Dans cet entretien, le spécialiste en foncier aborde la gestion du patrimoine urbain, préconise l’application du code civil concernant la copropriété et l’instauration d’un véritable marché locatif comme troisième possibilité pour les citoyens, après l’achat et le social en matière d’accès au logement.
L’EXPRESS : COMMENT ÉVALUEZ-VOUS L’ETAT DU FONCIER URBAIN ?
Boukaraoun Amar : Malgré toutes les contraintes liées au sol, l’Etat parvient à réaliser assez de logements au profit de la population. On a officiellement les chiffres donnés en septembre 2022 par le Premier ministre Aimene Benabderahmane lorsqu’’il a défendu son programme d’action : le taux d’occupation par logement est de 4,18. L’objectif que cherche ce TOL est justement de savoir combien il y a de personnes par logement.
Nous sommes 4,18 Algériens sous un toit de 70 mètres carrés si l’on considère que le logement détenu en moyenne par l’Algérien est un F3. Dans ce cas, chaque Algérien a un espace de 16,4 mètres carrés dans son logement. L’Algérie enregistre actuellement 10 millions de logements. Or, selon l’ONS, l’Algérie compte 45 millions d’habitants dont 7 millions représentent la diaspora algérienne à l’étranger.
En ce sens, le ministère de l’Habitat recense 900.000 maisons en voie de finalisation touchées par la loi sur la conformité de 2008. Précisément, les propriétaires de ces maisons ont déposé le dossier pour avoir le certificat de conformité. Ils ont construit des lots de 200 mètres carrés en R + 1 suivant la loi de 1974 sur les réserves foncières, soit un bâti de 400 mètres carrés, correspondant au total à 4 millions de logements.
En fait, les Algériens disposent au minimum de 14 millions de logements. Chaque Algérien vit donc sous un toit. Chaque Algérien dispose finalement en moyenne d’un studio de 28 mètres carrés. L’Etat aujourd’hui ne peut pas connaître les vrais chiffres sur le nombre de logements construits. Pour le savoir, il doit réunir des effectifs énormes pour comptabiliser de manière très précise tous les logements qui existent en Algérie. Il y a une solution pour connaître les vrais chiffres, c’est appliquer les règles de la copropriété.
EN QUOI L’APPLICATION DES RÈGLES DE LA COPROPRIÉTÉ PEUT-ELLE CONDUIRE À UNE COMPTABILITÉ EXACTE DU NOMBRE DE LOGEMENTS CONSTRUITS EN ALGÉRIE ?
Le code civil impose l’application des règles de la copropriété. Lorsqu’on met en branle les règles de la copropriété, c’est comme si on mettait en branle le code de la route. Il faut appliquer donc aujourd’hui les règles de la copropriété en instaurant dans chaque groupement de logements en copropriété des administrateurs de biens.
Il n’y a pas quasiment d’application des règles de copropriété en Algérie. L’Etat doit être présent. Il doit instaurer ou imposer les administrateurs de biens, précisément des immeubles en copropriété : AADL, LSP, ENPI, OPGI, les résidences. La solution aurait été d’imposer des administrateurs de biens pour gérer la copropriété et pour assurer la sécurité de ces quartiers.
Le jeune sans emploi peut être recruté au titre de la copropriété. Il y a aussi à travers la copropriété la mise en œuvre de l’économie circulaire : tri des déchets ménagers et récupération du papier, du plastique, du verre, du métal, du bois.
L’Algérie compte des dizaines de milliers de diplômés en architecture, en génie civil sans emploi. Ces jeunes peuvent être recrutés en tant qu’administrateurs des biens. Ils vont gérer la copropriété. On estime à 200.000 emplois qui peuvent être créés à travers le poste d’administrateur des biens. Si on ajoute les salariés qui assistent l’administrateur des biens dans sa fonction ‐ 3 salariés au minimum ‐, on estime le nombre d’emplois directs créés à travers l’application de cette disposition du code civil à 800.000 dans trois à cinq ans.
Si on ajoute l’économie circulaire et les énergies renouvelables ‐ installation de panneaux solaires dans les nouveaux logements ‐, on peut créer
500.000 emplois supplémentaires à travers l’application de cette règle de la copropriété. Ces administrateurs de biens sur le terrain permettront de connaître le chiffre exact des logements qui existent en Algérie. Il n’y a donc pas de pénurie de logement actuellement mais un problème de régulation du logement en Algérie.
QU’EN EST-IL DU FONCIER INDUSTRIEL ?
C’est comme le foncier urbain : un bâtiment en copropriété est un lotissement (composé de lots). Le code civil ne distingue pas entre copropriété verticale (urbain) et horizontale (industriel). Les zones industrielles sont composées comme le patrimoine urbain de lotissements divisés en lots. Les industriels dans une zone industrielle ou une zone d’activité ont des problèmes de gestion des parties communes (accès, VRD, lampadaires…).
