L’archevêque d’Alger, Jean-Paul Vesco, s’est exprimé pour la première fois au sujet de la crise que vivent les relations algéro-françaises. Dans une interview qu’il a accordée au journal La Croix, le religieux n’a pas mâché ses mots pour dénoncer le jusqu’au-boutisme de certains hommes politiques français.
Pour lui, les tensions qui marquent régulièrement les relations entre les deux pays sont la conséquence de la non-prise en charge des traumatismes causés par le colonialisme en Algérie. « Je suis inquiet et en colère face aux propos jusqu’au-boutistes de certains responsables politiques français. Cette crise est sans incidence sur la vie de l’Église en Algérie, mais elle me touche à titre personnel, en tant que Franco-Algérien. Et son impact est extraordinaire sur les personnes que je côtoie. Ici, l’attitude de la France est vécue comme insultante et injuste. Elle vient raviver une blessure dans l’âme algérienne dont on ne peut mesurer la profondeur que dans le temps long d’une vie partagée », a déclaré l’archevêque d’Alger.
« Ce qui me gêne dans les propos du ministre de l’Intérieur français, c’est le ton comminatoire de ses injonctions aux autorités algériennes. L’Algérie ne cède jamais face à ce type de discours, spécialement venant de la France. Le ministre de l’intérieur le sait mieux que quiconque », a révélé Jean-Paul Vesco. Et d’expliquer que « en Algérie, tout est fondé sur la relation de confiance. Cette confiance a été perçue comme trahie par le changement de position française sur la question hautement symbolique du Sahara occidental alors qu’elle semblait être en train de se tisser entre les deux présidents. C’est tout de même le point de départ de la crise actuelle. »
En somme, le cardinal a estimé que « le fond du problème est dans un passé colonial non réconcilié, notamment parce qu’il n’y a pas eu de prise de conscience des conséquences dévastatrices du fait colonial en lui-même sur une population, de génération en génération. Dès lors, la relation franco-algérienne boîte depuis soixante ans, allant de crise en crise, de tentative de réconciliation en tentative de réconciliation, sans jamais pouvoir se poser dans la confiance. C’est cet arrière-fond qui fait le nid de la crise dite « des OQTF » (obligation de quitter le territoire français, NDLR). Regarder cette réalité en face serait plus efficace que de tenter en vain de tordre le bras à l’État algérien.
L’archevêque d’Alger a expliqué dans le même contexte que « tout colonialisme est le viol d’un peuple par la négation de son identité, de son histoire, par la spoliation de sa terre, par la domination humiliante, et parfois par la violence brutale. Dans l’histoire coloniale française, la colonisation de l’Algérie, colonie de peuplement, est celle qui a laissé le traumatisme le plus profond, qui se transmet de génération en génération. Ma conviction est qu’il y a entre la France et l’Algérie un rapport non réglé d’abuseur à abuser ».
Interrogé sur un éventuel divorce entre Alger et Paris, l’archevêque d’Alger répondra : « Le divorce entre la France et l’Algérie, appelé de leurs vœux par des responsables politiques qui semblent régler des comptes avec leur histoire personnelle, serait une voie suicidaire pour la France. Les conséquences ne seraient pas seulement une rupture de relations diplomatiques avec un pays, mais le divorce silencieux de millions de Français musulmans, pas seulement franco-algériens et souvent parfaitement intégrés, avec le pays dans lequel ils vivent et qu’ils contribuent à faire vivre. C’est ce qui est en train de se produire et c’est l’une des raisons principales de ma colère ».