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Géopolitique des minerais stratégiques: Enjeux et jeux d’influence en « Méditerafrique »

Dix-sept éléments du tableau périodique dénommés « terres rares » jouent un rôle majeur dans les calculs et les stratégies de diverses pays. A bien des égards, les terres rares sont les intrants de la société industrielle du 21ème siècle.

Depuis la crise politico-militaire Russo-ukrainienne, la Méditerranée et son prolongement stratégique qu’est l’Afrique se sont révélé le théâtre de manœuvres politico-diplomatiques de puissances. L’ensemble constitue ainsi le premier des théâtres géopolitiques et par voie de conséquence, les enjeux sont à trois niveaux : stratégique, économique et écologique.

Les acteurs occidentaux

Les États-Unis d’Amérique plus que quiconque sont déterminés à minimiser leur vulnérabilité envers la Chine, une politique qui a été soutenue par les deux dernières administrations. En 2019, le Département Américain de la Défense a entamé des négociations avec le Malawi et le Burundi pour discuter du soutien à un certain nombre de projets afin d’assurer les futurs approvisionnements en terres rares à partir du continent africain.

L’Union Européenne est, également, déterminée à réduire sa dépendance quasi totale vis-à-vis de la Chine, qui pourrait autrement s’avérer un obstacle sérieux à la mise en œuvre du « Green Deal ». Alors que l’UE est désireuse d’accroître l’autonomie stratégique dans ce secteur en développant les gisements et le recyclage nationaux de terres rares, elle a également affirmé en septembre 2020 qu’elle était disposée à établir de nouveaux partenariats stratégiques avec les pays africains pour obtenir des approvisionnements supplémentaires.

D’autres acteurs, dont l’Australie et le Japon, souhaitent également accroître leur présence en Afrique. L’Australie, par exemple, bien que déjà le deuxième producteur mondial de terres rares, s’efforce en permanence de développer de nouvelles sources pour réduire la domination chinoise conformément aux intérêts de Washington. Deux sociétés australiennes sont actuellement impliquées dans des projets en Tanzanie (Ngualla Mining Project) et au Malawi (Makutu Project). Le Japon, quant à lui, soutient, depuis 2010, des projets africains de terres rares, par exemple en Namibie et en Afrique du Sud, par le biais de la Japan Oil Gas and Metals National Corporation.

La Chine, un acteur clé

La Chine, bien évidemment, ne sera pas en reste. Pékin est en passe d’accroître sa présence sur le continent africain pour garantir les futurs approvisionnements en terres rares pour mettre en œuvre ses ambitieux industriels de transition énergétique et technologique. Depuis 2018, la Chine a commencé à importer certaines terres rares en réponse à l’augmentation de la demande intérieure et à la suite de restrictions environnementales sur les pratiques d’extraction illégales. Pékin est donc certain d’agir pour sécuriser ses importations et de telles actions se joueront, incontestablement, en Afrique. La Chine est susceptible d’offrir des investissements et des financements dans les infrastructures en échange de ressources et de droits d’exploration minière et énergétique sur le continent africain. Le soutien et la finance de l’État étant indispensables au développement des ressources alternatives en terres rares, la Chine a une longueur d’avance grâce à son influence géoéconomique en Afrique, sa position de grand consommateur, sa mainmise sur l’industrie du raffinage et par-dessus tout sa coopération avec les pays africains sans imposer de conditionnalités politiques ou imposer des valeurs contraires aux us et coutumes traditionnels africains. Les États-Unis vont devoir donc offrir aux nations africaines des conditions sérieusement avantageuses s’ils ne veulent pas prendre du retard dans cette course effrénée aux terres rares, et doivent bien comprendre que contenir la domination chinoise dans ce secteur ne va pas être chose facile.

Il y a environ cinq ans, le monde dit « occidental » a commencé à prendre conscience de cette situation délicate et a décidé d’être proactif. Mais, alors que l’UE, le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique s’efforcent de diversifier les chaînes d’approvisionnement en terres rares et autres matières premières critiques, ils découvrent que ce n’est pas si facile. L’importance de la maîtrise par la Chine des matières premières critiques est avérée. Il n’y a pas de transition verte, pas d’internet, pas de nano-recherche médicale, pas d’armement avancé, pas d’Intelligence Artificielle, pratiquement pas de solutions techniques aux problèmes planétaires, sans terres rares. Le père de la révolution économique chinoise, Deng Xiaoping, a compris leur importance et avait déclaré : « Le Moyen-Orient a du pétrole ; la Chine a des métaux de terres rares. »

