L’EXPRESS : L’AHAGGAR EST QUALIFIÉ DE MUSÉE À CIEL OUVERT. OUTRE SON IMPRESSIONNANT RELIEF QUI MET LES VISITEURS DANS UN ÉTAT D’ÉBAHISSEMENT. QU’EST-CE QUI LUI VAUT CE QUALIFICATIF DE MUSÉE À CIEL OUVERT ?
Salah Amokrane : L’Ahaggar est l’un des hauts lieux de la mémoire et du patrimoine en Algérie. Il constitue, avec le Tassili n’Ajjer, le plus important bastion de l’archéologie saharienne d’âge préhistorique, ses richesses naturelles et culturelles lui ont valu son classement en parc national en 1987.
Un parc qualifié de musée à ciel ouvert en raison de la diversité des sites archéologiques qu’il renferme. L’histoire de l’exploration de ce territoire exceptionnel remonte à la fin du 19 siècle ou les travaux de prospection d’inventaire, et d’étude ont permis l’individualisation d’importantes zones archéologiques, à l’exemple de la Tefedest, l’Immidir et l’Atakor.
CE SONT SURTOUT SES PEINTURES RUPESTRES REMONTANT AU NÉOLITHIQUE QUI FONT LA CÉLÉBRITÉ DE L’AHAGGAR ARCHÉOLOGIQUE. LES TRÉSORS ARCHÉOLOGIQUES DE L’AHAGGAR LES PLUS REPRÉSENTATIFS SONT-ILS TOUS DU NÉOLITHIQUE ?
Les sites néolithiques de l’Ahaggar se distinguent par la présence d’ensembles rupestres et d’habitats disposés en couches ou à la surface du sol.
Ces vestiges témoignent du développement remarquable qu’a connu cette période de l’histoire saharienne. La transition entre les anciennes périodes du paléolithique et le Néolithique est d’ailleurs qualifiée de «révolution» par les spécialistes, soulignant les profonds bouleversements sociétaux et économiques induits par la sédentarisation et l’adoption de l’agriculture et de l’élevage.
C’est une période cruciale de l’évolution de la culture humaine, marquée par une transition vers un mode de vie sédentaire et l’adoption de l’agriculture et de la poterie, survenue il y a environ 10.000 ans dans le monde entier.
Dans l’Ahaggar, cette révolution se caractérise par la sédentarisation des populations, la domestication des animaux et des plantes et l’invention de la céramique. Le climat favorable de la région au début de l’holocène a joué un rôle déterminant dans l’émergence d’inventions technologiques variées et dans l’organisation sociale des communautés. Les prouesses de ces sociétés néolithiques sont immortalisées par les milliers de peintures et gravures qui ornent les sites rupestres de l’Ahaggar.
Les périodes anciennes de l’Ahaggar demeurent largement méconnues et sous‐représentées sur le plan archéologique.
Cette situation s’explique, selon les spécialistes, par l’état actuel de la recherche et des connaissances, et non par une absence de sites archéologiques.
En effet, des vestiges d’une grande valeur, appartenant aux faciès culturels du Paléolithique inférieur et datant de plus d’un million d’années, ont été mis au jour et documentés dans des sites remarquables tels que Tihodaine et In Eker, près d’Arak.
ON DIT JUSTEMENT QUE L’ART RUPESTRE DE L’AHAGGAR EST UNIQUE AU MONDE. QU’EST-CE QU’IL A DE PARTICULIER ?
L’art rupestre de l’Ahaggar occupe une place prépondérante au sein de l’aire de répartition l’art préhistorique du Sahara central. Il rivalise avec d’autres sites aux valeurs universelles exceptionnelles, tels que le Tassili n’Ajjer, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1982 pour ses remarquables peintures rupestres. Les recherches menées sur le territoire de l’Ahaggar ont permis aux archéologues d’identifier plusieurs zones d’art rupestre préhistorique.
Parmi les plus remarquables, tant par la qualité que par la quantité de représentations peintes, on peut citer la Tefedest et la Tassili de l’Immidir. Dans ces deux zones archéologiques, les hommes préhistoriques nous ont légué des témoignages exceptionnels sur la vie sociale des populations néolithiques dans toute leur diversité. Ils nous ont documenté leurs vécus au quotidienne dans les campements, leurs activités de chasse, ainsi que leurs croyances et rituels. Cette richesse d’informations confère à ces œuvres la qualité d’archives inestimables, permettant de retracer l’évolution de l’homme et de sa culture sur plus de dix millénaires.
EN SUBSTANCE, QUE NOUS RÉVÈLENT TOUTES LES RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES SUR LE SAHARA ALGÉRIEN ?
Les recherches archéologiques menées sur le territoire de l’Ahaggar, tant durant la période coloniale qu’après l’indépendance de l’Algérie, et par des équipes de chercheurs nationaux et étrangers, ont permis de mettre en lumière le rôle central de ce massif montagneux au cœur du Sahara central comme foyer de diffusion du Néolithique. Ces travaux ont révélé une richesse archéologique exceptionnelle, témoignant d’une occupation humaine dense et continue depuis le début de l’holocène.
ACTUELLEMENT Y A-T-IL DES FOUILLES ARCHÉOLOGIQUES DANS LA RÉGION ET SONT-ELLES TOUTES CONDUITES PAR DES ALGÉRIENS ?
Avant de traiter la question des fouilles archéologiques dans le parc culturel de l’Ahaggar, il me semble important de sou‐ ligner les enjeux inhérents à la protection et à la conservation des patrimoines.
Ces missions régaliennes incombent à l’Office national du parc culturel de l’Ahaggar (ONPCA) qui, depuis sa création en 1987, a œuvré pour la protection de sites culturels et naturels d’une grande importance. Ses actions s’inscrivent dans le cadre d’interventions techniques spécifiques, notamment celles menées au titre de plusieurs programmes de coopération internationale.
