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Bruno Fuchs: « Il est temps de reprendre le dialogue entre la France et l’Algérie »

Bruno Fuchs, président de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale française et figure influente du Mouvement démocrate (MoDem), s’exprime pour la première fois sur la crise entre la France et l’Algérie dans un entretien accordé à nos confrères d’El Khabar. Depuis son bureau à Paris, il évoque son refus de l’escalade, pointe du doigt une instrumentalisation politique du dossier migratoire et propose une relance du dialogue entre les deux pays.

Dès le début de l’échange, Bruno Fuchs met en garde contre une lecture étroite des relations franco-algériennes. « L’intensité et la force du lien entre nos deux nations sont multidimensionnelles : économique, énergétique, sécuritaire, culturelle. Il y a six millions de personnes qui vivent entre les deux pays. On ne peut pas leur demander de choisir », rappelle-t-il.

Pour lui, réduire cette relation aux obligations de quitter le territoire français (OQTF) est une erreur. « Lorsque nous entrons dans une logique de surenchère, nous nous enfermons dans un jeu politique qui va à l’encontre des intérêts des deux peuples », explique-t-il, tout en dénonçant une escalade nuisible aux deux parties.

Interrogé sur la politique menée par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, Fuchs distingue deux aspects. Il reconnaît que la question de la sécurité intérieure est une priorité pour tout gouvernement, mais estime que la méthode employée est inefficace. « Il se trouve qu’un grand nombre de personnes concernées par les expulsions sont algériennes, et leur retour en Algérie est attendu par les Français. Mais la stratégie de la tension et de la menace a montré ses limites », observe-t-il.

Il insiste sur l’impasse que constitue la surenchère actuelle et plaide pour un retour au dialogue. « Ni la France ni l’Algérie n’ont intérêt à cette radicalisation. Il faut bâtir une relation de confiance solide et durable », affirme-t-il.

Qui décide de la politique étrangère française ?

La place prépondérante prise par le ministre de l’Intérieur dans la gestion du dossier algérien interroge. La Constitution française stipule que c’est le président de la République qui fixe la politique étrangère, or c’est Bruno Retailleau qui multiplie les déclarations sur les accords bilatéraux avec Alger.

« Lorsque la question des accords de 1968 a été évoquée, le président a immédiatement rappelé qu’il était le seul compétent en la matière », souligne Fuchs. Il observe cependant que le ministre de l’Intérieur occupe l’espace médiatique et que ses prises de position répondent à des attentes politiques internes. « Il faut être ferme sur la sécurité intérieure, mais en parallèle, ouvrir un espace de discussion », plaide-t-il, estimant que la relation entre les deux pays doit être fondée sur le respect mutuel. Il appelle les autorités algériennes à répondre à cette main tendue. L’entretien aborde également la manière dont l’Algérie est devenue un sujet central du débat politique français. Pour Fuchs, la surmédiatisation des tensions s’explique notamment par l’affaire de Mulhouse, où un ressortissant algérien, sous le coup de 14 obligations de quitter le territoire, a été impliqué dans un homicide. «Cet événement a mis l’Algérie sous le feu des projecteurs. Certains ont cherché à en faire un cas emblématique pour légitimer un durcissement politique », analyse-t-il. À l’Assemblée nationale, les clivages sont similaires à ceux du débat public : certains cherchent des voies d’apaisement, d’autres considèrent le rapport de force comme la seule issue.

Vers une renégociation des accords de 1968 ?

Sur la question des accords de 1968, qui régissent les conditions de circulation et de séjour des Algériens en France, Fuchs adopte une position prudente. « Tout accord conclu entre deux parties se renégocie entre ces deux parties », rappelle-t-il, suivant ainsi la ligne du président de la République. Il souligne cependant que toute évolution dépendra du contexte politique et de la dynamique entre les deux pays. « Si nous restons dans une logique d’escalade, il sera difficile de trouver un accord bénéfique aux deux parties. Si, en revanche, une rencontre entre les deux présidents permet de relancer la coopération, alors les perspectives changeront », estime-t-il.