Le marché est actuellement dominé par la Chine, qui produit environ 60 % des terres rares mondiales, en transforme et raffine environ 80 %, et est l’acteur central de la chaîne d’approvisionnement mondiale. Par ailleurs, le club des BRICS en cours d’élargissement en BRICS+ avec les intentions d’adhésion de nouveaux pays concentreraient environ 90% des ressources en minerais de terres rares. Les principales économies mondiales sont actuellement toutes trop dépendantes des importations chinoises : 80 % des importations vers les États-Unis et 98 % des importations vers l’UE proviennent de Chine. La crainte que des restrictions d’approvisionnement, voire des arrêts, ne causent de graves dommages aux économies, aux industries et aux plans de décarbonations conduit donc de nombreux pays à rechercher des sources alternatives. Les inquiétudes sont apparues pour la première fois en 2010 lorsque, pour des raisons politiques, Pékin avait annoncé l’arrêt des exportations vers le Japon. À l’époque, on estimait qu’environ 97 % des réserves mondiales de terres rares provenaient de Chine. La montée des tensions géopolitiques entre les États-Unis et la Chine alimente, également, les inquiétudes. La Chine a menacé à plusieurs reprises de réduire ou de bloquer les exportations de terres rares vers les États-Unis, ce qui a incité tous les pays importateurs à trouver de nouvelles sources de production afin de réduire la domination chinoise dans ce secteur.

L’essor de l’Afrique

Dans cette Ere nouvelle de recomposition des alliances géopolitiques, l’Afrique a une opportunité d’émerger en tant que région de production, ce qui est susceptible d’intensifier la compétition entre les acteurs mondiaux. Le continent africain abrite de nombreux gisements de terres rares, en particulier, dans les pays de l’est et du sud comme l’Afrique du Sud, le Burundi, le Kenya, le Madagascar, le Malawi, le Mozambique, la Namibie, la Tanzanie, et la Zambie mais, également, au nord tel que la région Sahelo-saharienne et l’Algérie. Néanmoins, dans l’état actuel des choses, l’Afrique n’a pas encore dépassée le stade du grand potentiel. La seule extraction actuellement en cours concerne le projet Gakara Rare Earth au Burundi et les gisements de Steenkampskraal en Afrique du Sud qui pourraient être mis en service sous peu. Un certain nombre de pays africains ont cependant commencé à mettre en œuvre des projets à différents stades, notamment, Afrique du Sud (Projets Glenover et Phalaborwa), l’Angola (Longonjo Project), le Madagascar (Tatalus), le Malawi (Kangankunde), le Mozambique (Projet Xiluvo REE), la Namibie (Lofdal Heavy Rare Earths Project), l’Ouganda (Makuutu Project), et la Tanzanie (Ngualla Rare Earth Project).

L’aire d’intérêt commun à cheval entre la Mer Méditerranée, l’Afrique du Nord et l’Afrique sub-saharienne dénommé « Mediterafrique » en 2011 par le World Economic Forum (WEF) lors de sa réunion annuelle de Davos, est devenu courtisée, notamment, pour ses ressources minières nécessaires à la transition énergétique et est devenue le terrain de jeux d’influence. En toile de fond, se joue surtout une guerre d’influence entre les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et l’Afrique du Sud), les États-Unis et l’Union européenne. Selon Statista (portail statistique en ligne allemand), Pékin s’est érigé au fil des années comme partenaire de choix pour l’Afrique. Si l’UE reste encore le premier partenaire commercial du continent africain, en 20 ans, la Chine s’est imposée comme le principal fournisseur de marchandises pour plus de 30 pays africains, ainsi que le premier investisseur étranger en Afrique. Depuis 2013, Xi Jinping a d’ailleurs lancé le projet des nouvelles routes de la soie, avec lequel Pékin s’investit et investi dans les pays émergents, en particulier en Afrique, pour construire de nouvelles infrastructures.

Il ressort de l’analyse prospective des experts du WEF en 2011 que les nouvelles élites du continent africain seront de plus en plus réticentes à consacrer leur énergie pour favoriser la coopération avec le Nord et plutôt se concentrer sur le développement Sud-Sud. Il avait été mis en exergue le fait que la Chine contribuera incontestablement au renouvellement et au développement des infrastructures dans la région. En partie entraînée par des investissements massifs et la demande croissante en provenance des pays BRICS et du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), les entreprises d’Afrique du Nord et les entrepreneurs seront au centre du développement de nouveaux liens régionaux. Par conséquent, la rive Sud de la Méditerranée se positionnera comme une passerelle clé à la croissance rapide des marchés émergents en Amérique Latine, en Asie et en Afrique. Les experts du WEF avaient précisé qu’à partir de 2020, l’Afrique deviendra l’histoire de la croissance surprise. Poussés par des investissements soutenus et la demande en provenance d’autres marchés émergents, plusieurs pays d’Afrique subsaharienne entraîneront l’ensemble du continent vers une plus grande intégration économique. La communauté d’affaires de l’Afrique du Nord se joindra inévitablement à ce processus. L’Europe, quant à elle, deviendra de plus en plus repliée sur elle-même tandis que l’économie de l’Est et du Sud de la Méditerranée deviendra la principale plaque tournante pour le commerce africain, en pleine croissance, et les investissements. Grâce à ces marchés potentiels nouveaux et dynamiques, les pays nord-africains se désintéresseront progressivement des initiatives de l’UE. La région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), à ce moment, commencera à atteindre une stabilité relative. Avec l’augmentation de la coopération Sud-Sud, une nouvelle identité sud-méditerranéenne se développera et la région s’érigera en puissance des marchés émergents de plus en plus influents avec de nouvelles élites gouvernantes bien consolidées.

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