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Événements de Sakiet Sidi Youssef: « Un des épisodes ignominieux du colonialisme français »

Hier, le temps n’a pas effacé la douleur ni la mémoire. Car ici, à la frontière entre l’Algérie et la Tunisie, le souvenir d’un matin de feu et de sang reste gravé dans chaque pierre, chaque regard. Le 8 février 1958, l’aviation française déchaîne sa puissance destructrice sur ce village tunisien frontalier, Sakiet Sidi Youssef.

Chasseurs-bombardiers, napalm, mitraillage, en quelques minutes, Sakiet Sidi Youssef est anéanti. Des dizaines de morts, des centaines de blessés. Une attaque sans distinction entre civils et combattants, entre vieillards, femmes, enfants et maquisards algériens venus trouver refuge de l’autre côté de la ligne invisible tracée par le colonisateur. Ce n’était pas une bavure, ni une frappe « accidentelle ». C’était un message, un châtiment, une démonstration de force destinée à briser un réseau de solidarité transfrontalier. Une punition collective, sans autre justification que la terreur.

Ce samedi, l’Algérie et la Tunisie ont commémoré ensemble le 67ᵉ anniversaire de ce massacre. Au premier rang des officiels, Nadir Larbaoui, Premier ministre algérien, et son homologue tunisien Kamel Madouri. Deux chefs de gouvernement pour rappeler que le sang versé ici n’appartenait pas à une seule nation, mais à une fraternité forgée dans l’épreuve coloniale.

« Un des épisodes les plus ignobles du colonialisme français prétendument civilisé », a dénoncé Larbaoui dans son allocution, pointant du doigt un crime d’État encore enseveli sous le silence officiel de la République française. « Le colonialisme a toujours cherché à imposer la soumission par la violence brute. Sakiet Sidi Youssef n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Mais ici, la répression a franchi une frontière, elle a touché un peuple souverain. Ce fut une attaque contre la Tunisie, contre son indépendance en gestation, contre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. »

Le massacre de Sakiet Sidi Youssef, au-delà de son horreur immédiate, a eu un effet de bascule. À Tunis, l’indignation est totale. Le gouvernement de Habib Bourguiba, qui négociait alors les derniers jalons de l’indépendance complète de la Tunisie, est contraint d’exprimer sa colère. La France, déjà empêtrée dans une guerre qui ne dit pas son nom en Algérie, voit son image internationale se détériorer. Même ses alliés occidentaux s’indignent. Cette attaque illustre, plus que toute autre, la brutalité d’un pouvoir colonial aux abois, prêt à tout pour écraser la résistance algérienne.

Mais 67 ans plus tard, où sont les excuses ? Où est la reconnaissance de ce crime ? À Paris, l’amnésie reste de rigueur. Aucun président, aucune institution officielle n’a jugé utile d’admettre la responsabilité de l’État français dans cette opération militaire menée en territoire tunisien. Aucune réparation, aucun regret exprimé. Juste un silence assourdissant, comme pour tant d’autres pages sombres de la colonisation.

Sakiet Sidi Youssef est plus qu’un massacre, c’est un symbole. Celui d’une solidarité « indéfectible » entre deux peuples liés par une même histoire de résistance. Dès les premières années de la guerre d’Algérie, la Tunisie devient un soutien essentiel au FLN et à l’Armée de libération nationale (ALN). C’est sur son sol que se réfugient les combattants traqués, que transitent les armes, que s’organisent les soutiens internationaux. La frontière n’en est plus vraiment une, elle devient une ligne de vie pour la révolution algérienne.

En bombardant Sakiet Sidi Youssef, la France voulait briser ce lien, faire plier Bourguiba, envoyer un avertissement sanglant à tous ceux qui osaient aider les indépendantistes algériens. Mais loin d’atteindre son objectif, l’attaque ne fait que renforcer la détermination des Tunisiens et la mobilisation internationale en faveur de la cause algérienne.

Aujourd’hui, cette mémoire partagée est célébrée dans un contexte bien différent. L’Algérie et la Tunisie ne sont plus sous la tutelle coloniale, mais elles font face à d’autres défis, économiques, politiques, sécuritaires. « Nos peuples ont payé un lourd tribut pour leur liberté et leur dignité. Cette histoire commune ne doit pas être un simple souvenir, elle doit être un « moteur » pour renforcer nos liens et bâtir un avenir solidaire », a insisté M. Larbaoui.

Les discussions bilatérales entre Alger et Tunis s’intensifient. En janvier 2025, une réunion de la commission de suivi du développement des zones frontalières a acté plusieurs projets destinés à dynamiser cette région, longtemps négligée et marquée par des conditions de vie difficiles. Il s’agit non seulement d’améliorer les infrastructures, mais aussi de favoriser l’intégration économique entre les deux pays.

Dans un monde où les conflits se multiplient et où le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est encore bafoué, Sakiet Sidi Youssef résonne avec une actualité brûlante. « Aujourd’hui encore, des nations subissent la violence coloniale sous d’autres formes. Certains peuples, en quête d’autodétermination, font face aux mêmes méthodes répressives, parfois aux mêmes massacres, et toujours au même silence complice de la communauté internationale, » a déclaré Larbaoui, en référence à d’autres luttes qui rappellent celle de l’Algérie d’hier. Pour l’Algérie et la Tunisie, commémorer ce drame n’est pas une simple formalité historique. C’est une manière de rappeler que l’histoire coloniale ne s’efface pas, qu’elle ne peut être niée ni réécrite. C’est aussi une manière d’exiger que justice soit faite, non pas seulement dans les discours, mais dans la reconnaissance pleine et entière des crimes perpétrés.

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