Par rapport au code civil, le foncier industriel est dans la même situation que le foncier urbain, soit l’absence de respect des règles de copropriété.
VOUS AVEZ ÉVOQUÉ LES CONTRAINTES LIÉES AU SOL. POUVEZ–VOUS ÉCLAIRER LES LECTEURS SUR CES DIFFICULTÉS ?
Il convient d’expliquer d’abord la relation entre le foncier et le bâti. Le foncier est l’élément par lequel on peut avoir le droit de propriété, avoir le pouvoir de bâtir. Il faut, en un mot, procéder à des démarches consistant à aller vers l’administration pour avoir ce droit. C’est à ce moment‐là qu’on peut parler de logement, d’hôtel, de bien culturel ou cultuel. On ne peut pas légalement bâtir sans avoir la propriété, sans avoir le droit d’utiliser ce foncier. Il y a une relation charnière entre les deux.
Pour parler de l’Algérie, il ne faut pas oublier que l’Algérie est un continent avec une superficie de près de 2,4 millions de kilomètres carrés. Certes, il y a des conditions d’habitabilité qui ne permettent pas de construire dans le Grand Sud. En revanche, la problématique qui se pose est que nous comptons 45 millions d’habitants. Ce n’est pas important par rapport à la superficie. Le ratio habitants/superficie dicte qu’il n’y a pas de problème de sol. Le problème réside dans la gestion de ce sol.
Le sol a une relation avec le bâti. Le droit de bâtir est imposé par les instruments d’urbanisme. Qu’est‐ce qu’on entend par cela ? C’est la procédure qui permet à l’Etat de délivrer le permis de construire. C’est une procédure que l’Etat lui‐même s’est imposé. La problématique est que l’Etat n’arrive pas à produire assez d’instruments d’urbanisme pour répondre à la demande du citoyen.
Ce dernier va par exemple, faire sa demande à Djelfa, Tipasa. Il va à l’APC. Il a un acte de propriété. Il est dans son droit d’avoir un permis de construire puisqu’il a un acte de propriété du sol. L’APC souvent ne peut pas lui délivrer le permis pour la simple raison que le maire, le wali dans de nombreux cas ne connaît pas les règles d’urbanisme dans le quartier en l’absence des instruments d’urbanisme à l’instar du POS ‐ plan d’occupation des sols ‐, POS, du plan de développement et d’aménagement urbain PDAU. Le POS va dans le détail.
Il instaure dans une commune des règles, des normes de construction, les gabarits, le coefficient d’emprise et quoi construire (polyclinique, école, route…). Le POS est opposable à tout le monde. Personne n’a le pouvoir de le changer.
Les pouvoirs publics n’arrivent donc pas à produire les instruments d’urbanisme pour faire face à la demande de logements, des promotions immobilières. Nous n’avons pas les chiffres sur les POS, c’est‐à‐dire sur le nombre de POS établis.
Le cadastre, lui, nous donne une image topographique des lieux, en plus d’une typographie des droits sur le sol. Quant au PDAU, cet instrument d’urbanisme, c’est une schématisation par rapport à une grande ville, par rapport à une grande partie de wilaya. Le POS est déposé à la Conservation foncière. Le PDAU est publié par décret. Il peut changer, il peut évoluer. Il permet d’évaluer la situation urbaine d’une région selon les conditions du moment.
UN DERNIER MOT ?
Tout d’abord, à la suite de ce que j’ai développé précédemment, je lance un avis public d’intérêt pour tous les techniciens, les ingénieurs, les architectes, les urbanistes pour une mise à niveau dans le domaine de la copropriété. Une formation qui demande quelques mois. L’Algérie a des milliers d’ingénieurs et d’architectes qui sont au chômage.
Si on applique les règles de la copropriété, ces diplômés sans emploi seront recrutés par les copropriétaires. Ils vont gérer la copropriété. On va connaître le nombre de logements en Algérie. On va donc arrêter de construire sur les deniers publics. Cet argent servira à la rénovation du vieux bâti. Cela veut dire que l’Etat va devenir régulateur. Il va participer à l’accompagnement des copropriétaires dans le cadre de la copropriété.
Autre conséquence, une fois que le marché régule l’offre, l’Etat aura un regard précis sur qui à quoi. La demande sur le logement va baisser, l’offre va augmenter. En conséquence, le marché locatif va être lancé. Le loyer va baisser. Le citoyen aura recours à la location. Après l’achat et le social, le citoyen aura une troisième possibilité, celle de la location. Cela va favoriser la mobilité, la possibilité de travailler dans n’importe quelle région du pays et selon les bonnes opportunités d’emploi.