Dans son affrontement avec l’Algérie, la France semble guidée par des considérations électoralistes et une vision dépassée de son rôle en Afrique. En cherchant à jouer la carte marocaine contre Alger, en multipliant les mesures vexatoires contre les ressortissants algériens et en s’alignant sur l’extrême droite dans le débat migratoire, Paris prend le risque de rompre définitivement avec un partenaire stratégique.
La relation entre la France et l’Algérie connaît une nouvelle montée des tensions. Après une série de provocations, d’intimidations et de mesures restrictives prises par Paris, Alger hausse le ton et prévient : toute atteinte à ses intérêts se heurtera à des mesures réciproques, strictes et immédiates. Entre restrictions de visas, annulation des accords de 1968, instrumentalisation du Sahara occidental et les polémiques autour de Boualem Sansal, la France semble s’engager dans une confrontation ouverte, où la politique intérieure hexagonale dicte une ligne agressive à l’égard de son ancien territoire colonial.
Le dernier épisode en date est l’annonce par le ministère français des Affaires étrangères de nouvelles restrictions de circulation et d’accès au territoire français visant des ressortissants algériens détenteurs de passeports diplomatiques ou de service. Une décision prise sans la moindre concertation, en violation de l’article 8 de l’accord franco-algérien sur l’exemption réciproque de visas.
Dans un communiqué officiel, Alger a fait part de sa « surprise » et de son « étonnement », dénonçant une provocation de plus dans une longue série de mesures hostiles. « L’Algérie est manifestement devenue l’enjeu de querelles politiques intra-françaises où tous les coups bas politiciens sont permis dans le cadre d’une compétition, dont l’extrême droite est l’instigateur, le référent et le donneur d’ordres », souligne le ministère algérien des Affaires étrangères.
Ce durcissement français, présenté comme une « mesure sécuritaire », s’inscrit dans une logique de pression qui ne trompe personne, Paris cherche à imposer son rapport de force avec Alger, en jouant sur les leviers migratoires et diplomatiques.
L’instrumentalisation de la question migratoire
Depuis plusieurs mois, la France multiplie les restrictions de visas et les expulsions à destination de l’Algérie. La surmédiatisation de faits divers impliquant des Algériens, souvent utilisés comme prétextes politiques, a servi d’alibi à un durcissement brutal. L’extrême droite et plusieurs membres du gouvernement ont utilisé ces événements pour exiger des mesures répressives contre les ressortissants algériens.
Dans la foulée, la machine administrative s’est emballée, multiplication des obligations de quitter le territoire français (OQTF) visant des Algériens, durcissement des conditions de régularisation, et surtout, une volonté affichée d’en finir avec les accords franco-algériens de 1968, qui accordaient un statut privilégié aux Algériens en France.
L’argument avancé par Paris est celui de l’équité « migratoire » avec les autres nationalités du Maghreb, mais la réalité est plus crue, il s’agit d’un calcul politique dans un contexte de surenchère droitière. En fragilisant le statut des Algériens en France, le gouvernement français espère flatter une opinion publique chauffée à blanc par l’extrême droite, tout en utilisant la question migratoire comme un levier de pression diplomatique.
Au-delà de la question migratoire, un autre dossier cristallise la tension, celui du Sahara occidental. En juillet 2024, Emmanuel Macron a officiellement reconnu la souveraineté marocaine sur ce territoire occupé, rompant avec la traditionnelle prudence diplomatique française. Une décision qui s’est traduite par des visites d’officiels français à Laâyoune et Dakhla, et par des investissements massifs dans la région.
Loin d’être anodine, cette prise de position est perçue par Alger comme une atteinte directe à ses intérêts stratégiques. L’Algérie, soutien historique du Front Polisario et défenseur du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, voit dans cette reconnaissance un alignement dangereux de la France sur la politique expansionniste du Maroc.
Pire encore, des discussions ont émergé autour de l’installation de bases militaires françaises dans les territoires sahraouis occupés, sous prétexte de sécuriser les investissements. Une telle implantation marquerait une nouvelle étape dans l’escalade franco-algérienne et raviverait les accusations de néocolonialisme à l’égard de Paris.
Dans cette stratégie de confrontation, Paris n’hésite pas à mettre en avant certaines figures médiatiques algériennes controversées pour alimenter la tension. Boualem Sansal, écrivain connu pour ses positions hostiles au gouvernement algérien et sa proximité avec des cercles politiques français, est régulièrement mis en avant comme un « symbole » de la liberté d’expression réprimée en Algérie.
Cette instrumentalisation ne date pas d’hier. Mais, dans le contexte actuel, où la France tente d’isoler diplomatiquement l’Algérie, le soutien officiel apporté à Sansal s’inscrit dans une volonté de provoquer Alger. L’écrivain, qui se présente comme un dissident, est ainsi utilisé comme un outil de pression symbolique, Paris cherchant à accréditer l’idée d’un pouvoir algérien oppresseur et isolé.
Or, en Algérie, Boualem Sansal est loin de faire consensus. Ses prises de position, notamment sur la question sahraouie ou palestinienne et son absence de critique à l’égard du colonialisme français, le placent en porte-à-faux avec une large partie de l’opinion publique. Son instrumentalisation par la diplomatie française illustre une méconnaissance profonde du terrain politique algérien et renforce la perception d’une ingérence maladroite.
Vers une rupture diplomatique ?
Dans son affrontement avec l’Algérie, la France semble guidée par des considérations électoralistes et une vision dépassée de son rôle en Afrique. En cherchant à jouer la carte marocaine contre Alger, en multipliant les mesures vexatoires contre les ressortissants algériens et en s’alignant sur l’extrême droite dans le débat migratoire, Paris prend le risque de rompre définitivement avec un partenaire stratégique.
Loin d’être une démonstration de force, cette politique ressemble à une fuite en avant, où l’arrogance diplomatique masque une perte d’influence grandissante. Alger, de son côté, reste fidèle à sa ligne : souveraineté, fermeté et refus du chantage. Dans ce bras de fer, la France pourrait bien perdre des plumes.