En pleine mode de la « chansonnette » chaabi, vers le milieu des années 1960, alors que Guerouabi, El Ankis, Zahi ou Chaou s’imposaient dans la chanson populaire avec des textes légers et sentimentaux, El Hadj M’Hamed El Anka mit en disque « Soubhan Allah ya l’tif ». Et ce fut un tremblement de terre dans le monde de la musique !
Tout s’est arrêté, rien n’a pu alors continuer à faire du bruit, tant la déflagration de « Soubhan Allah » a fait taire toute musique, tout bruit, toute expression. Le texte de la chanson dénonçait, justement, les opportunistes, les arrivistes, les Rastignac, ceux qui croient avancer vite et gravir les échelons de la société sans égard à leurs aînés, aux maîtres, aux chouyoukh.
Et cette méprise ‐ pour ne pas dure mépris ‐ est inacceptable. D’où les mots d’une extrême violence de cette chanson immortelle.
Le « Cardinal » a parlé
Mais connaissez‐vous l’auteur du texte de la chanson ? Pour le commun des adeptes du chaabi, c’est Mustapha Toumi ; mais certains doutent de cette paternité et affirment avec force arguments que l’auteur était un jeune barde des Hauts Plateaux, qui avait participé à un concours du melhoun et dont la postérité n’a pas gardé le nom.
Toumi avait pris le texte, l’a édulcoré et mâtiné à « la sauce algéroise », puis El Hadj en rajouta une couche pour l’adapter à sa propre personnalité. Comme il le dit lui‐même à la fin
de la chanson : « Saheb el-mandoum wal ksid Toumi kal Most’fa Welli ghanaha âmid Fiha yatsarraf Cheikh El Anka ida kfa ! »
Mais qui était Mustapha Toumi ?
Il y a dix ans s’éteignait l’artiste engagé, poète et moudjahid, Mustapha Toumi, qui a mis son art au service de la cause nationale, laissant derrière lui un actif de plusieurs poèmes interprétés par des grands noms de la chanson algérienne.
Auteur, compositeur, poète et peintre et journaliste à la radio, le défunt est l’un des brillants paroliers ayant contribué, à travers la chanson châabi, à la préservation de la mémoire collective et du riche patrimoine immatériel.
Né en 1937 à la Casbah d’Alger, où il avait grandi, l’artiste a participé à des émissions radiophoniques outre ses apparitions dans des pièces de théâtre dont « Kahina » en 1950 avec les deux icônes du quatrième art algérien, Mahieddine Bachtarzi et Mustapha Kateb. Militant politique depuis son jeune âge, le défunt était chargé de la rédaction et de la lecture des communiqués de presse sur les ondes de la radio clandestine « La voix de l’Algérie libre et combattante » qui était un véritable porte‐voix de l’Algérie à l’échelle internationale.
Après l’indépendance, il a été nommé chargé des affaires culturelles au ministère de l’Information en sus d’autres postes. Feu Toumi avait également des contributions dans la revue de « Novembre ». L’artiste a laissé également une trace dans le cinéma avec des scénarios et des dialogues de certains films tels que « Chebka » du réalisateur El Ghouti Ben Deddouche (1976).
Courtisé par les sommités de la chanson algérienne de son époque, feu Toumi le parolier est l’auteur de plusieurs chefs‐d’œuvre à l’instar de l’immortelle « Soubhan Allah Ya L’tif » interprété par le Cardinal El‐ Hadj M’hamed El‐Anka, « Che Guevara » de Mohamed Lamari, « Ya Dellal » de Nadia, « Ki El Youm Ki Zman » de Amar El Achab et « Soummam » écrite spécialement pour la diva du Tarab, Warda El‐Djazaïria, à l’occasion de la célébration du 30e anniversaire du Congrès de la Soummam.
Le défunt s’est éteint le 3 avril 2013 à l’âge de 76 ans, laissant derrière lui un riche actif dans différents domaines.