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Mohamed El Korso, historien: «La fête de la victoire est un moment capital pour les Algériens »

L’Express : L’Algérie célèbre aujourd’hui la fête de la Victoire marquant le 63ᵉ anniversaire du cessez-le-feu. Que représente cette date pour les Algériens ?

Mohamed El Korso : Pour ceux qui l’ont vécue, la fête de la victoire revêt une importance cruciale. C’est un moment capital de leur histoire, où ils sont passés d’un état de colonisé à l’état d’indépendant. Un moment également fondamental et crucial pour l’histoire de l’Algérie qui est passée d’un état de domination vers un État qui se reconstruit, étant donné que l’indépendance était une restauration, une reconstruction.

Quid des générations d’aujourd’hui ?

Je regrette de le dire, mais pour beaucoup de jeunes d’aujourd’hui,cette date est reliée à l’état colonial passé. Nous avons des problèmes qui se posent aussi bien d’abord au niveau de l’école que de la discipline Histoire. Cela étant dit, il ne faut pas être totalement négatif. Nous constatons actuellement, avec le lancement de la chaîne d’Histoire « Edhakira », en novembre 2020, qu‘un nombre conséquent de documentaires sont présentés, ainsi que beaucoup d’informations historiques sont données. J’espère que son impact à long terme sera positif.

Vous faites partie d’une Commission mixte d’historiens installée en 2022 chargée du dossier de l’histoire et de mémoire.   L’existence de cette commission est-elle encore possible dans ce contexte marqué par une crise politique inédite entre l’Algérie et la France ?

L’histoire nous a appris que toute crise finit par s’estomper et que la paix reviendra. C’est un moment très critique des relations diplomatiques entre l’Algérie et la France. Nous constatons une mobilisation extrême de la droite et de l’extrême droite française contre l’Algérie, avec un but déclaré : rompre toute relation avec l’Algérie.  Je pense qu’il y a une espèce de guerre froide entre les deux pays, mais également, de bonnes intentions de la part de citoyens français et algériens pour que cet état de fait n’arrive pas.

S’agissant de la commission mixte, il est fait état dans les médias, par les historiens membres des deux commissions, de la volonté de reprendre les réunions et discussions.   Nous souhaitons que les rencontres soient relancées dans les meilleurs délais, sachant que cela ne dépend pas de la commission algérienne ni de la commission française. Les deux commissions sont otages, en fin de compte, du climat politique qui règne en France. Un climat qu’il ne faut pas hésiter à dire est un climat fasciste au sens propre du terme. 

Contrairement à l’Algérie et commis de l’État, certaines personnalités et ministres au niveau du gouvernement Bayrou veulent aller vers les extrêmes, et ce, en combattant toute lueur d’espoir, sachant que ce n’est pas la meilleure voie pour entretenir des relations pérennes entre deux pays qui ont une histoire commune, mais aussi sanglante. Nous espérons que la sagesse finira par dominer et que la loi sera respectée des deux côtés, français et algérien, car mettre l’Algérie devant le fait accompli, c’est aller inéluctablement vers la rupture. Une option que ne privilégie pas l’Algérie qui ne recherche pas cet état extrême. Bien au contraire, elle essaye de calmer le jeu. Nous espérons que la sagesse dominera.

L’Algérie demande des indemnisations pour les victimes des essais nucléaires effectués en 1962. Est-ce qu’il existe des chances à ce que ces indemnisations soient obtenues ?

D’abord, les indemnisations que réclame l’Algérie sont un droit. Des engagements ont été pris du temps de la présidence de Sarkozy, avalisés ensuite par Hollande, qui a annoncé en 2012 l’indemnisation des Algériens victimes des essais nucléaires. La décontamination des sites a été également évoquée.

Deuxièmement, je le dis sous réserve : la mise en place d’un hôpital pour les contaminés l’avait été évoquée et soulevée à l’époque. Il a été également question de prendre en charge des irradiés, étant donné que les effets négatifs des radiations sur la santé humaine sont toujours d’actualité. Ajoutons à cela la dépollution de l’environnement, ce sont des éléments qui ont été évoqués et actés. Maintenant, l’indemnisation, elle va de soi.

Nous avons des pays d’Europe qui sont en train d’indemniser des peuples et des États qui se sont constitués par la suite et qui ont payé les frais de fascisme. J’ignore pourquoi la politique des deux poids, deux mesures est encore pratiquée. Certains États sont indemnisés, tandis que d’autres ne le sont pas. Si cette logique perdure, cela veut dire que nous sommes encore considérés comme indigènes et sous la botte du colonialisme. Une situation hautement intolérable.

Propos recueillis par Meriem Kaci.

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