Nabil Djemaa est spécialiste des questions financières. Il exerce un ensemble d’activités dont les services de conseils aux exportateurs. Il aborde dans l’entretien qui suit les progrès réalisés en matière d’exportation hors hydrocarbures. Il cite les principales contraintes à l’exportation et suggère des solutions pour booster nos exportations hors hydrocarbures.
L’Express : comment analysez-vous les progrès réalisés en matière d’exportations hors hydrocarbures en 2021 et 2022 ?
Nabil Djemaa : Les résultats en 2021 étaient justes moyens. Mais en 2022, les exportations hors hydrocarbures sont arrivées à l’optimum, à un pic. Pour la première fois dans l’histoire du pays, elles ont atteint 7 milliards de dollars en 2022.
l’Algérie vient de poser les bases du développement de ses exportations hors hydrocarbures à destination de l’afrique subsaharienne avec l’ouverture de banques en Mauritanie et au Sénégal, la création de zones franches à proximité des pays limitrophes, des showrooms en Mauritanie et au Sénégal, la création de nouvelles lignes maritimes et aériennes. Ces mesures sont-elles suffisantes pour espérer un développement significatif de nos exportations hors hydrocarbures vers l’afrique ?
Ce sont des mesures obligatoires qui vont aider à booster les exportations et en même temps, elles vont contribuer à la promotion et à la pénétration de nouveaux produits algériens non connus sur les marchés africains. Elles ne sont pas néanmoins suffisantes. Nous n’exploitons que 30 à 35% de notre potentiel d’exportation. On exploitera les 65 % restants avec l’amélioration du climat des affaires, la débureaucratisation des opérations bancaires.
En particulier, il convient de supprimer la domiciliation bancaire qui constitue un acte administratif. C’est un blocage administratif qui est inutile. C’est le colonisateur qui a instauré la domiciliation bancaire en 1958‐1959 Or, la France a abandonné la domiciliation bancaire en 2006. Car les autorités financières de ce pays ont constaté qu’elle était inutile dans l’acte d’importation ou d’exportation. C’est une perte de temps et une contrainte bureaucratique pour les exportateurs.
L’autre contrainte se résume aux restrictions à l’importation des inputs destinés à la production orientée vers l’exportation, qui constituent un frein au développement des exportations hors hydrocarbures. Il convient de reconsidérer le schéma d’importation pour ces sociétés.
La procédure en matière d’importation dans les années 2021‐2022 était très contraignante Il faut ouvrir l’importation à ces entreprises. Les opérateurs ont besoin de ces inputs pour affronter la concurrence mondiale. On ne doit pas les bloquer. Il faut en finir avec ces autorisations horizontales et verticales avec le contingentement, qui boquent ces importations.
Les exportateurs ont besoin de ces inputs pour améliorer leurs produits à l’exportation. Il convient de lever ces restrictions pour que l’opérateur puisse produire dans la sérénité ses produits destinés à l’exportation. On doit donc libérer le commerce extérieur pour les exportateurs.
Faut-il réviser la législation des changes pour booster les exportations hors hydrocarbures ?
Le grand problème des opérateurs en matière d’exportation hors hydrocarbures est la législation des changes. Il convient de libérer la législation des changes, surtout en matière d’exportation. Actuellement, il y a des blocages concernant l’utilisation des devises tirées des exportations. Les exportateurs ont droit à 80 % en devises de la valeur de leur exportation. Mais l’exportateur ne peut pas utiliser librement cet argent dans le cadre professionnel.
Il y a une grande bureaucratie dans la gestion de ces comptes en devises détenus pourtant par les exportateurs. Ces derniers ne peuvent pas utiliser leur compte devises, tiré des exportations comme ils veulent. Ils ont une épée de Damoclès. Il faudrait que l’Algérie se mette au diapason des pays voisins ou des pays occidentaux où leurs exportateurs utilisent librement leur compte devises tiré des exportations.
