus objectifs concernant les Amazighs
Ceci dit, l’authenticité de mes informations n’est pas en cause car les ouvrages que j’ai consultés contiennent des références allant du XIXe siècle à l’antiquité. Je citerai, à titre d’exemple, « Le Djurdjura à travers l’histoire. » de S. A. Boulifa, « La Kabylie et les coutumes kabyles » A. Hanoteau et A. Letourneux, « Les archs tribus berbères de Kabylie », Youcef Allioui, Ed. L’Harmatton, etc.
Vous avez scindé votre ouvrage en sept chapitres (heureux chiffre, s’il en est). C’est tellement vaste et important que chaque chapitre mérite un ouvrage à lui seul ? Ne trouvez-vous pas ?
Je partage entièrement votre point de vue. En écrivant ce livre, je n’ai fait déblayer le terrain ; c’est aux autres, ceux qui maîtriseront les critères d’écriture, de faire une recherche historique digne de ce nom.
J’appartiens à une génération qui s’est investie dans l’art et l’écriture beaucoup plus par militantisme que par vocation. Oui, tout reste à écrire concernant la guerre de libération à Akfadou qui fut le bastion de la wilaya III historique, l’Akfadou qui est le royaume de la faune de la flore, et d’autres thèmes.
Je vous laisse conclure…
Je tiens aussi à me réjouir de l’accueil très favorable qu’a connu ce livre, notamment dans la wilaya de Bejaia.
Akfadou est un miroir qui nous renvoie l’image de la Kabylie dont il représente un échantillon. Puisse ce livre faire des émules dans d’autres villages et tribus. C’est ainsi que les historiens trouveront un matériau à partir duquel ils travailleront.
Cet ouvrage apporte un éclairage nouveau sur la tribu des Aït-Mansour, toutefois je n’ignore pas qu’il a ses limites et que la recherche doit se poursuivre.
Bio-express
Khellaf oudjedi est né à Akfadou (Béjaia) le 07 avril 1957. Membre fondateur et parolier du célèbre Groupe Akfadou qu’il a quitté en 1996, Khellaf Oudjedi est connu pour son dynamisme culturel et politique en faveur de Tamazight et de la démocratie. Il a sorti en 2019 un album de poésie kabyle intitulé « Tamurt-iw ».