Immobilisé sur le tarmac de l’aéroport de Perpignan depuis 2014, l’avion personnel du dictateur déchu en 2011 pourrait retourner prochainement dans son pays. Ultime épisode d’un feuilleton mêlant un tribunal arbitral égyptien, Air France et un puissant conglomérat koweïtien ?
«Je ne pouvais pas m’imaginer m’allonger sur le lit de Kadhafi, lance un jeune libyen tout sourire, un fusil-mitrailleur AK-47 à la main. Même dans mes rêves !» Août 2011. Après six mois d’une guerre civile partie d’un mouvement de contestation populaire, les rebelles libyens, des insurgés ayant précipité la chute du régime Kadhafi, s’emparent de l’aéroport international de Tripoli, la capitale. Sur le tarmac, ils découvrent l’avion personnel de Muammar al-Kadhafi, qui régna en dictateur sur le pays durant plus de quarante ans avant d’être tué à Syrte, en octobre 2011.
A l’intérieur, des journalistes suivent des rebelles découvrant le luxueux appareil. Douches et toilettes flamboyantes, lit XXL, canapés en cuir… Un an après, quasiment jour pour jour, l’appareil immatriculé 5A-ONE atterrit à l’aéroport de Perpignan, en toute discrétion, comme le racontait le Monde en 2015. Criblé d’éclats d’obus et de balles, l’avion a traversé la Méditerranée en cinq heures, à basse altitude – environ 10 000 pieds. Le transfert a été opéré par une société privée, World assets transition (WAT). L’Airbus est alors confié par le Conseil national de la transition (l’organe politique de la rébellion) à Air France, qui sous-traite le délicat bien à EAS, une société de maintenance aéronautique.
L’histoire de «l’Air Force One» du Guide libyen remonte aux débuts des années 1990. L’appareil est vendu pour la première fois en 1996 au prince Jefri Bolkiah, frère du Sultan de Brunei. L’homme a des relations avec la France : en 1997, le prince de l’émirat pétrolier avait acheté le Plaza Athénée, un palace parisien de l’avenue Montaigne. L’Airbus 5A-ONE passera ensuite dans les mains du prince Al-Waleed bin Talal, un homme d’affaires milliardaire, membre de la famille royale saoudienne. Ce n’est qu’en 2006 que Mouammar Kadhafi, qui dirige d’une main de fer la Libye depuis 1969, achète l’appareil, pour 120 millions de dollars, selon CNN. C’est de cet avion ligne transformé en palais volant que le «Guide» se posera à Orly, le 10 décembre 2007. Le Guide est accueilli en grande pompe par la ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, avant d’installer sa tente dans les jardins de l’Elysée.
En acquérant l’A340, Kadhafi avait voulu en faire la vitrine de sa puissance. Sur sa carlingue, le propriétaire y avait fait inscrire «99.9.9.» Une référence à la déclaration de Syrte, signée en 1999, durant laquelle Kadhafi concrétisa son idée d’Union africaine, qui devait supplanter l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Un moyen pour le Guide de montrer qu’il était toujours l’opposant essentiel aux puissances occidentales.