Par exemple, pour les frais de mission, l’exportateur peut puiser, selon la réglementation algérienne pour financer sur son compte dinars ses dépenses durant les sept jours de son séjour. Au‐delà, il doit justifier ses dépenses. S’il prend un taxi ou passe une nuit d’hôtel au‐delà de ces sept jours, il doit montrer la facture. Et si au huitième ou au dixième jour, il doit prolonger son séjour pour signer un contrat ou saisir une nouvelle opportunité d’affaires, pourquoi faut‐il qu’il justifie ces dépenses supplémentaires ? C’est son argent.
Il doit utiliser librement ce compte devises dans le cadre professionnel et à bon escient. C’est de la bureaucratie pure et simple. Il faut donc libérer la gestion du compte devises de cette bureaucratie. On doit faire comme les autres pays. On doit lever les obstacles dans la gestion de ce compte.
Quel est l’état de la logistique liée aux opérations d’exportation ?
Sur le plan logistique, l’Algérie a beaucoup souffert durant ces 30 dernières années. De multiples entraves ont été enregistrées à la fluidité et l’expansion des flux commerciaux, notamment des flux de marchandises exportées.
Concernant le maritime, on a détruit le grand pavillon de la CNAN. On a vendu de gros bateaux de la CNAN au kilogramme. Du coup, on a détruit la logistique algérienne sur le plan maritime. La logistique constitue un grand frein au développement des exportations hors hydrocarbures.
Vous avez la domination d’armateurs étrangers qui facturent le fret à des prix très élevés. Ce qui rend certains produits à exporter non concurrentiels en matière de prix.
On note aussi l’obsolescence de plusieurs ports algériens. Ces ports ne disposent pas de matériel de levage sophistiqué, de grandes grues automatisées gérées par ordinateur, en un mot des grues qui manipulent automatiquement les conteneurs. En outre, le projet de grand port de Hamdania est gelé. On ne comprend pas pourquoi.
Résultat de cette situation, l’Algérie paie en surestaries l’équivalent d’un milliard de dollars. On a besoin de grands bateaux, de grandes infrastructures pour développer les exportations hors hydrocarbures.
Dans les années 2018‐2019, cette facture de surestaries s’élevait à deux milliards de dollars. Nos ports étaient engorgés. Heureusement que le Fonds de soutien aux exportations aide les exportateurs en matière de transport de leurs marchandises. Parce que, sans ce soutien, certaines entreprises exportatrices vendraient à perte. Car la logistique est très chère concernant les produits exportés vers l’Afrique.
D’abord, le fret routier est très risqué. Les opérateurs préfèrent le fret aérien et maritime pour exporter leurs marchandises vers la Mauritanie, le Mali et le Niger. La ligne aérienne est plus rapide et moins coûteuse que la route. Le fret maritime est meilleur. La route est plus risquée. D’où la nécessité de renforcer la flotte de cargos d’Air Algérie pour développer les exportations vers les pays africains.
Quelle est votre appréciation sur la composition des produits exportés ?
Si on veut diversifier nos produits, on ne doit pas restreindre les importations de ces exportateurs. Il faut leur laisser la liberté d’importer. Il ne faut pas leur demander un contingent dans l’importation de leurs produits de base, notamment les matières premières, les emballages et les colorants. Si on leur crée des barrières, ces exportateurs ne pourront pas exporter vu la concurrence mondiale en matière de prix.
La directive européenne qui impactera à partir de 2026 les filières sidérurgie, ciment, engrais menace-t-elle le développement des exportations hors hydrocarbures ?
‐C’est une taxe pour l’environnement. Même s’ils vont toucher les produits algériens, on peut les exonérer de taxes. Mais on ne doit pas vendre les produits à perte. On doit faire une analyse financière, de la comptabilité analytique pour voir si le produit reste concurrentiel.
Je pense néanmoins que nos produits resteront concurrentiels même si l’UE exige des taxes. Car la production dans nos usines est sept fois moins chère que dans les usines européennes, grâce à l’énergie. Mais on doit vendre des produits propres. D’ailleurs l’Algérie se prépare avec le développement d’un programme dans l’hydrogène.
Suivant la vision 2035, il faut aller dès 2025 vers les énergies propres : le solaire, l’éolien pour préserver nos ressources gazières et pétrolières. Car la consommation de produits énergétiques atteindra son optimum en 2030.