En 1999, Akli Ourad, ingénieur en économie routière basé à Birmingham, est mandaté par la Banque mondiale pour une mission singulière, celle d’assister l’Autorité palestinienne dans la gestion du réseau routier de Cisjordanie, dans le cadre des accords d’Oslo. Ce qui devait être un simple séjour professionnel s’est transformé en une plongée brutale dans la réalité de l’occupation.
De cette expérience marquante est né « De Londres à Jérusalem, Terreur promise », un récit percutant publié par Casbah Éditions. Un livre à la croisée du témoignage et de l’enquête, où l’auteur décrit avec précision l’engrenage d’un système colonial verrouillé par la violence et la surveillance.
Dès l’aéroport de Heathrow (Londres), les premiers signaux d’une hostilité institutionnelle se manifestent. En dépit de son passeport britannique, Akli Ourad est soumis à des contrôles approfondis. Son nom, son lieu de naissance (Tizi-Ouzou, en Algérie), et surtout sa destination suffisent à éveiller la suspicion. L’ombre du soupçon plane sur lui : aux yeux des autorités, un ingénieur algérien se rendant en Palestine occupée pourrait bien être un espion. L’interrogatoire est minutieux, intrusif. Il faudra prouver patte blanche avant d’embarquer sur un vol d’El Al, la compagnie israélienne connue pour ses procédures de sécurité parmi les plus drastiques au monde.
L’arrivée à l’aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv ne fait que renforcer la pression. Pendant 3 heures, Ourad est interrogé par les agents du Shin Bet, le service de sécurité intérieure sioniste. Questions en rafale, fouille approfondie, regard scrutateur des officiers. Ce n’est qu’après ce passage obligé qu’il est autorisé à poser le pied en Palestine occupée.
Dès les premiers kilomètres, le contraste est saisissant. Tel-Aviv et Jaffa affichent leurs buildings ultramodernes, leurs avenues rutilantes. Mais plus Ourad s’enfonce vers Naplouse, Ramallah ou Jérusalem, plus la réalité brutale du système colonial s’impose. Des dizaines de checkpoints jalonnent le territoire, réduisant la liberté de mouvement des Palestiniens à une série d’épreuves quotidiennes. Chaque barrage est une forteresse, surmontée de miradors et de mitrailleuses braquées sur les passants.
Les colonies israéliennes, elles, surgissent à perte de vue. Accrochées aux collines, encerclant les villes palestiniennes, elles se multiplient en une prolifération méthodique. Des myriades d’implantations qui transforment la Cisjordanie en une mosaïque de zones sous contrôle militaire. Partout, la même logique : morceler, fragmenter, étouffer la population autochtone.
Lorsqu’Ourad atteint Naplouse, il découvre une ville sous pression permanente. L’armée israélienne y impose un régime d’occupation implacable. Les incursions militaires sont fréquentes, les arrestations arbitraires se comptent par dizaines. Une nuit, alors qu’il dort dans un hôtel, la ville est bombardée. Une alarme retentit, brisant le silence nocturne. Pris de panique, les clients se ruent vers l’abri anti-bombes. Les murs tremblent sous l’impact des explosions, le sol vibre sous les frappes aériennes. L’ingénieur raconte la peur viscérale qui s’empare de lui : « La tremblote m’avait envahi des pieds à la tête, tant la situation était surréaliste ». Une demi-heure d’attente sous les détonations, à se demander si le prochain missile frappera leur immeuble.
À Jérusalem, le contrôle israélien se manifeste dans chaque détail. L’accès au parvis de la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam, est filtré par des soldats israéliens. L’un d’eux l’arrête et, dans un arabe maîtrisé, lui ordonne de réciter la Fatiha, la première sourate du Coran. Un test religieux absurde, mais révélateur de la logique de domination qui s’exerce sur la ville.
Ourad prend la mesure d’un apartheid qui ne dit pas son nom. Une ségrégation omniprésente, des humiliations systématiques, une surveillance de chaque instant.
Son livre est un cri d’alerte.« Ma virée en Palestine occupée, dominée, martyrisée, écrasée m’a plongé au cœur d’un système infamant, dégradant et humiliant », écrit-il.
Dans « De Londres à Jérusalem, Terreur promise », Akli Ourad livre un témoignage d’une rare intensité. Il ne s’agit pas d’un simple récit de voyage, mais d’un document qui dissèque, avec rigueur et indignation, les rouages d’un système colonial qui s’aggrave sous nos yeux. Un livre essentiel pour comprendre ce que vivent, au quotidien, les Palestiniens sous occupation.
Aujourd’hui, alors qu’Israël mène une campagne d’extermination à Ghaza, ce témoignage résonne avec une actualité brûlante. Il met en lumière un apartheid plus féroce encore que celui qu’a connu l’Afrique du Sud. Une oppression soutenue par des puissances occidentales qui pratiquent la politique du « deux poids, deux mesures », au prix de milliers de vies palestiniennes.
Akli Ourad, né en 1962 en Kabylie, formé à l’École nationale des travaux publics d’Alger avant d’obtenir un master à l’université de Birmingham, n’était pas prédestiné à devenir écrivain. Mais face à l’horreur qu’il a vécue, se taire aurait été une trahison. Avec ce livre, il rejoint la longue lignée de ceux qui refusent l’amnésie et l’indifférence.
Un récit nécessaire. Un devoir de mémoire.