Au seuil de notre exploration, posons-nous la question fondamentale : qu’est-ce qu’une ville intelligente ?
Ce concept, désormais au cœur des débats sur l’urbanisme moderne, trouve ses origines dans une alchimie complexe de progrès technologiques et de visions stratégiques. Si le terme évoque aujourd’hui la symbiose entre technologie et développement urbain durable, son ascension dans le lexique de l’urbanisme est le fruit d’une histoire riche, marquée par l’influence prépondérante de pionniers industriels et de visions politiques audacieuses.
L’avènement de l’idée de ville intelligente peut être retracé dès 1970, lorsque la notion de « smart growth » commence à germer au sein du nouvel urbanisme.
Cependant, c’est IBM en 1980, dans une quête de revitalisation de ses marges bénéficiaires dans un contexte économique tendu, qui catalyse le concept. La firme envisage la ville comme un écosystème potentiellement riche, où les technologies de l’information et de la communication pourraient jouer un rôle transformatif. Elle postule que la ville intelligente repose sur trois piliers essentiels : la gestion et la planification des services, les infrastructures, et les services à la population, conceptualisant ainsi la ville comme un « système de systèmes ».
Cette vision commerciale initiée par IBM ne tarde pas à s’inscrire dans le discours public, transformant progressivement l’expression « ville intelligente » en un véritable label urbain.
En 2005, la fondation de Bill Clinton interrogea Cisco sur la manière d’exploiter les avancées technologiques pour favoriser le développement de villes durables. Cisco répondit par un ambitieux programme de recherche qui, tout en explorant des solutions technologiques, soulignait l’importance d’une approche intégrée impliquant économie, mobilité, qualité de vie, participation citoyenne, gouvernance et respect de l’environnement.
Ces six piliers, en écho aux principes du développement durable, démontrent que si la ville intelligente n’est pas une panacée à la crise écologique, elle offre néanmoins une voie prometteuse pour atténuer notre impact environnemental grâce à une optimisation des ressources et une meilleure gestion urbaine.
Par ailleurs, Depuis 1996, l’urbanisation a connu une accélération remarquable, transformant le paysage global avec une majorité de la population qui vit maintenant en ville. Actuellement, 54 % de la population mondiale est urbaine, un chiffre qui devrait augmenter de 70 % d’ici 2050. Cela signifie non seulement la croissance des villes existantes mais aussi l’apparition de nouvelles villes, avec des centaines d’autres prévues dans les prochaines décennies. Cette tendance est particulièrement prononcée dans les pays en développement, où se trouveront 90 % des 2,5 milliards de nouveaux citadins.
Les villes sont aujourd’hui au cœur de l’économie mondiale, générant près de 80 % du PIB mondial, mais elles sont aussi les principales consommatrices d’énergie, responsables de 75 % de la consommation énergétique primaire et de 70 % des émissions de gaz à effet de serre. L’urbanisation entraîne de nombreux défis en termes de durabilité, affectant tous les secteurs de la société, du transport à la construction, en passant par le logement, la gestion des déchets et l’énergie.
Une croissance urbaine rapide et souvent désorganisée conduit à l’expansion des bidonvilles, à l’étalement urbain, à des pénuries d’infrastructures et de logements, à une augmentation de la ségrégation sociale et à l’exclusion. La généralisation de l’utilisation des voitures aggrave les problèmes de congestion et de pollution de l’air. Dans les pays en développement, un tiers des citadins vit dans des conditions précaires, et la densité urbaine soulève des problèmes de vulnérabilité aux risques et de préservation du patrimoine culturel.
Ces défis soulignent le besoin urgent d’adopter des approches urbaines innovantes et stratégiques en termes de planification, de gestion et de gouvernance.
Technologies de l’information et de la communication (TIC)
Au sein de cette fresque urbaine que dessine la ville intelligente, les technologies de l’information et de la communication (TIC) et l’Internet des Objets (IoT) jouent un rôle clé dans l’adaptation des villes à ces enjeux, en révolutionnant la manière dont elles sont gérées et en améliorant la qualité de vie de leurs habitants. Ces technologies permettent une meilleure coordination des services urbains, des systèmes de transport plus efficaces, une gestion environnementale améliorée, et facilitent la participation citoyenne et l’interaction sociale.