Ces dernières années, le parc a connu un regain d’activités scientifiques d’envergu‐ re. Des fouilles archéologiques majeures sont menées dans diverses zones du parc, explorant différentes périodes de l’évolution des cultures préhistoriques.
Ces recherches s’inscrivent dans le cadre de programmes nationaux issus de conventions spécifiques établies entre la direction de l’office du parc et plusieurs universités et centres de recherche algériens.
Je tiens à rendre un vibrant hommage à la mémoire de feu Abdelkader Heddouche, chercheur émérite au CNRPAH et ancien directeur du parc. Pionnier de l’archéologie funéraire de l’Ahaggar, il avait initié un chantier de recherche d’une envergure exceptionnelle, dont les travaux se pour‐ suivent aujourd’hui.
VU LES MULTIPLES FOUILLES ARCHÉOLOGIQUES MAJEURES MENÉES DANS DIVERSES ZONES DU PARC, PEUT-ON DIRE QUE L’AHAGGAR A LIVRÉ TOUS SES SECRETS, OU D’AUTRES TRÉSORS SONT-ILS ENCORE À DÉCOUVRIR ?
L’ampleur de la recherche archéologique actuelle ne correspond pas à l’étendue et à la richesse des sites du parc culturel de l’Ahaggar. Le développement des nouveaux départements d’archéologie, notamment dans les wilayas du Sud, et les activités de l’agence thématique de la recherche scientifique et technologique offrent une opportunité unique de renforcer considérablement la recherche et les découvertes archéologiques dans cette région.
Ces efforts conjugués permettront de faire un saut qualitatif dans l’étude et la découverte des cul‐ tures préhistoriques du sud de l’Algérie.
L’objectif principal est de renforcer le cadre chrono‐culturel de l’évolution de ces cultures et de contribuer à une meilleure compréhension de leur histoire et de leur patrimoine.
SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX, ON PARLE D’UN REGAIN DU TOURISME SAHARIEN CES DERNIERS TEMPS. CECI N’A PAS MANQUÉ, INSISTE-T-ON, DE CAUSER LA POLLUTION ET LE SACCAGE DE CERTAINS SITES. QU’Y A- T-IL DE VRAI DANS TOUTES CES INFORMATIONS ? ET QUE FAIRE POUR BOOSTER LE TOURISME DANS LA RÉGION ?
Je ne partage nullement cet avis en tant qu’observateur direct de l’activité touristique au parc culturel de l’Ahaggar. L’activité touristique a souffert ces dernières années et a même été réduite à sa plus simple expression, surtout à la suite de l’émergence de la pandémie de la Covid‐19 durant l’année 2020.
Cela a drastiquement impacté et réduit le flux touristique dans la région. Ce n’est qu’à partir de l’année dernière que nous observons un regain d’activité, surtout avec la présence de plus en plus marquée de touristes nationaux, notamment des jeunes amateurs de la nature et de la découverte des grands espaces.
Globalement, le flux actuel est maîtrisable et ses impacts sont insignifiants, à l’exception de quelques comportements d’incivilité tels que l’abandon de déchets sur certains sites de la boucle de l’Atakor, comme la zone humide d’Afilal. Je tire, par contre, la sonnette d’alarme concernant la dégradation de la biodiversité du parc, qui touche les espèces endémiques de la région telles que les grands mammifères, gazelles et mouflons.
Un braconnage pratiqué par les nationaux sous plusieurs formes, que la direction du parc peine à mettre un terme en raison du danger qu’encourent les agents du parc, démunis de prérogatives de police judiciaire et de moyens de dissuasion. Une situation qui a conduit les autorités locales à mettre en place un cadre de coordination et d’intervention impliquant plusieurs secteurs pour endiguer et éliminer ces pratiques illicites.
Pour ce qui est de booster le tourisme, j’estime que le gros du travail pour redorer le blason touristique de la région concerne plutôt l’embellissement de la ville de Tamanrasset, et en améliorant, également, la qualité des services offerts par les différentes structures d’accueil du public (hôtels, restaurants…. etc.)
VOUS EXERCEZ DANS LE PARC DE L’AHAGGAR DEPUIS DE LONGUES ANNÉES. UNE BELLE AVENTURE, N’EST-CE PAS ?
J’ai le privilège d’œuvrer au sein du parc culturel de l’Ahaggar depuis 1996. Au fil de ces années, j’ai eu l’immense chance d’apprécier la richesse et la valeur inestimable du patrimoine archéologique de cette région exceptionnelle. Ce trésor inestimable, hérité de nos ancêtres, nous inter‐ pelle aujourd’hui, nous appelant à une mobilisation sans faille pour sa préservation, sa valorisation et son intégration dans un développement durable de la région.
UN DERNIER MOT PEUT-ÊTRE…
Oui… L’Ahaggar recèle, j’en suis certain, des secrets insoupçonnés qui enrichiront les repères culturels et identitaires de l’Algérie. En renforçant les institutions dédiées à la recherche et à la conservation, nous dévoilerons au monde entier, dans un avenir proche, d’autres trésors qui s’inscriront au patrimoine de l’humanité.
Salah Amokrane, archéologue et inspecteur du patrimoine culturel au Parc culturel de l’Ahaggar, est un spécialiste reconnu de la gestion des patrimoines naturels et culturels. Au cours de sa longue carrière, il a piloté d’importants projets de conservation et présidé la destinée de plusieurs établissements sous tutelle du ministère de la Culture et des Arts, notamment le site du patrimoine mondial du Tassili n’Ajjer, entre 2007 et 2011.