La pression sur les énergies fossiles continue son bout de chemin. En effet, la déclaration du Secrétaire Général de l’ONU, António Guterres, l’affirme : « ……nous sommes entrés dans l’ère de l’ébullition mondiale.. » Ceci indique clairement que sans accords importants impliquant toutes les parties et sans réserve, il sera difficile de contenir le réchauffement climatique à 1,5 °C égal à celui de l’ère préindustrielle de 1,4°C. D’où des tractations entre parties à travers souvent un jeu de guerres d’influence entre elles, les intérêts et les priorités des uns et des autres ne se rejoignant pas toujours.
La COP 28 a vu la présence d’un nombre très important de lobbyistes des énergies fossiles accrédités à la réunion, soit 2.400. Il s’agit de représentants du secteur des hydrocarbures et du charbon, sans compter que le Président de la COP 28 est lui-même le patron de l’une des plus importantes compagnies pétrolières, l’émirati « ADNOC ». De leur côté les producteurs d’hydrocarbures tentent de défendre leur conception d’une « Transition juste » en justifiant : D’un côté, l’impossibilité d’éliminer de façon aussi rapide que le pensent certains le rôle de ces énergies fossiles, à moins de mettre en péril non seulement la sécurité énergétique des pays consommateurs, mais aussi des secteurs industriels très importants. De l’autre, leur confiance et leur volonté dans les progrès technologiques et les investissements qu’ils entreprennent en matière de réduction des émissions à travers le captage et de stockage du CO2, la réduction des émissions de méthane et des gaz torchés.
10 pays responsables des deux tiers des émissions de CO2
Tous s’accordent sur une réduction progressive à un horizon au-delà de 2040, sauf en ce qui concerne le gaz naturel qui est pour le moment épargné au regard de son rôle de complémentarité avec les ENR, et dans de nombreuses industries où il est difficile, voire impossible pour le moment de l’éliminer. Mais tous ne font pas partie non plus comme par hasard des 10 pays responsables des deux tiers des émissions de CO2, à savoir : Chine, USA, Inde, Russie, Japon, Iran, Allemagne, Corée du Sud, Indonésie et Arabie Saoudite. Trois d’entre ces pays émettent plus de 50%. Il est clair que la plus visée des énergies fossiles est celle du charbon dont la sortie est demandée à l’horizon 2030 par le Président français Macron qui semble viser les six grands consommateurs qui sont en 2019 la Chine (51%), l’Inde (11,8%), les USA (7,2%), le Japon (3,1%), l’Afrique du Sud (2,4%), la Russie (2,3%). Il est utile de noter que l’Allemagne (1,5% de la consommation mondiale en 2019) qui se disait leader de la transition énergétique a du recourir au charbon suite à la crise politico-militaire Russo-ukrainienne et l’arrêt des importations de son gaz à partir de la Russie. Le charbon compte actuellement pour 31,6% dans son mix énergétique, contre 44,5% en énergies renouvelables. La Chine demeure le pays qui émet le plus de gaz à effet de serre (1/3), mais elle possède le plus grand parc photovoltaïque du monde, fabrique le plus grand nombre de véhicules électriques et dispose d’importants gisements en minerais stratégiques et une industrie de processing à faible coût de revient ce qui lui permet de négocier sa position de l’accord sur le « fond pour les pertes et dommages ».
