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Bernard Bajolet devant la justice

Ces révélations, au croisement du renseignement, des affaires et de la diplomatie, illustrent les dérives d’un appareil d’État où intérêts publics et privés s’entremêlent dangereusement. Bernard Bajolet, jadis figure incontournable des relations franco-algériennes, incarne aujourd’hui les défaillances d’une institution en quête de rédemption.

L’ancien directeur de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et ancien ambassadeur de France en Algérie, Bernard Bajolet, sera jugé les 6 et 7 novembre 2025 devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Il fait face à des accusations de « complicité de tentative d’extorsion » et « atteinte arbitraire à la liberté individuelle », dans une affaire qui met en lumière des pratiques controversées au sein des services de renseignements français.

Au cœur de l’affaire se trouve Alain Duménil, un homme d’affaires franco-suisse déjà impliqué dans des affaires judiciaires complexes, dont des poursuites pour banqueroute.

En mars 2016, alors qu’il s’apprête à embarquer pour Genève, Duménil est interpellé à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle. Selon ses dires, il est escorté dans un local de l’aéroport par des agents de la police aux frontières, avant d’être confronté à deux autres individus en civil se présentant comme des membres de la DGSE.

Ces derniers lui demandent de rembourser une somme de 15 millions d’euros à la France, en exhibant des photos de sa famille prises en Suisse et en Angleterre comme preuve de leur surveillance. Des menaces auraient également été proférées à son égard, ce qui l’a conduit à déposer plainte.

L’affaire a pris un tour judiciaire majeur avec l’ouverture d’une enquête qui a conduit à la mise en examen de Bernard Bajolet en octobre 2022. La juge d’instruction, dans son ordonnance du 23 octobre 2024, a estimé que l’ancien directeur de la DGSE avait validé l’intervention coercitive à l’aéroport, en connaissance des conditions sous lesquelles elle se déroulait. À ce jour, les identités des agents de la DGSE impliqués n’ont pas été révélées et ceux-ci ont disparu après l’incident.

L’affaire n’est pas sans lien avec une sombre histoire de gestion d’un patrimoine privé par la DGSE. Ce fonds, destiné à garantir l’indépendance de l’État français en période de crise, a échappé à tout contrôle et fait l’objet de multiples manipulations.

Ce patrimoine a été notamment à l’origine d’investissements dans les années 1990, dont l’un a conduit à une relation financière complexe avec Alain Duménil. La société dans laquelle la DGSE avait investi a fait faillite et a été liquidée, laissant derrière elle un passif dont Duménil porte une part.

Aujourd’hui, la DGSE estime que Duménil lui doit la somme de 15 millions d’euros, y compris les intérêts, montant que l’homme d’affaires conteste. Selon ses avocats, William Bourdon et Nicolas Huc-Morel, ce procès va bien au-delà d’un simple litige financier et s’attaque à la dérive de l’agence de renseignement, accusée d’avoir utilisé ses moyens à des fins privées. « Ce procès est celui de la DGSE, un procès de son dévoiement de ses missions », affirment-ils.

La mise en cause de Bernard Bajolet a renforcé les soupçons autour de la DGSE et de ses méthodes. Lors de son interrogatoire, l’ancien patron des services secrets a minimisé son rôle dans l’incident. Il a soutenu qu’il ne s’agissait que d’un « contact informel » et qu’il n’avait pas donné d’instructions précises aux agents impliqués.

Pourtant, l’ordonnance de la juge d’instruction indique que Bajolet aurait validé l’intervention, en dépit de la coercition manifeste exercée sur Alain Duménil. Ce silence sur les circonstances exactes de cette opération, ainsi que l’absence de tout contrôle sur les agents impliqués, pose de sérieuses questions sur l’intégrité de la DGSE.

L’affaire intervient dans un contexte déjà tendu entre la France et l’Algérie, et elle s’inscrit dans une série de scandales touchant les anciens diplomates français dans le pays. En parallèle de l’affaire Bajolet, Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie (2008-2012 et 2017-2020), est également sous le feu des critiques.

Impliqué dans une transaction immobilière « controversée » à El Biar, sur les hauteurs d’Alger. Driencourt est accusé d’avoir facilité une vente qualifiée de « transaction frauduleuse » par certains observateurs, d’un terrain à un proche de l’ancien régime algérien, en l’occurrence, Réda Kouninef, figure emblématique de la corruption.

Les affaires de Bajolet et Driencourt soulignent les failles du système diplomatique français et des services de renseignements, où les frontières entre affaires publiques et privées semblent de plus en plus floues.

Dans le cas de Bajolet, les critiques se concentrent sur un abus de pouvoir potentiel et une gestion opaque des missions de la DGSE, dont l’usage semble avoir été détourné à des fins personnelles ou pour régler des comptes financiers.

Cette affaire révèle une réalité inquiétante, celle d’une agence de renseignement à la tête d’un patrimoine privé, géré sans réelle supervision et qui aurait pu être utilisé pour des intérêts étrangers ou personnels.

Les liens entre la DGSE, l’État français et des acteurs privés comme Alain Duménil soulignent une gestion opaque et problématique qui alimente les accusations de dérives et de manipulations.

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