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Abdelghani Rahmani :l’instinct en composition

Un hommage. Une célébration. Une exposition-vente. La Galerie Guessoum ouvre ses cimaises à l’œuvre d’Abdelghani Rahmani, artiste autodidacte, explorateur du trait et de la couleur, dont la peinture vibre d’un langage plastique à la fois instinctif et rigoureusement maîtrisé. Pendant douze jours, le public pourra redécouvrir ses toiles, s’imprégner de son univers et, pour les plus avertis, acquérir une parcelle de son héritage.

Rahmani, qui n’aura eu de cesse de chercher l’absolu dans l’épure, laisse derrière lui une œuvre résolument contemporaine. Une peinture qui, sous ses allures fragmentées, refuse le chaos. Il adopte une esthétique hybride, puisant dans le divisionnisme pour animer ses sujets, dans le cubisme pour structurer leurs mouvements et dans l’abstraction lyrique pour les libérer de toute entrave. Un travail fait de strates et de ruptures, de couleurs fragmentées, de formes en suspension qui disent l’élan, la tension, la gravité et l’extase du mouvement.

L’itinéraire d’un peintre sans école

Il est des artistes que l’académisme façonne, d’autres que l’instinct guide. Rahmani appartient résolument à la seconde catégorie. Né en 1974 à Alger, il découvre très tôt le dessin et se réfugie dans la bibliothèque des Beaux-Arts, où il se nourrit d’images, d’anatomies, de perspectives et de lignes. Sans maître, il apprend en observant, en recopiant, en déconstruisant. L’adolescence le mène en Tunisie, où il se frotte aux galeries, aux expositions, aux fresques citadines. À vingt ans, il rentre en Algérie avec la certitude que son destin est scellé : il sera peintre.

Mais être peintre sans formation officielle est un combat. Rahmani travaille seul, expérimente sur tous les supports, accumule des toiles que personne ne voit. Sa famille peine à comprendre cet engagement viscéral, à l’exception de sa mère, qui soutient son fils dans l’ombre. C’est elle qui s’occupe de faire encadrer ses premières œuvres, les portant chez un certain Mohamed Khelifati, directeur de la Galerie El-Yasmine. Ce dernier, intrigué, observe, conseille, puis encourage : « Il faut qu’il continue ».

Il faudra encore quelques années avant que le jeune peintre ose demander à exposer seul. L’attente durera deux ans. Puis, enfin, la porte s’ouvre. Sa première exposition personnelle à la Galerie El-Yasmine dévoile une trentaine de toiles qui déroutent et captivent. Des figures féminines en mouvement, éclatées dans un espace morcelé, comme en apesanteur. Ses « femmes libellules », ainsi baptisées par les critiques, se meuvent avec une grâce futuriste, portées par un chromatisme audacieux. D’autres œuvres révèlent un travail plus géométrique, une veine cubo-futuriste où les silhouettes semblent se décomposer et se recomposer dans une dynamique perpétuelle.

« Je parle peu, je m’exprime par mes œuvres », confiait-il un jour. Et en effet, sa peinture est un langage en soi, une grammaire du geste et de la lumière. Elle refuse l’anecdote, fuit la narration, préférant la fulgurance de l’instant figé dans un équilibre mouvant. Dans ses tableaux comme Arrogance, Femme élancée, Instinct maternel ou Enfant de nuit, les corps s’allongent, s’étirent, se décomposent et se réinventent, formant une partition plastique où chaque ligne semble vibrer d’une énergie interne.

L’artiste ne cherche pas à séduire. Il compose, instinctivement, cherchant la justesse dans l’épure, traquant le dynamisme dans la matière brute. Certains y verront un écho au formalisme d’un Léger, d’autres une parenté avec la force chorégraphique d’un Boccioni. Mais Rahmani n’imite personne. Il avance, porté par une nécessité intérieure, creusant son propre sillon dans la grande histoire de la peinture contemporaine algérienne.

L’exposition-vente organisée par la Galerie Guessoum n’est pas qu’un hommage, elle est une transmission. Une invitation à redécouvrir un peintre dont l’œuvre, encore méconnue, mérite sa place dans le panthéon artistique algérien. Ceux qui auront le privilège d’admirer ses toiles y verront une quête, une fièvre, un engagement absolu envers l’art. Ceux qui repartiront avec une pièce entre les mains emporteront avec eux bien plus qu’un simple tableau, une empreinte, un fragment d’âme, une pulsation figée sur la toile.

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L'express quotidien du 20/02/2025

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