Exerçant actuellement comme enseignant en sciences de l’ingénieur dans la région parisienne, Mokrane Koulal a un parcours académique riche en couleurs.
Après avoir effectué des études supérieures de troisième cycle en mécanique des fluides à l’École polytechnique de Nantes, il a décidé de s’engager dans la voie littéraire à l’université Paris 8. Ce nouveau cheminement l’a conduit jusqu’aux études doctorales.
Cette double formation, à la fois scientifique et littéraire, nourrit en lui une réflexion pluridisciplinaire sur diverses thématiques contemporaines. Il s’efforce de créer des passerelles entre des disciplines souvent perçues comme éloignées, afin de proposer une vision enrichie de la connaissance et de la pédagogie. Après une thèse de doctorat intitulée»
La violence du bilinguisme dans l’œuvre de Kateb Yacine», il vient de publier aux éditions Aframed son premier roman, «Le Serment de l’absence», basé sur des faits réels. Nous l’avons rencontré à Yakouren, où nous avons échangé des propos sur son parcours, en présence de son éditeur.
L’EXPRESS : VOUS VENEZ DE PUBLIER AUX ÉDITIONS AFRAMED VOTRE PREMIER ROMAN,»LE SERMENT DE L’ABSENCE». L’HISTOIRE QUE VOUS RACONTEZ EST-ELLE TIRÉE DE FAITS RÉELS ?
Mokrane Koulal : Je tiens à exprimer ma profonde gratitude aux Éditions Aframed pour l’attention et l’intérêt qu’elles ont portés à ce roman. L’histoire relatée dans ces pages s’inspire de faits réels. Il s’agit d’une véritable histoire qui s’est déroulée dans un village de la commune d’Azazga.
Toutes les scènes décrites sont fidèles à la réalité, à l’exception de la fin, qui est le fruit de mon imagination. J’ai choisi délibérément une issue dramatique, un choix que j’assume pleinement, car il me semblait essentiel pour souligner la tragédie et les dilemmes humains au cœur de ce récit.
DANS VOTRE ROMAN, VOUS DONNEZ LA PART BELLE À LA GUERRE DE L’INDÉPENDANCE, QU’ON SE DEMANDE SI CE N’EST PAS EN FAIT LE SUJET PRINCIPAL DE L’ŒUVRE ?
J’ai choisi de placer l’histoire dans un contexte de guerre, car elle s’est déroulée durant la période de la révolution algérienne. Bien que j’aurais pu, volontairement, la détacher de ce cadre historique, cela aurait sans doute vidé l’histoire de son essence.
En intégrant la guerre d’indépendance au cœur de ce récit, je souhaite rendre hommage à cette époque marquée par des luttes profondes et des drames humains. C’est aussi une manière d’adresser un message à ceux qui doutent encore de la réalité et de l’ampleur de la tragédie coloniale.
Ce cadre historique ne se limite pas à un décor : il est l’âme même de cette histoire, le prisme à travers lequel se révèlent les dilemmes, les violences et les résistances qui ont façonné des générations entières.
L’IMAM, L’UN DES PERSONNAGES SECONDAIRES, TIENT UN DISCOURS EN AVANCE SUR SON TEMPS. IL PRÔNE UN ISLAM TOLÉRANT, HUMANISTE… ON CROIT ENTENDRE UN RÉFORMATEUR D’AUJOURD’HUI. QU’EN PENSEZ-VOUS ?
Bien qu’il s’agisse d’un personnage secondaire, l’imam occupe une place significative dans ce roman. Par son statut de figure respectée et d’homme écouté au village, il joue un rôle essentiel en remettant en question certaines interprétations et pratiques qui ont transformé l’islam en une religion perçue comme source de peur, d’obscurantisme et de régression.
Dans le roman, l’imam est un érudit, formé à la fois à l’école française et à l’éco‐ le coranique. Cette double éducation lui offre une compréhension nuancée de deux univers : celui du colonisateur et celui des colonisés.
Fort de cette connaissance des deux mondes, il aspire à faire de la religion un levier pour la liberté. Il rappelle à chaque villageois leur condition de colonisé et les exhorte à mobiliser leur foi et leurs convictions pour se libérer.
À ses yeux, l’islam peut être un catalyseur d’émancipation, guidant les siens vers la liberté sans que le dogmatisme n’étouffe la quête de savoir et de progrès.
Le discours de l’imam ne se limite pas à son époque : il porte une résonance contemporaine. À travers ses paroles, le roman offre une réflexion qui reste actuelle, en plaidant pour un islam tolérant et éclairé, capable de dialoguer avec la modernité et de redorer l’image de cette religion trop souvent dénaturée par les extrémismes et les préjugés.
