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Samia Zennadi tire sa révérence

Samia Zennadi, cofondatrice des éditions APIC et figure essentielle du paysage littéraire, est décédée subitement ce lundi. Militante inflexible de la littérature africaine, elle a consacré sa vie à la promotion des voix subsahariennes, et joué un rôle clé dans la diffusion d’œuvres souvent marginalisées.

Son départ bouleverse profondément l’univers de l’édition, où son nom restera indissociable d’une vision exigeante et rigoureuse, capable de réconcilier exigences artistiques et engagement intellectuel. Dans un monde où la littérature se mesure parfois à sa rentabilité, elle a su imposer une alternative, centrée sur la valeur littéraire et la dignité des auteurs.

En 2003, avec son époux Karim Chikh, elle crée les éditions APIC (Algérienne pour la promotion de l’industrie du Livre). Cette maison d’édition se distingue rapidement par son engagement fort, en particulier envers la littérature subsaharienne, un domaine trop souvent négligé. APIC devient alors un lieu où se côtoient des auteurs établis et des talents émergents, sous l’œil vigilant et passionné de Samia Zennadi.

La maison d’édition a ainsi publié des noms prestigieux comme Habib Tengour, écrivain et poète algérien de renom, et Djawad Rostom Touati ; elle soutient également des écrivains moins connus mais tout aussi importants. Parmi eux, Mohamed Abdallah, un auteur dont l’œuvre a connu une reconnaissance particulière en 2022 avec le prix Assia Djebar pour son roman « Le vent a dit son nom ». Ce livre, qui aborde des thématiques poignantes sur la guerre et la mémoire, incarne parfaitement la philosophie de Samia Zennadi.

Samia Zennadi a œuvré sans relâche pour donner une tribune à des voix africaines essentielles mais souvent ignorées. Elle a permis à des auteurs tels que Gabriel Okoundji, écrivain congolais d’une grande sensibilité, et Yambo Ouologuem, écrivain malien à la fois salué et controversé, de trouver une place de choix dans son catalogue. Par son travail éditorial, elle a fait entendre des récits souvent absents des canons dominants, contribuant à enrichir le panorama littéraire africain dans toute sa diversité, qu’elles traitent de la colonisation, de l’histoire ou des luttes contemporaines.

Archéologue de formation, Samia Zennadi était également une passionnée de culture et d’histoire. Elle a signé plusieurs ouvrages sur l’art traditionnel en Algérie, notamment un ouvrage remarquable sur l’art du tapis en Algérie, un secteur qu’elle avait à cœur de faire connaître à travers son travail éditorial. Cette attention aux traditions, loin d’être incompatible avec sa vision moderne de l’édition, a façonné sa façon de repenser la place du livre dans la société.

Le travail de réédition a occupé une place centrale dans son parcours. Samia Zennadi n’a pas hésité à rééditer des classiques oubliés ou à redonner vie à des œuvres importantes. Parmi ses choix les plus notables, on peut citer la réédition de l’œuvre de Rabah Belamri, auteur algérien, mais aussi des poètes dont elle était une ardente défenseure. Sa volonté de maintenir la poésie au cœur de l’édition algérienne a permis à des voix comme celle du poète Youcef Merahi de toucher un public plus large. Merahi, qui a publié plusieurs recueils sous la direction d’APIC, a d’ailleurs rendu hommage à Samia Zennadi, soulignant la force des liens d’amitié qui se tissaient autour de ses projets éditoriaux.

En parallèle de son rôle d’éditrice, Samia Zennadi a également marqué l’histoire culturelle algérienne, où elle fut, notamment, responsable de l’espace Panaf lors de la 15ᵉ Foire internationale du livre d’Alger, où elle a permis à de nombreux écrivains africains et du Maghreb de se faire entendre. Elle a également été membre du comité d’organisation du Festival international de littérature et de livres de jeunesse de 2008 à 2010.

En 2011, Samia a participé à la manifestation « Le Sud, quelles alternatives ? », organisée par le Forum mondial des alternatives, et a été à l’origine du programme de résidence « L’Esprit Frantz Fanon », un programme littéraire consacré à la pensée de Fanon. Son engagement intellectuel et culturel l’a également amenée à publier la revue « L’Afrique parle livres », un projet ambitieux visant à renforcer les liens entre les écrivains africains et le public francophone.

Samia a fait bien plus qu’éditer des livres, elle a créé des ponts entre les cultures, entre les générations et entre les continents. Son œuvre, son héritage et sa vision d’une littérature universelle mais enracinée dans ses réalités spécifiques continueront de nourrir les réflexions des prochaines générations d’écrivains et de lecteurs.

La disparition de Samia Zennadi est une perte colossale pour le monde du livre. La communauté littéraire, d’Alger à Paris, et au-delà, rend hommage à une femme d’une rare générosité intellectuelle, qui a su, à travers son engagement, redéfinir l’édition en Algérie et en Afrique.

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L'express quotidien du 10/03/2025

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