L’urbanisation du XXIe siècle, guidée par l’innovation technologique, offre l’opportunité de créer des villes plus intelligentes, durables et inclusives, où la technologie et la planification stratégique permettent de relever les défis de durabilité et d’améliorer le bien-être des citoyens.
Les TIC englobent un large éventail de technologies, allant de l’internet à la téléphonie mobile, en passant par les réseaux de données et la radiodiffusion. Elles permettent la collecte, le traitement, et la diffusion d’informations à une échelle et une vitesse sans précédent.
Dans le contexte urbain, les TIC transforment radicalement la manière dont les villes sont planifiées, gérées, et vécues. Elles rendent possible une interaction constante entre les citoyens, les services urbains, et les infrastructures, permettant une gestion plus dynamique et réactive des ressources et des besoins.
Tandis que l’IoT, l’Internet des objets, insuffle une nouvelle vie aux infrastructures, les dotant de la capacité de « penser » et de « réagir ». Il réfère à l’interconnexion via internet des objets du quotidien, dotés de capteurs et d’actuateurs.
Ces objets communiquent entre eux et avec d’autres dispositifs, créant un maillage dense d’informations. Dans l’écosystème urbain, l’IoT permet de rendre les infrastructures « intelligentes » : lampadaires ajustant leur luminosité en fonction de la présence ou non de passants, systèmes de gestion de l’eau détectant et signalant les fuites en temps réel, ou encore des routes capables d’informer les conducteurs sur l’état du trafic.
Dans cette vision renouvelée, les infrastructures publiques, telles que les bâtiments et le mobilier urbain, s’adaptent et communiquent grâce à la domotique et aux capteurs intégrés, optimisant l’utilisation des ressources et améliorant le confort des citoyens.
Les réseaux essentiels – eau, électricité, gaz, et télécommunications – deviennent plus efficaces et résilients, grâce à des systèmes intelligents capables de détecter les problèmes et de s’ajuster en temps réel.
La mobilité urbaine connaît également une transformation radicale, avec des transports publics plus réactifs et des solutions de mobilité douce intégrées, réduisant la congestion et la pollution. Les e-services et l’e-administration simplifient les interactions entre les citoyens et les autorités, rendant la ville plus accessible et participative.
Ces avancées, portées par les TIC et l’IoT, sont l’expression concrète d’une volonté de rendre les villes non seulement plus intelligentes mais aussi plus humaines, où la technologie sert l’ambition d’un développement urbain durable et inclusif.
Développer une ville intelligente et durable nécessite donc un engagement collectif de tous les acteurs urbains, ainsi qu’une exploitation judicieuse des données ouvertes pour favoriser la collaboration.
Interaction entre les citoyens, les collectivités et les entreprises
Ce cadre d’action vise à améliorer la qualité de vie urbaine, encourager une croissance économique respectueuse de l’environnement et répondre efficacement aux défis environnementaux grâce à l’innovation technologique.
La ville intelligente, telle qu’elle se dessine à travers les décennies, est bien plus qu’un simple amalgame de technologies avancées. Elle représente une vision holistique du développement urbain, où l’interaction entre les citoyens, les collectivités, et les entreprises façonne l’avenir.
Le classement du Smart City Index 2023 illustre l’émergence de villes comme Alger dans le paysage des villes intelligentes, soulignant l’importance d’une vision à long terme et de l’innovation locale pour la transformation urbaine. La capitale algérienne, engagée dans un projet ambitieux pour devenir une smart city d’ici 2035, témoigne de la faisabilité de tels projets, soutenus par l’écosystème dynamique de startups et d’experts en intelligence artificielle.
Cette exploration du concept de ville intelligente révèle ainsi un paradigme urbain en constante évolution, au croisement de l’innovation technologique, de la gouvernance participative et de la durabilité, esquisse les contours d’un avenir où la technologie et l’humanité avancent de concert vers des cités plus résilientes, plus vertes, et plus équitables.
Par Yasmine DECHOUK, ancienne de l’École d’Architecture et d’Urbanisme d’Alger (EPAU), établie actuellement à Dubaï, Yasmine DECHOUK gère la SCI CHYK Paris depuis quinze ans et occupe également le poste de rédactrice en chef du magazine scientifique « Notre Patrimoine Culturel et Naturel dans le Monde Arabe ».