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«L’Afrique n’a jamais eu une pareille occasion pour s’affranchir de la tutelle des Occidentaux»

Dans cet entretien, Le Docteur Djibril Diop a bien voulu nous répondre sur un certains nombre de questions liées à la situation africaine de manière générale, et à l’espace sahélien plus spécialement, dans son rapport de coopération avec la Russie, dans la perspective d’un monde unipolaire.

Le Sommet des Africains avec la Russie est‑il un Forum pour l’émancipation des pays africains ou un faire-valoir pour le Kremlin ?

Les 27 et 28 juillet s’est tenu le 2 e Sommet Russie‐Afrique à Saint‐Petersbourg en Russie. Et il a constitué une occasion exceptionnelle pour les pays africains d’affirmer enfin leur indépendance.

En effet, le contexte est exceptionnel et l’opportunité grande. Pour la première fois dans l’histoire certainement, l’Afrique arbitre les relations internationales qui ont été toujours écrites dans son dos et sans jamais tenir compte de ses intérêts.

D’autant que le contexte donne cette fois‑ci des cartes aux Africains…

Dans ce contexte géopolitique mondial troublé par la guerre entre la Russie et l’Ukraine avec le soutien à cette dernière de l’essentiel des pays de l’OCDE avec à leur tête la première puissance mondiale, les États‐Unis, et la perspective d’un conflit ouvert entre la Chine et les États‐Unis, et le tarissement des capacités de financement du développement de la part des bailleurs traditionnels (essentiellement les pays occidentaux et les institutions qu’ils contrôlent) pour leurs économies en quête d’émergence légitime, les pays africains n’ont jamais eu une occasion aussi palpable pour s’affranchir de la tutelle des Occidentaux, qui depuis près de cinq siècles les soumettent à leur domination quasi ininterrompue à ce jour.

Des exemples de cette affirmation du fait africain ?

Pour la première fois, lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies de la résolution condamnant l’intervention de la Russie en Ukraine, le 3 mars 2022, les Africains ont osé défier leurs anciens maîtres en votant contre pour certains et en s’abstenant pour d’autres.

Ce fut la grande déception et une pilule amère pour ces derniers qui auraient voulu, comme à l’accoutumée, l’alignement systématique et inconditionnel de leurs suppôts sur leur position. En revanche, ce fut une audace très applaudie par les opinions publiques africaines qui acculent leurs gouvernements depuis quelques années pour mettre fin à cette domination dégradante.

Le deuxième acte remarquable dans ce processus d’affirmation vis‐à‐vis de l’Occident a été opéré lors de la conférence de Paris sur le financement du développement durable à travers le nouveau « Pacte financier » mondial, les 22 et 23 juin 2023. Les réactions des dirigeants africains ont été largement applaudies sur le continent : « Enfin, ils ont osé dire la vérité les yeux dans les yeux ! ».

Les leviers financiers dont dispose l’Occident ont été déterminants dans cette longue et douloureuse hégémonie…

En effet, dans un monde de plus en plus ouvert, avec des partenaires financiers qui, tant du point de vue de l’offre que de la relation avec plus de dignité, présentent désormais de nouvelles perspectives de partenariat pour le développement aux pays africains qui depuis leur soi disant indépendance, il y a plus de 60 ans, sont restés sous le joug des Occidentaux à travers notamment leurs instruments de domination que sont les institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et FMI), qui, avec leurs règles iniques, ont toujours imposé leurs conditionnalités, détruisant par conséquent tout socle de développement socioéconomique possible de façon endogène dans ces pays.

Comment se présentent concrètement les choses pour les Africains ?

Dans le contexte d’une Russie affaiblie par presque deux années de guerre et qui continue de défier l’Occident, donc qui cherche aussi des alliés, dans la perspective d’une guerre probable entre les États‐Unis et la Chine, la deuxième économie du monde et une puissance hégémonique en devenir, de l’existence d’autres sources de financement du développement qui ne soient plus uniquement celles des bailleurs traditionnels, les pays africains ont une carte à jouer pour enfin exister sur l’échiquier international.

Car ils sont courtisés par tous, et tout le monde a besoin d’eux comme alliés dans ce nouveau monde qui pointe à l’horizon. Parce que, tout simplement, l’Afrique, avec ses 54 États ayant droit de vote aux Nations unies, compte dans l’affirmation de la primauté du droit international, parce que l’Afrique avec l’essentiel des ressources convoitées dans ce monde, parce que l’Afrique avec la jeunesse de sa population au moment où d’autres parties du monde voient leurs populations décliner et/ou vieillir rapidement, est incontestablement un allié indispensable dans l’avenir du monde, même si elle est présentée aujourd’hui comme le continent à la dérive du développement.

Est‐ce que les Africains sauront exploiter cette opportunité historique ou continueront‐ils à faire de la figuration dans des rencontres de non‐sens comme les Sommets France‐Afrique, Japon‐Afrique, États‐Unis‐Afrique, Chine‐Afrique, Inde‐Afrique ou encore Europe‐Afrique, etc., pendant que d’autres font main basse sur leurs richesses ou font avancer leurs intérêts stratégiques !

Le Docteur Djibril Diop est chargé de cours à l’École d’urbanisme et d’architecture à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, au Québec (Canada), et membre fondateur du Réseau d’échanges stratégiques pour une Afrique urbaine durable (RESAUD). Il traite depuis des années dans les revues spécialisées et les médias du monde entier des questions d’actualité qui secouent l’Afrique et les pays sahéliens plus précisément.

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