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Mouloud Mammeri : Écrivain, anthropologue et vigie de l’Algérie plurielle

Il y a trente-six ans, un accident de la route sur la RN5, à Aïn Defla, arrachait à l’Algérie l’un de ses plus grands intellectuels. Mouloud Mammeri, écrivain, chercheur et militant infatigable de la mémoire amazighe, laissait derrière lui une œuvre monumentale, à la croisée du roman, de l’anthropologie et de la linguistique.

Mouloud Mammeri est auteur d’une œuvre qui, aujourd’hui encore, éclaire les grandes pages de l’histoire et du patrimoine algérien.

Né le 28 décembre 1917 à Taourirt Mimoun, près de Tizi Ouzou, Mouloud Mammeri grandit entre la Kabylie et les bancs du lycée Bugeaud d’Alger (actuel lycée Émir Abdelkader). Brillant élève, il poursuit ses études à Paris, au lycée Louis-le-Grand, avant d’être mobilisé en 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale. L’expérience du front et de l’Occupation façonne son regard sur l’oppression et la résistance, thèmes qui traverseront ses écrits.

En 1952, il publie La Colline oubliée, un premier roman qui dresse un portrait saisissant de la société kabyle à la veille de la Seconde Guerre mondiale. À travers les tribulations de son personnage principal, Arezki, il met en scène les contradictions d’un peuple pris entre traditions séculaires et modernité imposée par la colonisation. L’ouvrage, interdit en Algérie coloniale, marque le début d’une œuvre littéraire placée sous le signe du témoignage et de l’engagement.

Avec Le Sommeil du juste (1955), Mammeri explore les désillusions de la jeunesse algérienne face à un système colonial qui ne laisse aucun horizon. Mais c’est avec L’Opium et le bâton (1965) qu’il signe son roman le plus emblématique, un récit haletant sur la lutte armée, adapté au cinéma en 1970 par Ahmed Rachedi, avec Sid Ali Kouiret et Jean-Louis Trintignant.

Œuvre romanesque et violence coloniale

Parallèlement à son travail romanesque, Mammeri utilise la presse pour dénoncer la violence du système colonial. Il collabore au journal L’Espoir Algérie, où il décrit la brutalité de la répression française. Surtout, il contribue à la rédaction de rapports accablants sur les exactions coloniales, envoyés par le Front de libération nationale (FLN) à l’Assemblée générale des Nations unies. Une activité qui lui vaudra d’être étroitement surveillé par les autorités françaises.

L’indépendance de l’Algérie, en 1962, marque le début d’un travail scientifique titanesque pour Mammeri. Il se consacre entièrement à la recherche et à la préservation du patrimoine amazigh, un domaine dans lequel il joue un rôle fondamental.

Il est le premier universitaire à formaliser une approche linguistique rigoureuse de cette langue, avec Tajerrumt n’Tmazight (Grammaire berbère) et Amawal (dictionnaire amazigh-français), publiés en 1980. Il exhume également un pan méconnu du patrimoine oral avec Les Isefra, recueil de poèmes de Si Mohand ou M’hand, et Poèmes kabyles anciens, ouvrage de référence sur la tradition poétique kabyle.

Dans les années 1980, il se penche sur l’Ahellil du Gourara, chant rituel des populations zénètes du Sahara algérien. Son travail de documentation, publié en 1984, sera poursuivi par l’anthropologue Rachid Bellil et aboutira, en 2008, au classement de l’Ahellil au patrimoine mondial de l’UNESCO.

 Engagement pour l’identité amazighe

Son engagement pour la promotion de la culture amazighe ne s’arrête pas à la recherche. En 1985, il fonde Awal, première revue scientifique consacrée aux études amazighes. Il dirige également le Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques (CRAPE), où il forme une génération de chercheurs qui porteront plus tard son combat.

Le 26 février 1989, alors qu’il rentre d’un colloque à Oujda (Maroc), Mammeri trouve la mort dans un accident de la route. Il avait 72 ans. Une perte immense pour la culture et la recherche en Algérie.

En hommage à son immense apport, plusieurs institutions portent aujourd’hui son nom, à l’image de l’université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou et de la bibliothèque d’Alger. Mais c’est surtout dans la richesse de son travail scientifique et littéraire que son héritage continue de vivre.

Longtemps ignoré, l’enseignement du tamazight est aujourd’hui une réalité en Algérie, où la langue est reconnue comme langue nationale et officielle depuis 2016. Une reconnaissance qui s’inscrit dans la continuité du travail mené par Mammeri et qui témoigne de l’importance de son œuvre pour les générations futures.

Trente-six ans après sa disparition, Mouloud Mammeri demeure une figure incontournable du paysage intellectuel algérien. Ni simple écrivain, ni simple chercheur, il fut avant tout un passeur de savoirs, un homme dont l’engagement pour la culture et l’histoire continue d’inspirer.

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