LE PERSONNAGE PRINCIPAL, ALI, QUI DEVIENDRA MAQUISARD, A ÉTÉ À L’ÉCOLE FRANÇAISE. SON PÈRE A DÛ BATAILLER FORT CONTRE SA COMMUNAUTÉ POUR FAIRE ACCEPTER LE FAIT D’ENVOYER SON FILS À L’ÉCOLE FRANÇAISE. TOUT EN RESPECTANT LES TRADITIONS, CERTAINS DE VOS PERSONNAGES, À L’IMAGE DU PÈRE D’ALI, REFUSENT QUE LA TRADITION SOIT UNE COLLECTION DE VALEURS OBSOLÈTES. LA TRADITION A-T-ELLE ÉTÉ UN FREIN DANS CERTAINS DOMAINES, COMME CELUI DE LA SCOLARISATION JUSTEMENT ?
Le père d’Ali incarne un esprit en avance sur son temps, un homme qui s’est battu avec ténacité pour bousculer les paradigmes de sa société. Sa vision novatrice a souvent été incomprise, et il a fallu de nombreuses années pour que ses proches saisissent pleinement la profondeur de sa pensée.
Dans ce contexte, grâce à son père, Ali émerge comme une figure lettrée, engagée au service de sa communauté et de la révolution, À travers ces personnages, le roman met en lumière un point fondamental : certaines traditions, bien qu’anciennes et enracinées, peuvent parfois prendre davantage qu’elles n’apportent.
Elles instaurent des formes subtiles de domination, confinant la société dans une posture proche de la colonisation intérieure, une domination invisible mais tout aussi aliénante. Un exemple frappant de cette tension apparaît durant la guerre d’Algérie.
De nombreux villages ont farouchement résisté à l’ouverture d’écoles, considérant cela comme une menace. Pourtant, ce sont précisément ces lettrés, ces enfants des écoles, qui ont porté la flamme de la révolution et animé le combat pour l’indépendance.
Ce n’est pas un appel à opposer les traditions à l’évolution, bien au contraire. Le roman défend l’idée d’une synthèse harmonieuse : permettre au progrès de surgir de nos valeurs, de trouver ses racines dans ce qui nous définit.
Loin de rejeter les traditions, il s’agit de les réinterpréter, de les adapter pour qu’elles deviennent des forces libératrices plutôt que des entraves, offrant ainsi à la société les moyens de son émancipation.
LA FIN DU ROMAN EST DIGNE D’UN FILM D’HOLLYWOOD. C’EST PLEIN DE TRISTESSE, D’ÉMOTION ET D’ÉCŒUREMENT…ET J’EN PASSE… ! LE MAQUISARD TRAHI PAR CELLE QU’IL AIME… ! LA CHUTE DE VOTRE ROMAN EST UNE VÉRITABLE CHUTE !
Comme je l’ai mentionné précédemment, la fin de ce roman est un choix pleinement assumé. Ce n’est pas une décision machiavélique, mais une volonté délibérée de laisser une empreinte durable sur le lecteur. Une fin marquante, même frustrante, invite à la réflexion et ouvre la porte à des interprétations multiples.
Bien sûr, ce choix peut provoquer des frustrations chez certains lecteurs, mais c’est précisément cette tension qui donne toute sa force au récit. L’histoire ne se ferme pas complètement : elle reste vivante dans l’esprit de ceux qui la lisent. Chacun est alors libre d’imaginer une suite, une conclusion personnelle qui reflète ses propres sensibilités et convictions.
Comme le disait si justement Barbara :»L’inachevé est toujours beau.» Il y a une forme de poésie dans l’absence de résolution totale, un espace laissé à l’imaginaire, où chaque lecteur devient, à sa manière, le co‐auteur de l’histoire.
NE PENSEZ-VOUS PAS QUE CE ROMAN MÉRITE UNE SUITE ?
Lorsque j’ai achevé l’écriture de ce roman, j’étais convaincu de tourner définitivement la page de cette histoire.
Cependant, au fil des échanges avec mes lecteurs et en écoutant leurs critiques, un sentiment nouveau s’est éveillé en moi. Ces discussions ont nourri un désir profond de revenir sur ce récit, de revisiter son univers et ses personnages.
L’idée de poursuivre Le Serment de l’absence s’impose de plus en plus dans mon esprit. Pourtant, une hésitation persiste : et si cette nouvelle écriture se terminait à nouveau sur une fin inachevée ? Mais est‐ce vrai‐ ment un problème ? Comme le dit si bien Morgan Sportès :»L’in‐ fini est le champ du roman.». Je le reprendrai un jour.
UN DERNIER MOT …
J’invite tous mes concitoyens à lire, pas nécessairement Le Serment de l’absence, mais à lire, tout simplement, car la lecture est une véritable félicité. Elle nourrit l’esprit, élargit les horizons et enrichit l’âme.
Je tiens à exprimer ma profonde gratitude envers tous ceux qui ont cru en moi, ainsi qu’à ceux qui ont, par leurs inspirations, contribué à l’écriture de ce roman.
Leurs encouragements, leurs critiques, et leurs partages m’ont porté et m’ont insufflé une énergie nouvelle. Cette énergie m’accompagne déjà dans l’écriture de mon deuxième roman, que j’ai récemment entamée.
C’est grâce à vous, chers lecteurs et soutiens, que cette aventure littéraire continue. Merci de faire partie de ce voyage.