L’Express : Votre livre met en lumière un apartheid sioniste que vous qualifiez de plus féroce que celui de l’Afrique du Sud. Quels éléments vous ont frappé au point de faire cette comparaison ?
Akli Ourad : Depuis des années, de nombreuses organisations internationales, dont Human Rights Watch, ainsi que des ONG israéliennes comme B’Tselem et Yesh Din, documentent la réalité d’un régime d’apartheid en Israël et dans les territoires qu’il contrôle. Deux systèmes coexistent sur un même espace : une démocratie incomplète pour les citoyens juifs, où les Palestiniens d’Israël sont des citoyens de seconde zone, et un régime d’occupation militaire implacable en Cisjordanie et à Ghaza, où des colons ultra-militarisés jouissent de droits exclusifs tandis que la population autochtone subit répression et dépossession.
Ce qui distingue cet apartheid de celui de l’Afrique du Sud, c’est son intensité et sa dynamique expansionniste. Alors que les Afrikaners n’avaient pas recours à l’importation massive de colons pour modifier l’équilibre démographique, l’entité sioniste favorise activement l’installation de centaines de milliers de juifs étrangers dans les colonies illégales. Parallèlement, il mène une politique systématique de déplacements forcés, de démolitions de maisons et d’ingénierie démographique visant à réduire la présence palestinienne.
L’omniprésence militaire, la surveillance de masse et l’usage de la force létale contre les civils renforcent ce système d’oppression. Là où l’Afrique du Sud de l’apartheid se contentait de maintenir une hiérarchie raciale stricte, l’entité sioniste va plus loin en mettant en œuvre une politique assumée de domination et d’expulsion, qui s’apparente à un nettoyage ethnique progressif.
Vous évoquez l’omniprésence du contrôle et de l’humiliation quotidienne imposée aux Palestiniens. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ce système de surveillance ?
Ce qui frappe d’abord en Palestine occupée, c’est la surveillance de chaque instant. Caméras, drones, checkpoints : un quadrillage total du territoire qui entrave les déplacements et instille une peur diffuse. Les centaines de points de contrôle disséminés stratégiquement ne sont pas de simples postes militaires, ils sont une mécanique de domination, ralentissant ou empêchant l’accès au travail, aux soins, à l’éducation. Toute contestation, même silencieuse, expose à l’humiliation, parfois à l’arbitraire carcéral.
À Al-Ram, près du siège de la Banque mondiale, le professeur Mahmoud en a fait l’amère expérience. Ce matin-là, il voulait simplement traverser. Face à lui, des soldats armés, indifférents. Il a attendu longtemps, scruté, fouillé, retenu. Son crime ? Exister du mauvais côté du mur.
Vous avez vécu cette expérience il y a plus de vingt ans. Pensez-vous que la situation en Palestine a empiré depuis ?
Depuis mon passage en Cisjordanie, la situation a basculé dans une spirale encore plus brutale. Les colonies, qui comptaient 300 000 colons à l’époque, en abritent aujourd’hui plus de 800 000, grignotant toujours plus de terres palestiniennes. À mesure que les bulldozers avancent, les maisons palestiniennes tombent, leurs habitants chassés.
La violence s’est intensifiée. Les attaques de colons, souvent sous protection militaire, se multiplient. Raids nocturnes, arrestations arbitraires, assauts meurtriers, le quotidien palestinien est rythmé par la peur et la répression.
Et puis, il y a le mur. Ce « mur de la honte », voulu par Ariel Sharon, enferme la Cisjordanie dans une prison à ciel ouvert, plus vaste encore que celle de Gaza. Plus qu’une barrière, une cicatrice sur la terre occupée.
Après « De Londres à Jérusalem, Terreur promise », avez-vous d’autres projets d’écriture notamment sur la Palestine ou d’autres sujets qui vous tiennent à cœur ?
Mon prochain livre portera sur l’apartheid israélien. Car ce n’est ni la dénonciation du nettoyage ethnique, ni celle du colonialisme ou du génocide qui contraindra l’entité sioniste à respecter le droit international. Seule la reconnaissance officielle de ce régime comme un apartheid par les Nations unies, suivie de sanctions économiques et d’un embargo sur les armes, pourra l’y obliger.
C’est ainsi que le régime sud-africain a fini par plier dans les années 70, sous la pression internationale, ouvrant la voie à Mandela en 1994. Il en sera de même pour Israël, le jour où le monde reconnaîtra enfin la nature raciste de ce régime forgé dans les logiques coloniales du XIXᵉ siècle. Gaza n’a fait que révéler l’ultime visage de cette impunité.