Un fond pour les pertes et dommages
A l’occasion de la COP 28, la finalisation de l’accord sur le « fond pour les pertes et dommages », est un premier résultat positif très attendu, mais il reste à savoir comment sera géré ce fond, qui seront les donateurs, et qui seront les bénéficiaires des 100 milliards de USD à mobiliser d’ici 2025, et comment seront-ils accordés et remboursés par les pays bénéficiaires car il s’agit bien de prêts et non de dons. Un deuxième résultat a abouti, c’est l’engagement de 118 pays à multiplier les énergies renouvelables à l’horizon 2030, tandis que 63 autres s’engagent à limiter les émissions du secteur du refroidissement. Avec 1,2 milliards de personnes qui n’ont toujours pas accès à ces technologies, auxquels il faut ajouter la croissance démographique et les impacts de réchauffement climatique, il est prévu que les capacités de refroidissement soient multipliées par trois. Selon le représentant américain John Kerry, la solution passe par « un refroidissement durable », et le « Global Cooling Pledge » propose un plan de réduction qui passe par « l’établissement de normes minimales de performance énergétique d’ici 2030, ainsi que la réduction des émissions liées à ce secteur de 68% à l’horizon 2050 ». De son côté, le Groupe de Coordination Arabe ACG a décidé de mobiliser un fond de 10 milliards de USD pour « conduire une transition complète et abordable vers les énergies renouvelables dans les pays en développement ».Ce fond vient s’ajouter à celui annoncé par les Emirats Arabes Unis, « un engagement de 30 milliards de USD en faveur du fond d’investissement « ALTERRA » destiné à faire avancer les efforts internationaux visant à créer un système de financement climatique plus équitable, en mettant l’accent sur l’amélioration de l’accès au financement pour le Sud global ». Ce fond privé est appelé à mobiliser 250 milliards de USD à l’horizon 2030 et 4,5 milliards de USD seront déjà consacrés à l’aide des pays africains pour la lutte contre les dérèglements climatiques et le développement des énergies renouvelables.
L’Algérie est lourdement impactée par le phénomène climatique
En ce qui concerne l’Algérie en particulier, au même titre que les pays de la région Afrique du Nord et Sahel, est particulièrement affectée par la désertification et la dégradation des sols. Les zones du territoire qui reçoivent plus de 400 mm de pluie par an se limitent à une bande d’un maximum de 150 km de profondeur à partir du littoral, et la variabilité du climat et les événements climatiques extrêmes constituent de sérieux défis pour la population, pouvant accroître leur insécurité alimentaire et freiner le développement socioéconomique du pays. En matière d’émission de gaz à effet de serre, selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIEA), l’Afrique n’est responsable que de 3% des émissions et l’Algérie n’en émet que 0,39%. En tant que pays semi-aride, l’Algérie est lourdement impactée par le phénomène climatique se traduisant par la survenance d’aléas climatiques devenus endémiques depuis quelques années déjà. Dans sa gouvernance des défis climatiques, l’Algérie a mis en place un Plan National Climat (PNC) 2020-2030 portant sur 155 projets pour la réduction des émissions des gaz à effet de serre (GES), l’adaptation avec les impacts négatifs des changements climatiques et l’accompagnement de la gouvernance climatique. Les engagements du plan national d’adaptation aux changements climatiques se déclinent comme suit : réduction de 7% des émissions de gaz à effet de serre, avec la perspective de porter ce taux à 22% d’ici 2030. De grands projets sont programmés dans ce cadre, à l’instar de la relance du barrage vert, l’extension de l’énergie solaire, notamment au profit des populations du Sud et des Hauts Plateaux, pour le développement du secteur agricole et la satisfaction des besoins domestiques en électricité propre et en eau potable, l’encouragement de l’investissement dans l’activité de la collecte, du tri et recyclage des déchets, à travers la création de Start-up, la production de l’hydrogène vert, etc. Ce sont là, quelques actions que l’Algérie a engagées au titre des Contributions Déterminées au niveau National (CDN) exigées des pays signataires de l’Accord de Paris pour réduire le réchauffement climatique à hauteur de 1,5°C.
En conclusion, il convient de constater que la géopolitique énergétique valse entre intérêts nationaux, souverainetés nationales, réalisme politique et souhaits scientifiques pour la reconversion énergétique et la gestion des défis climatiques.
Par Dr. Arslan Chikhaoui, Expert en Géopolitique et membre du Conseil Consultatif d’Experts du Forum Economique Mondial (WEF-Davos) et partie prenante du groupe de travail ‘Track-2′ du système des Nations Unis (UNSCR-1540)