12.9 C
Alger

11 décembre 1960, le souffle de la révolution algérienne

Par un matin d’hiver, Alger s’éveille. Mais ce 11 décembre 1960 ne ressemble en rien à une journée ordinaire. Dans les ruelles du quartier populaire de Belcourt, dans les faubourgs d’Alger comme dans les cœurs des Algériens, un vent de défi souffle. Ce jour-là, l’Algérie colonisée crie sa soif de liberté face à une répression brutale

Depuis le début de la guerre d’Algérie en 1954, la tension n’a cessé de grimper entre les partisans d’une Algérie française et ceux qui, de plus en plus nombreux, réclament une Algérie indépendante.

En décembre 1960, le général de Gaulle amorce une nouvelle stratégie : le recours à un référendum d’autodétermination. Une perspective que les Algériens interprètent comme une reconnaissance implicite de leur combat, mais qui exacerbe la colère des colons européens, farouchement opposés à l’idée d’une indépendance.

Dans ce contexte explosif, les manifestations éclatent spontanément le 11 décembre à Alger. Les jeunes, drapeaux verts et blancs en main, déferlent dans les rues, bravant les forces de l’ordre. « Tahia Djazaïr ! » (Vive l’Algérie !) Scandent‐ils à pleins poumons, galvanisés par l’idée que l’indépendance n’est plus une chimère lointaine.

Ce qui commence à Alger comme une protestation localisée s’étend rapidement à d’autres grandes villes du pays, Oran, Constantine, Tizi Ouzou. Les manifestations, bien que spontanées, portent la marque d’un peuple soudé derrière le Front de libération nationale (FLN).

C’est un cri de ralliement, un souffle unificateur pour une nation encore en construction. Face à cette marée humaine, les autorités coloniales réagissent avec une répression sans concession. Balles réelles, arrestations arbitraires, tabassages : la machine coloniale se déchaîne pour contenir l’insurrection. Le bilan humain est lourd. Bien que les chiffres officiels restent flous, des dizaines de morts et des centaines de blessés sont recensées.

Les manifestations du 11 décembre 1960 marquent un tournant décisif dans la guerre d’indépendance. D’un côté, elles révèlent au grand jour l’ampleur du soutien populaire à la cause du FLN.

De l’autre, elles projettent la lutte algérienne sur la scène internationale. Des images de la répression circulent, mobilisant l’opinion publique mondiale et accentuant la pression sur la France. Pour l’historien Benjamin Stora, « ces événements incarnent le basculement définitif : la guerre n’est plus une affaire de guérilla, mais une revendication nationale assumée par tout un peuple ».

Dans les cou‐ lisses du pouvoir à Paris, le gouvernement comprend qu’il ne pourra éternellement étouffer les aspirations algériennes à l’indépendance. Alors que l’Algérie coloniale s’enflamme en ce mois de décembre 1960, le souffle de la révolte franchit la Méditerranée.

Sur le sol français, les échos des manifestations et de la répression brutale résonnent avec une violence toute particulière. Loin des terres algériennes, les immigrés algériens de France, souvent regroupés dans des bidonvilles à la périphérie des grandes villes, subissent également le poids d’un système répressif acharné.

Dans les années 1960, les Algériens en métropole (environ 300 000 à l’époque) vivent sous une constante surveillance policière. Depuis le début de la guerre d’indépendance en 1954, ces travailleurs immigrés, souvent affiliés au Front de libération nationale (FLN) ou sympathisants de la cause, sont perçus comme des « ennemis de l’intérieur ».

Le FLN organise des collectes de fonds et mobilise sa diaspora pour alimenter la lutte armée, ce qui alimente les craintes des autorités françaises. Après les manifestations du 11 décembre en Algérie, des rassemblements éclatent en France, principalement dans les bidonvilles de Nan‐ terre, Gennevilliers, ou encore à Marseille

 Ces mobilisations, bien que pacifiques, sont violemment réprimées. La police, déjà marquée par une politique répressive stricte envers les immigrés algériens, réagit avec une brutalité dis‐ proportionnée.

