La librairie Chaïb-Dzaïr à Alger a accueilli un hommage à Ginette Aumassip-Kadri, figure majeure de la « préhistoire » algérienne, disparue le 7 janvier dernier. Organisée par l’Entreprise nationale d’édition, de communication et de publicité (ANEP), la rencontre a réuni ses proches, ses élèves et des chercheurs, venus saluer son œuvre et son engagement inébranlable pour le patrimoine scientifique et culturel du pays.
Archéologue et préhistorien, Nadjib Ferhat, l’un de ses élèves et collaborateur de longue date, a retracé le parcours exceptionnel de celle qui fut bien plus qu’une chercheuse, une bâtisseuse de la préhistoire en Algérie. À l’époque où la discipline n’avait ni cadre institutionnel ni statut universitaire, Ginette Aumassip-Kadri a joué un rôle clé dans l’émergence d’une école algérienne de la préhistoire, notamment après 1969, lorsque les chercheurs français ont quitté le pays.
Aux côtés de Mouloud Mammeri, elle a contribué à « structurer » la recherche et à former une première génération de préhistoriens algériens, en s’appuyant sur une approche rigoureuse et pluridisciplinaire. Sa direction de la prestigieuse revue « Libyca » et son rôle dans la sauvegarde des collections du CRAPE – devenu le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) – témoignent de son engagement sans faille. « Elle nous a transmis une passion, mais surtout une exigence scientifique, un sens du détail et du travail bien fait », souligne Nadjib Ferhat.
L’un des moments clés de cette transmission s’est joué sur le terrain, à Tin Hanakaten, où elle a dirigé une fouille majeure entre 1973 et 1983. C’est là que s’est forgée une génération de chercheurs qui, aujourd’hui, perpétue son œuvre et assure la relève d’une discipline qui rayonne désormais à l’international.
« À l’époque, il n’existait aucune formation universitaire en préhistoire en Algérie », rappelle Ferhat. La solution fut alors de constituer une équipe en puisant dans d’autres disciplines scientifiques, une démarche pragmatique qui permit de jeter les bases d’une recherche structurée. Aujourd’hui, cette école algérienne de la préhistoire s’est imposée comme une référence mondiale.
Mais l’engagement de Ginette Aumassip-Kadri ne s’est pas limité aux vestiges du passé lointain. Elle s’est également battue pour la préservation du patrimoine équestre algérien, et en particulier du cheval barbe, race emblématique du Maghreb.
Fondatrice de l’association ADJR, elle a mené un travail de sensibilisation auprès des éleveurs et des jeunes générations pour protéger cette lignée menacée. « La préhistoire et les chevaux étaient ses deux grands combats », résume Mohamed Balhi, modérateur de la rencontre. À travers concours, expositions et actions sur le terrain, son engagement continue aujourd’hui de vivre à travers l’association.
Présente en Algérie depuis 1956, Ginette Aumassip-Kadri n’a jamais quitté ce pays qu’elle considérait comme le sien. Son œuvre scientifique, ses écrits et les générations qu’elle a formées constituent un héritage précieux, qu’il appartient désormais aux chercheurs d’entretenir et d’enrichir.
L’hommage d’Alger n’avait rien d’un adieu, mais tout d’un passage de témoin. « C’est maintenant à nous de faire vivre ce qu’elle a construit », conclut Nadjib Ferhat.