Le romancier Yasmina Khadra, habitué aux vérités sans fard, ne s’embarrasse pas de précautions dans sa dernière tribune publiée jeudi dans L’Humanité. En des termes ciselés, il y dénonce ce qu’il qualifie de « misérable fausse manœuvre » du gouvernement français, accusé d’utiliser l’Algérie comme un écran de fumée pour masquer ses propres impasses. Un jeu dangereux, selon lui, où les vieilles rengaines sur l’ancienne colonie servent d’exutoire à une classe politique déboussolée.
Derrière les diatribes récentes du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qui a violemment pris à partie l’Algérie, Khadra voit surtout un exécutif à bout de souffle, incapable d’apporter des réponses aux Français et préférant souffler sur les braises d’un antagonisme dépassé. Il y lit la panique d’un pouvoir « qui appelle à la rescousse d’anciens premiers ministres faillitaires dans l’espoir de colmater les brèches du navire en naufrage » et qui, faute d’alternative, « privilégie la diversion au détriment du bon sens ».
L’Algérie serait donc un bouc émissaire commode, régulièrement convoqué pour détourner l’opinion des véritables enjeux. « L’expulsion ratée d’un Algérien indésirable ne change rien aux préoccupations des Français », rappelle l’auteur. Et d’ajouter que « ce ne sont ni les tribunes incendiaires dans la presse, ni les diatribes claironnantes des va-t-en-guerre, encore moins les plateaux de télé formatés, qui apporteraient un soupçon d’éclaircie à cette effarante mentalité de la provocation outrancière ».
Dans cette atmosphère où le discours dominant impose ses figures et ses ennemis, Yasmina Khadra constate qu’il ne fait plus partie des intellectuels que la France médiatique veut entendre. « La critique de l’Algérie est devenue un sport national », souligne-t-il, pointant du doigt un double standard : d’un côté, ceux qui s’alignent sur le récit officiel, décrivant une Algérie en perdition et un pouvoir honni, trouvent portes ouvertes et échos complaisants ; de l’autre, ceux qui refusent cette caricature sont progressivement marginalisés.
L’écrivain, qui fut un temps omniprésent dans les médias français, est aujourd’hui tenu à distance, là où d’autres, plus prompts à adopter une posture de rupture avec Alger, jouissent d’une exposition sans entrave. Un phénomène qui en dit long, selon lui, sur la nature du débat intellectuel en France, où l’Algérie ne peut être abordée que sous un prisme critique, au risque sinon d’être accusé de complaisance avec son gouvernement.
Au-delà de son cas personnel, Yasmina Khadra dénonce une logique plus vaste, celle d’une France qui, sous couvert de débats sur l’actualité, continue de vouloir contrôler le récit sur son ancienne colonie. En choisissant les intellectuels qu’elle met en avant, en reléguant ceux dont le discours ne lui convient pas, elle perpétue une relation asymétrique.
« L’Algérie ne demande rien. Elle se tient droite, sûre de son bon droit », affirme-t-il, opposant cette posture souveraine aux gesticulations parisiennes. Il rappelle aussi que les Français en Algérie « sont bien accueillis dans toutes nos villes et villages. Ils n’ont qu’à toquer à n’importe quelle porte pour se sentir chez eux ». Une manière de souligner que la crispation n’est pas le fait d’Alger, mais bien d’un certain appareil politico-médiatique français, enfermé dans ses propres contradictions.
Alors que la tension entre les deux pays semble connaître un nouveau pic, l’écrivain met en garde contre les effets de cette stratégie du bouc émissaire. « Que le gouvernement Bayrou s’assagisse et se focalise sur la meilleure façon d’accomplir sa mission, plutôt que de se hasarder là où il n’a rien à glaner, sinon des risques qu’il serait stupide et suicidaire de courir ». Un avertissement tranchant, qui rappelle que l’Algérie n’entend pas se laisser enfermer dans le rôle qu’on veut lui assigner.