LA VIOLENCE D’ÉTAT SUR LE SOL MÉTROPOLITAIN

Les violences policières envers les Algériens en France ne sont pas une nouveau‐ té. Depuis le début de la guerre, la répression s’est intensifiée, notamment sous la direction de Maurice Papon, préfet de police de Paris, tristement célèbre pour son rôle dans la répression des militants indépendantistes.

En décembre 1960, des dizaines d’Algériens sont arrêtés lors de descentes nocturnes dans les bidonvilles, accusés sans preuve d’appartenir au FLN ou de participer à des manifestations illégales. Les témoignages évoquent des passages à tabac, des tortures lors des inter‐ rogatoires, et des expulsions massives.

Des familles entières, parfois sans lien avec les protestations, sont victimes de cette répression aveugle. Une figure symbolique de cette période est celle des bidonvilles, où la misère des travailleurs algériens contraste violemment avec la répression qu’ils subissent.

Ces lieux, déjà marqués par l’exclusion sociale, deviennent des espaces de contrôle policier renforcé. Les Algériens y vivent dans une peur constante des descentes, des perquisitions arbitraires, et des rafles.

UNE RÉPRESSION DANS L’OMBRE

Contrairement aux événements en Algérie, où les images de la répression font le tour du monde, les violences exercées en France restent largement invisibles. La presse de l’époque, souvent sous le contrôle ou l’influence des autorités, ne relaie que peu d’informations sur la brutalité des forces de l’ordre envers les Algériens.

Ce silence médiatique renforce un sentiment d’impunité parmi les responsables policiers et politiques. Des archives déclassifiées révèlent toutefois l’ampleur de la répression. Des ordres précis sont donnés pour contenir toute tentative de mobilisation algérienne en métropole. Le moindre signe de protestation est assimilé à une menace à l’ordre public, justifiant des mesures d’une extrême sévérité.

Le 11 décembre 1960 marque une étape supplémentaire dans le cycle de violence exercé contre les Algériens en France. Ces événements préfigurent d’autres tragédies, notamment le massacre du 17 octobre 1961, où des centaines d’Algériens sont jetés à la Seine lors d’une manifestation pacifique à Paris.

Pourtant, cette répression en France, bien qu’effacée de la mémoire officielle pendant des décennies, constitue une pièce essentielle du puzzle historique de la guerre d’indépendance algérienne. Elle montre que la lutte pour l’indépendance ne s’est pas limitée aux montagnes du Djurdjura ou aux ruelles de la Casbah d’Alger, mais qu’elle a aussi traversé les frontières, ancrant les douleurs du colonialisme au cœur même de la république française.

Aujourd’hui, la mémoire de ces événements est en pleine résurgence. Des associations, des historiens, et des militants réclament une reconnaissance officielle des violences subies par les Algériens en France pendant la guerre. Mais cette reconnaissance tarde, comme si la France hésitait à affronter les zones d’ombre de son passé colonial.

Le 11 décembre 1960 reste ainsi une date qui, bien qu’éloignée dans le temps, résonne encore. Elle nous rappelle que la répression des aspirations à la liberté a traversé les mers, laissant derrière elle des cicatrices indélébiles dans les deux rives de la Méditerranée.

11 décembre 1960 : un rêve arraché, un destin forgé dans la lutte Aujourd’hui encore, le 11 décembre 1960 demeure gravé dans la mémoire collective des Algériens. Chaque année, cette date est célébrée comme un symbole de courage et de détermination face à l’op‐ pression.

Elle rappelle que l’indépendance ne fut pas un simple acquis politique, mais un rêve arraché au prix de sacrifices incommensurables. Dans les rues d’Alger, une nouvelle génération grandit, libre, mais consciente du poids de l’histoire. «C’est ici que mon grand‐père a manifesté», raconte un jeune homme devant la place Maurice Audin, ancien épicentre des affrontements.

«C’est ici qu’il a cru, pour la première fois, que nous pourrions être maîtres de notre destin». Le 11 décembre 1960 n’est pas qu’un chapitre de l’histoire algérienne. C’est un rappel poignant que la quête de liberté, partout dans le monde, n’est jamais un luxe. C’est une nécessité vitale, une aspiration universelle.

Articles de meme catégorie

- Advertisement -L'express quotidien du 11/12/2024

Derniers articles