Dans un contexte de tensions croissantes entre plusieurs pays africains et l’ancienne puissance coloniale française, l’Union africaine (UA) a inscrit à l’agenda de son sommet d’Addis-Abeba une question qui pourrait redéfinir les rapports de force internationaux, la criminalisation du colonialisme et la reconnaissance des crimes historiques commis contre les peuples africains.
L’initiative, portée par l’Algérie et le Ghana, prend la forme d’une résolution ambitieuse intitulée « Justice pour les Africains et les personnes d’origine africaine à travers des réparations pour le colonialisme », présentée par Ahmed Attaf, chef de la diplomatie algérienne. Cette proposition, discutée lors du sommet des ministres des Affaires étrangères africains des 12 et 13 février, a été adoptée au niveau des délégués avant d’être soumise au Conseil ministériel, puis au Conseil des chefs d’État de l’UA.
Elle appelle à « la construction d’un front commun et uni pour la justice et l’obtention de réparations pour les Africains, en réponse aux crimes historiques et aux atrocités de masse perpétrés contre les Africains et les personnes d’origine africaine, y compris le colonialisme, l’apartheid et le génocide ».
La Commission de l’Union africaine se voit confier la mission de documenter les crimes coloniaux, de mesurer leurs impacts et d’élaborer une stratégie de reconnaissance et d’indemnisation. Parmi les recommandations phares figurent :
Des indemnisations financières en faveur des pays africains spoliés par la colonisation.
L’investissement dans les infrastructures, l’éducation et la santé, pour réparer les séquelles économiques et sociales du colonialisme.
Un travail de mémoire et de reconnaissance historique, notamment sur la traite négrière transatlantique, dont la France a été l’un des principaux acteurs.
Dans son intervention, Samuel Okudzeto Ablakwa, ministre ghanéen des Affaires étrangères, a souligné l’engagement de son pays à œuvrer pour la « criminalisation du colonialisme et de l’esclavage », et à exiger des puissances coloniales des réparations conséquentes.
La réunion de haut niveau a également mis en lumière le rôle fondamental de la diaspora africaine. Les intervenants ont insisté sur la nécessité de rapprocher le continent africain de ses communautés dispersées à travers le monde, en particulier celles issues des politiques esclavagistes et coloniales. Déjà en décembre dernier, Ahmed Attaf, annonçait que la criminalisation du colonialisme serait au cœur du sommet de février, affirmant que l’Algérie serait l’un des premiers pays à soutenir cette démarche à l’ONU.
Parmi les puissances coloniales concernées, la France apparaît comme la principale cible de cette offensive diplomatique africaine. Pendant plus d’un siècle, elle a occupé des dizaines de pays sur le continent, pillé leurs ressources et imposé un système d’exploitation et d’oppression qui, selon les historiens, a causé la mort de plusieurs millions de personnes.
En Algérie, la colonisation française a été marquée par des massacres de masse, des déportations et des génocides contre des populations civiles. L’armée coloniale française a également commis des exactions similaires en Tunisie, au Mali, à Djibouti, au Nigeria, au Tchad, au Sénégal, au Bénin, en Côte d’Ivoire et en République centrafricaine.
La France fut aussi un acteur majeur de la traite transatlantique des esclaves, un système qui a réduit en esclavage des millions d’Africains et marqué à jamais le destin du continent.
L’héritage des figures de la libération africaine a également été au cœur des discussions. Lors d’une intervention par visioconférence, Djazia Kerkeb, fille du défunt moudjahid Mokhtar Kerkeb, a rappelé le rôle crucial joué par son père dans le soutien aux mouvements indépendantistes africains.
Mokhtar Kerkeb, ancien cadre de l’Armée de libération nationale (ALN), formé à l’Académie militaire de Moscou, a tissé des liens solides avec des figures majeures de la lutte pour l’indépendance, dont Samora Machel (Mozambique), Sam Nujoma (Namibie), Agostinho Neto (Angola) et Joaquim Chissano (Mozambique). Il a consacré sa vie à former des combattants africains et à fournir un soutien logistique et militaire aux résistances anticoloniales.
Pour Djazia Kerkeb, « on ne peut parler de réparations pour l’Afrique sans revenir à la Glorieuse guerre de libération et aux mouvements de libération africains ». Elle exige que le parcours de son père soit officiellement reconnu dans cette lutte pour la justice historique.
L’Algérie et le Ghana, en première ligne de ce combat, entendent mobiliser l’ensemble du continent pour imposer une lecture africaine de l’Histoire et bâtir un rapport de force face aux anciennes puissances coloniales.