La question de la mémoire et la censure d’un documentaire

L’entretien aborde enfin la question de la mémoire et la récente polémique autour du retrait d’un documentaire sur l’usage d’armes chimiques par l’armée française pendant la guerre d’Algérie.

Fuchs se refuse à parler de censure sans en connaître les raisons exactes. « Je prendrai contact avec France Télévisions pour comprendre pourquoi ce documentaire a été retiré de la programmation », promet-il. Il concède néanmoins que, quelle que soit la raison, la polémique autour de ce retrait a eu pour effet d’amplifier la visibilité du sujet.

Face aux tensions actuelles, Bruno Fuchs conclut son entretien en lançant un appel à la reprise du dialogue. « Nous ne devons pas enfermer notre relation dans une vision réductrice. Nos pays ont besoin l’un de l’autre. Il y a tant de belles pages à écrire ensemble », insiste-t-il. Il réaffirme sa disponibilité pour se rendre en Algérie et rencontrer ses homologues afin de renouer le fil du dialogue. « Il est temps d’abandonner la logique de confrontation et de revenir à la discussion », conclut-il.

Reconnaissance des crimes coloniaux

L’usage d’armes chimiques par la France en Algérie est revenu au centre du débat après la déprogrammation d’un documentaire sur le sujet. Un député français s’est dit favorable à une projection de ce film à l’Assemblée nationale, sous réserve de son sérieux historique, mais juge préférable d’attendre une amélioration des relations entre les deux pays.

Les propos de Jean-Michel Aphatie comparant les crimes coloniaux français aux crimes nazis ont provoqué de vives réactions et entraîné des sanctions à son encontre. Le député défend la « liberté d’expression », mais considère cette comparaison historiquement erronée, tout en rappelant la réalité des violences commises durant la colonisation. L’historien Benjamin Stora a soutenu la position d’Aphatie en affirmant que le nazisme s’était inspiré de la colonisation. Le député reconnaît que cette analyse existe, mais plaide pour une approche dépassionnée de la mémoire commune, estimant que la construction d’un récit partagé doit éviter les clivages.

Diplomatie parlementaire

Dans un contexte de tensions entre les gouvernements français et algérien, le député met en avant l’importance du dialogue parlementaire. Il a adressé une lettre à son homologue algérien, président de la commission des Affaires étrangères, afin d’ouvrir un canal d’échange direct. Selon lui, les parlementaires disposent d’une plus grande marge de manœuvre que les gouvernements et peuvent jouer un rôle dans l’apaisement des tensions.

Sahara occidental et politique migratoire

La crise actuelle est en partie liée à la position française sur le Sahara occidental, perçue par Alger comme un soutien implicite au Maroc. Le député rappelle que cette question relève de la politique de l’Élysée, mais regrette les répercussions sur la coopération bilatérale, notamment en matière migratoire.

L’Algérie refuse de reprendre certains de ses ressortissants en situation irrégulière, ce qui complique l’application des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Une affaire récente, impliquant une personne sous le coup de 14 décisions d’expulsion, a alimenté la polémique en France. Le député met en garde contre l’instrumentalisation de cette crise à des fins politiques et appelle à éviter l’escalade.

Il estime que la situation dépendra de la volonté des deux parties à dépasser la confrontation. Deux options se présentent, selon lui : persister dans la surenchère ou privilégier un dialogue constructif. Il rappelle que les tensions politiques ne doivent pas affecter les liens entre les peuples et souligne que la communauté franco-algérienne, notamment dans sa circonscription à Mulhouse, ne souffre pas de ces différends au quotidien. S’il espère un apaisement, il met en garde contre les conséquences d’une crise prolongée sur les relations économiques, la coopération africaine et la stabilité sociale en France.

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