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Nabyl Mouhoubi, cinéaste et réalisateur: « Le cinéma est un voyage sans fin… »

Nabyl Mouhoubi, réalisateur de la saga Amechah « L’Avare » revient dans cet entretien sur son parcours. Il nous explique, entre autres, quelques aspects de sa saga qui a été bien accueillie par le public et nous parle de ses projets futurs.

L’Express : D’abord, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Nabyl Mouhoubi : Je m’appelle Nabyl Mouhoubi, je suis cinéaste et réalisateur de la saga Amechah. Je suis né en 1974 à Seddouk, dans le village de Tibouamouchine, en Kabylie. Avant de me lancer dans le cinéma, j’étais musicien. Je jouais de la guitare électrique dans un groupe avec lequel j’ai exploré différents styles musicaux. Parallèlement, j’écrivais de la poésie, ce qui m’a permis d’affiner ma sensibilité artistique et mon regard sur la société. J’ai toujours eu un esprit créatif et une grande admiration pour l’art sous toutes ses formes. Le passage de la musique au cinéma s’est fait naturellement. À travers mes compositions et mes poèmes, je racontais déjà des histoires. Mais avec le cinéma, j’ai découvert un langage visuel puissant, capable de capter les émotions, de transmettre des messages forts et de faire voyager le spectateur dans un univers unique.

Qu’est-ce qui vous a inspiré à réaliser la saga satirique Amechah ?

L’idée de « Amechah » est née d’une observation attentive de la société kabyle, de ses traditions, de ses codes et surtout de son humour unique. Bien que le film soit une fiction, il s’inspire fortement du quotidien des villages kabyles. Ces villages sont une véritable mine d’histoires, avec leurs proverbes, leurs dialogues empreints de sagesse et d’ironie, et leurs personnages hauts en couleur. J’ai grandi en écoutant les anciens raconter des anecdotes, partager des conseils sous forme de proverbes ou encore critiquer certains comportements avec une subtilité qui mêlait humour et vérité crue. Cette manière de raconter la vie avec une touche de satire m’a fasciné et j’ai voulu la retranscrire à l’écran. À travers Amechah, mon objectif était double : divertir le public tout en immortalisant des aspects précieux de notre culture. L’humour permet d’aborder des sujets sérieux sans heurter, et c’est un formidable outil pour faire réfléchir tout en amusant.

Vous avez réalisé trois opus jusqu’à présent. Sur quoi vous êtes-vous basé pour développer les scénarios et les personnages ?

Le cœur de mes scénarios repose sur une écoute attentive et une immersion profonde dans la société kabyle. Depuis mon enfance, j’ai toujours été curieux des discussions des anciens, des débats animés au village, des histoires que l’on se raconte autour du feu ou dans les cafés. En kabyle, on distingue « selleɣ » (écouter activement, comprendre le sens profond) et « ḥeseɣ » (entendre passivement). J’ai appris à « selleɣ », à écouter avec attention pour capter l’essence même de ce qui se dit et ce qui ne se dit pas.

Chaque personnage de Amechah représente un archétype de notre société. Il y a :

 L’avare, qui trouve toujours des excuses pour justifier son comportement.  Le paysan, souvent rusé et attaché aux valeurs ancestrales.  Le charlatan, qui profite de la crédulité des gens.  Le mendiant, qui oscille entre réel besoin et stratégie de survie. L’imam, qui représente la sagesse mais parfois aussi l’hypocrisie. Le traître et le perfide, qui manipulent pour leur propre intérêt. Et la femme kabyle qui représente le pilier de la famille et la gardienne des traditions.

Le choix des acteurs et la répartition des rôles ne sont jamais laissés au hasard. Comme un entraîneur choisit ses joueurs en fonction de leur talent et de leur place idéale sur le terrain, je place chaque acteur dans un rôle qui lui correspond et qui le met en valeur.

Votre film reflète-t-il des réalités sociales ? Quelles traditions ou valeurs met-il en avant ?

Oui, Amechah est un miroir de la société kabyle. Il met en avant des comportements typiques, des traits de caractère parfois exagérés mais toujours inspirés du réel.

Un des thèmes centraux est l’avarice. En Kabylie, ce trait de caractère est souvent moqué, mais il s’explique par un contexte historique et culturel. Autrefois, les ressources étaient limitées et il fallait savoir gérer avec parcimonie pour assurer la survie du foyer. Les vieilles femmes kabyles, souvent perçues comme avares, étaient en réalité d’excellentes gestionnaires, capables de faire durer les denrées alimentaires avec intelligence et savoir-faire.

Le film met aussi en avant le respect des anciens, la solidarité villageoise, les rites et traditions comme le mariage kabyle, et même la relation profonde que les Kabyles entretiennent avec la nature et les montagnes.

Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés lors de la production des films Amechah ?

Les défis ont été nombreux et parfois très complexes à surmonter. Je peux citer ici les défis les plus importants :

1. Le casting féminin : En 2012, il était extrêmement difficile de trouver des actrices en Kabylie. La société était encore très réticente à voir des femmes jouer dans des films ou faire de la musique. Beaucoup de familles refusaient catégoriquement que leurs filles participent à un tournage.

2. Le manque de moyens financiers : Produire un film indépendant en Kabylie est un véritable parcours du combattant. Les subventions sont rares, et les infrastructures cinématographiques sont limitées. Nous avons dû improviser, trouver des solutions avec les moyens du bord et parfois même financer certains aspects sur nos propres fonds.

3. La disparition des anciens villages : De nombreux villages kabyles traditionnels se modernisent ou disparaissent. Il devient difficile de trouver des décors authentiques pour nos tournages, ce qui complique la fidélité historique et culturelle du film.

4. Les producteurs malhonnêtes : Nous avons malheureusement eu affaire à des escrocs, notamment un producteur qui ne nous a jamais payés pour le deuxième film. Cela fait maintenant 10 ans que nous attendons cette rémunération…

Quelle a été la réaction du public ?

Le public a été enthousiaste et fidèle. Beaucoup nous demandent une suite, d’autres expriment leur fierté de voir un film qui reflète leur quotidien et leurs valeurs. C’est une grande motivation pour moi.

À quels festivals avez-vous participé ?

Nous avons eu l’honneur de participer à plusieurs festivals prestigieux comme le Festival du Film Amazigh en France, le Festival de Monaco et le Festival du Figuier d’Or à Tizi Ouzou (2024).

Quels sont vos projets futurs ?

J’ai plusieurs projets en préparation dont quatre scénarios en langue française, qui explorent différents genres. J’ai aussi un projet en arabe, soumis au Ministère de la Culture, destiné à une production cinématographique d’envergure. Je veux continuer à promouvoir la culture kabyle à travers de nouveaux films et séries. Le cinéma est un voyage sans fin et j’ai encore beaucoup d’histoires à raconter…

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L'express quotidien du 10/03/2025

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