« Au vaillant fils de l’Algérie, Mohamed Moulessehoul, dit Yasmina Khadra… félicitations pour ce Prix qui vous a été décerné par l’Espagne, pays ami, et qui honore, une fois de plus, votre grand talent de romancier. Félicitations à la culture algérienne. Je vous souhaite davantage de succès ».
C’est par ces mots que le président Abdelmadjid Tebboune a salué hier, la distinction internationale décernée à l’écrivain Yasmina Khadra, soulignant la reconnaissance grandissante de son talent au-delà des frontières. Une nouvelle récompense qui s’inscrit dans une carrière marquée par une quête inlassable de vérités humaines et historiques à travers la fiction.
Né en 1955 au cœur du Sahara, Mohamed Moulessehoul, plus connu sous son pseudonyme littéraire, est l’héritier d’une lignée de guerriers et d’intellectuels. Mais si son nom signifie « seigneur des plaines », son enfance a été loin d’être royale. Fils d’un combattant de l’ALN blessé en 1958, il grandit dans l’ombre d’un père qui, après avoir embrassé le rêve d’une Algérie libre, décide un jour d’abandonner son foyer. Sa mère, livrée à elle-même avec sept enfants, incarne alors le pilier sur lequel le futur romancier va s’appuyer. « Ce qu’elle a fait pour nous, aucun homme n’en aurait été capable », confiera-t-il plus tard, soulignant combien cette figure maternelle a forgé sa sensibilité et son engagement féministe.
Envoyé à 9 ans dans une école militaire à Tlemcen, il y apprend la discipline, la rigueur, mais surtout, il y découvre la complexité humaine. « L’armée instruit sur le facteur humain, elle est fantastique pour un écrivain », dira-t-il. C’est dans cet univers austère qu’il forge sa vision du monde et sa capacité à sonder les âmes, des qualités qui irrigueront plus tard ses romans. Il lit tout ce qui lui tombe sous la main, de la comtesse de Ségur à Melville, mais c’est Camus qui lui ouvre la voie. Encouragé par un professeur de français, il choisit d’écrire dans cette langue, tout en restant ancré dans son héritage arabe.
Devenu officier, il publie ses premiers romans sous pseudonyme pour contourner la censure militaire. Dans l’Algérie des années 1990, où la violence islamiste ensanglante le pays, son engagement dans l’armée l’oppose aux factions radicales. Mais sa plume, elle, continue de creuser une autre forme de résistance : raconter, dénoncer, humaniser. Lorsqu’il adopte définitivement le pseudonyme Yasmina Khadra, en hommage à son épouse, il sait que l’anonymat est une question de survie. « Lorsque j’ai pris ce pseudo, en pleine guerre, je n’étais pas sûr de survivre », se souvient-il.
Les années 2000 marquent son exil à Paris et l’envol international de son œuvre. Ses romans, traduits en plusieurs langues, dépeignent un Orient meurtri, entre guerre, amour et quête de sens. Avec « Les Hirondelles de Kaboul », « L’Attentat » ou encore « Les Sirènes de Bagdad », il tend un miroir à un Occident souvent incapable de comprendre les drames qui secouent le monde arabe. « J’ai besoin de savoir que je ne suis pas seul », confie-t-il, soulignant l’importance de sa foi comme ancrage dans un monde souvent brutal.
Aujourd’hui, Yasmina Khadra partage son temps entre Paris, Alicante et Oran, cette « escale de quiétude » où il se ressource. Avec « Les Vertueux », il signe une fresque magistrale qui embrasse près d’un siècle d’histoire algérienne à travers le destin de Yacine, un berger projeté dans l’enfer de la Première Guerre mondiale. « Ce n’est pas seulement l’histoire de Yacine, c’est celle de l’Algérie », insiste-t-il. Un roman où il déverse tout de lui-même, et qui, selon ses propres mots, l’a « guéri » du chagrin laissé par la disparition de sa mère.
Dans un paysage littéraire où l’Algérie peine encore à faire entendre ses voix, Yasmina Khadra continue de tracer son chemin, entre blessures du passé et espoirs d’avenir. Un écrivain qui, comme son héros Yacine, refuse de plier face aux tempêtes de l’histoire.