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Abdelkader Alloula, une voix qui refuse le silence

Le 10 mars 1994, Abdelkader Alloula était lâchement assassiné à Oran. Trente et un ans ont passé, mais l’onde de choc ne s’est jamais vraiment dissipée. Son absence est un vide béant, et pourtant, son œuvre, elle, continue de vibrer, de parler, de questionner. Dans les mots de ses personnages, dans les voix des comédiens qui reprennent ses textes, dans cette tradition du Goual qu’il a réinventée, Alloula est toujours là.

Son théâtre n’était pas seulement un art de la scène. C’était une parole vivante, une parole qui bouscule, qui réveille, qui interpelle. Il voulait que l’Algérien se retrouve sur les planches, que le spectateur entende sa propre langue, qu’il voie son quotidien, ses luttes, ses espoirs. Et il a réussi. Trente et un ans après sa disparition, son œuvre n’a rien perdu de sa force.

Né en 1939 à Ghazaouet, dans la région de Tlemcen, Alloula n’a jamais été un artiste détaché de son époque. Dès ses premiers pas dans le monde du théâtre, il sait que la scène peut être autre chose qu’un simple divertissement. Formé à Paris en dramaturgie et en arts du spectacle, il aurait pu choisir de faire carrière ailleurs. Mais c’est en Algérie qu’il veut créer, c’est là que son art prend tout son sens.

Il s’imprègne des traditions populaires, redécouvre la Halqa, cet art du conte qui rassemble les foules sur les places publiques. Il comprend la puissance du Goual, ce passeur de mémoire qui, à travers ses histoires, transmet une sagesse ancienne et commente le présent. Alloula ne se contente pas de puiser dans cette tradition, il la transforme, il l’adapte à son époque. Son théâtre devient une tribune, un espace où le verbe populaire se fait critique sociale, où le spectateur n’est pas seulement un témoin, mais un acteur de la réflexion.

Sa trilogie « Le Goual (1980), Lajouad (1985) et Litham (1989) » est une œuvre monumentale qui interroge l’identité algérienne avec une acuité rare. À travers ces textes, Alloula pose une question essentielle : comment concilier mémoire et modernité ? Comment préserver l’âme d’un peuple sans sombrer dans le passéisme ? Ses personnages ne sont pas de simples figures de théâtre, ce sont des miroirs tendus à la société.

D’autres pièces marquent profondément les esprits : El Khobza (1970), qui met en lumière l’injustice sociale ; Homk Salim (1972), satire mordante de l’absurdité bureaucratique ; Touffah (1983), qui explore les illusions perdues. Son théâtre, écrit en arabe dialectal, parle à tous. Il refuse le théâtre élitiste, celui qui s’adresse à une poignée d’initiés. Il veut un théâtre ancré dans la vie, qui puisse être joué dans les salles comme dans les rues, qui puisse toucher aussi bien le paysan que l’intellectuel.

Le 10 mars 1994, Abdelkader Alloula est abattu par des balles assassines à Oran. Il succombe trois jours plus tard, à l’âge de 54 ans. La violence aveugle du terrorisme tente d’éteindre une voix, mais l’œuvre demeure. Son assassinat est un coup porté à la culture algérienne, à tous ceux qui croyaient encore en la force des mots face aux ténèbres.

Mais Alloula avait déjà semé des graines, et elles n’ont jamais cessé de germer. Au Théâtre régional d’Oran, dont il a été l’un des piliers, son ombre plane encore. Ses textes sont montés, étudiés, transmis. Son approche du théâtre, cette manière unique de lier modernité et traditions populaires, continue d’inspirer des générations de dramaturges et de metteurs en scène.

On ne parle pas d’Alloula au passé. Trente et un ans après son assassinat, ses mots résonnent toujours avec une intensité intacte. Chaque fois que son Goual monte sur scène, chaque fois qu’un comédien récite ses textes, il est là. Il est dans les voix qui portent son héritage, dans ces scènes qui refusent le silence, dans cette Algérie qui n’a jamais cessé de se battre pour sa culture.

Abdelkader Alloula n’était pas seulement un dramaturge, il était une conscience, un éclaireur. Son nom ne s’effacera jamais. Son théâtre reste un cri, une lumière, une promesse, celle que l’art peut encore dire le monde, qu’il peut encore éveiller les esprits et défier l’oubli.

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